8 août 2024 | tiré d’Europe solidaire sans frontières
Birmingham (Royaume-Uni).– « Ils n’ont pas osé venir à Birmingham ! », lance un des orateurs du rassemblement organisé par l’association Stand up to Racism dans cette ville du centre de l’Angleterre. « Je n’ai jamais été plus fier de Birmingham, s’exclame un autre. La seule ville où les fascistes n’ont pas osé venir. » Birmingham a été relativement épargnée par les affrontements ces derniers jours.
Ce mercredi soir a été plus calme que ce que beaucoup craignaient dans tout le Royaume-Uni. Si des affrontements sporadiques ont eu lieu, à Londres notamment, les centaines de rassemblements d’extrême droite auxquels la police s’attendait ne se sont pas matérialisés. Ou alors ils étaient moins nombreux et violents que les jours précédents.
À Birmingham, l’adresse d’un cabinet d’avocats spécialisé dans le droit à l’immigration circule sur les boucles Telegram d’extrême droite, comme point de rendez-vous à 20 heures. Plusieurs dizaines d’autres bureaux d’avocats sont listés : « Mercredi soir, les gars. Ils n’arrêteront pas de venir tant qu’on ne le leur dira pas. Plus d’immigration. 20 heures. Venez masqués. » Mais ni à cette adresse en plein quartier des joailliers de Birmingham, ni à quelques centaines de mètres sur Saint-Paul Square, autre lieu de rassemblement possible, ni même autour des militant·es de Stand up to Racism, les extrémistes ne se sont manifestés mercredi soir.
À Birmingham, comme dans plusieurs villes du Royaume-Uni, les militants antiracistes ont été bien plus nombreux que les fauteurs de troubles. © Photo Marie Billon / Mediapart
Ce n’est pas la première fois localement qu’une menace de rassemblements d’extrême droite ne se matérialise pas, ce qui n’étonne pas Jack. « C’est parce que Birmingham est une ville multiculturelle qu’elle a été épargnée par la violence, dit-il. Parce que nous sommes une ville solidaire. » Jack est commerçant, il travaille dans une boutique d’ameublement dans un quartier « ethniquement divers », dit-il. Il redoutait cette soirée, mais espérait que les premières condamnations d’émeutiers à de la prison ferme dissuaderaient les fauteurs de troubles : « Si on les arrête et qu’on les met derrière les barreaux, j’espère que cela mettra fin à tout ça, et que les gens pourront en tirer les leçons nécessaires. »
« Nous, nous rassemblons. Eux, ils divisent »
Mustapha, lui, va garder les planches pour protéger les vitres de son restaurant pendant encore quelques jours, « au cas où ». Il les a installées mercredi, craignant des violences autour du rassemblement de Stand up to Racism prévu juste en face. « Ça coûte quelques centaines de livres sterling d’installer ces protections, dit-il, mais si des émeutiers cassent les vitres, ce sera bien plus cher. » En tant que restaurateur turc, Mustapha craignait d’être particulièrement vulnérable, mais la chaîne de café britannique installée à côté et le magasin de proximité en face avaient pris les mêmes précautions que lui.
Les commerçants n’étaient pas les seuls à s’attendre au pire. En face du restaurant de Mustapha, deux jeunes hommes sont arrivés en fin d’après-midi et ont attendu que les manifestant·es antiracistes commencent à affluer pour se rapprocher du lieu de rendez-vous. Mark et Saah veulent chacun être « un corps à interposer » en cas d’attaque d’extrême droite, mais ne souhaitent pas « provoquer », assurent-ils.
Comme beaucoup d’autres jeunes gens – des hommes surtout –, ils cachent leur visage sous les cagoules noires. « C’est à cause des réseaux sociaux, dit Mark. Je vis dans un quartier où beaucoup de gens sont relativement racistes. On ne sait pas qui raconte quoi, si quelqu’un voudra me prendre pour cible… Et aussi je ne suis pas nécessairement toujours d’accord avec la police. » Saah dit que, comme Mark, il a été fouillé plusieurs fois sans autre raison que « la couleur de [s]a peau » et préfère aussi n’être pas identifiable.
Mustapha a décidé de barricader les vitres de son restaurant mercredi, de peur que des violences n’éclatent. © Photo Marie Billon / Mediapart
Quelques minutes plus tard, deux policiers les accostent. Tous quatre se saluent poliment. Et quand l’un des agents demande aux jeunes hommes pourquoi ils cachent leur visage, ils rétorquent : « Il n’y a pas d’EDL ici ! » L’EDL, c’est l’English Defence League, un parti d’extrême droite qui n’a aujourd’hui plus d’existence légale mais qui reste un point de ralliement pour les émeutiers. Les deux policiers repartent, apparemment satisfaits des réponses de Mark et Saah.
Si les membres des forces de l’ordre sont nombreux ici, mercredi, à Birmingham et que les agents gardent un œil sur les jeunes encagoulés, les seules fois où ils élèvent la voix ou lèvent un bras sont pour pousser la foule qui écoute les discours de Stand up to Racism sur le bitume, malgré la circulation des voitures. Plusieurs automobilistes signalent d’ailleurs leur soutien en klaxonnant, ou en lançant des insultes contre l’EDL depuis leur volant.
« Nous sommes ici ce soir parce que nous aimons nos voisins, dit un intervenant de Stand up to Racism. Ils pensaient que personne ne leur tiendrait tête et ne dénoncerait leur idéologie toxique. Mais nous, nous manifestons, eux, ils créent des émeutes. […] Nous, nous rassemblons. […] Eux, ils divisent. »
Si des musulmans provoquaient des émeutes, détruisaient des commerces, brisaient des vitres, blessaient des gens, ils nous traiteraient de terroristes. Mais parce que ce sont des Blancs qui le font, c’est de l’activisme.
Une jeune musulmane de Birmingham, sous couvert d’anonymat
Après une grosse heure de discours prononcés sur le point de rendez-vous, les manifestant·es marchent vers le centre-ville de Birmingham, en scandant : « Les réfugiés sont bienvenus » ou « Racistes, rentrez chez vous », mais aussi des slogans propalestiniens et hostiles à Israël. Quand certains entonnent « Allahou Akbar », les organisateurs noient les cris avec d’autres slogans dans les mégaphones. Mais ces mots ne dérangent pas Eilish : « Dire que Dieu est grand, c’est une opinion. Si c’est ce que vous pensez, je ne vois pas le souci, quelle que soit la langue dans laquelle c’est prononcé. »
Cette Anglaise de 31 ans avait hésité à venir ce soir au rassemblement de Stand up to Racism. « J’étais persuadée qu’il allait y avoir des contre-manifestants, et je craignais de la violence, raconte-t-elle. Mais je pense que ce qui s’est passé au cours des dernières vingt-quatre, quarante-huit heures, a montré que la police réagit vigoureusement face aux violences. » Eilish a suivi les fils d’actualité sur son téléphone et elle se réjouit de voir que dans tout le pays, les manifestant·es antiracistes sont nombreux. « L’extrême droite est dépassée en nombre », annonçaient plusieurs médias dès mercredi soir.
Les manifestant·es et les autorités espèrent qu’un tournant a eu lieu et que se profile la fin des violences racistes ayant prospéré sur l’instrumentalisation et la manipulation des faits liés à l’attaque au couteau de Southport, qui a coûté la vie à trois petites filles le 29 juillet. Contrairement aux rumeurs sur les réseaux sociaux, le suspect n’est ni musulman ni un demandeur d’asile arrivé illégalement dans le pays.
« J’ai vécu ici toute ma vie, disait mercredi après-midi une jeune fille portant un hidjab, mais je ne me suis jamais sentie aussi peu en sécurité qu’en ce moment même. J’ai l’impression que lorsque je sors de chez moi, je dois regarder de tous les côtés. J’ai peur que quelqu’un me crie dessus, m’insulte ou m’attaque. » La jeune femme de 21 ans a tenu à rester anonyme, tout comme l’amie qui marche à côté d’elle. Elles ne veulent pas se promener seules en ville en ce moment, disent-elles, et elles ne vont que là où il y a du monde pour se sentir moins vulnérables.
Même quand elles passent devant un camion de policiers, elles ne sont pas rassurées. « Si des musulmans provoquaient des émeutes, détruisaient des commerces, brisaient des vitres, blessaient des gens, ils nous traiteraient de terroristes, remarque-t-elle. Mais parce que ce sont des Blancs qui le font, c’est de l’activisme. » Toutes deux voudraient que les émeutiers soient accusés d’actes terroristes. Une possibilité envisagée pour certains cas par les autorités judiciaires, mais d’autres estiment que cela donnerait un vernis idéologique à des agissements opportunistes. Le premier ministre insiste depuis le surgissement des événements sur le fait que les fauteurs de troubles seraient avant tout des « voyous ».
Keir Starmer a aussi martelé qu’ils « n’échapper[aient] pas à la justice ». Mercredi, trois émeutiers ont été condamnés à des peines de prison ferme allant de vingt mois à trois ans. Plus de 500 places dans au moins trois maisons d’arrêt sont préparées pour recevoir les fauteurs de troubles qui seront reconnus coupables dans les prochains jours. Le gouvernement travailliste accélère son programme de libération de certaines détenues à 40 % de leurs peines, pour faire de la place dans les centres d’incarcération.
Ancien procureur général, Keir Starmer estime qu’une justice rapide et intraitable peut dissuader les fauteurs de troubles. Mais quand l’atmosphère sera plus sereine, le Royaume-Uni ne pourra pas faire l’économie d’un examen de conscience.
« Pour beaucoup, ce qui se passe en ce moment est la répétition des tensions raciales que nous avons connues dans les années 1960, 70 et 80, a déclaré un des orateurs de Stand up to Racism. Cette fois-ci, nous devons mettre fin pour de bon à cette menace fasciste. » La foule a applaudi copieusement, mais ces troubles et émeutes pour demander la « fin de l’immigration » s’appuient sur une structuration difficile à contrer, comme l’a montré le haut score (4 millions de votes) du parti populiste Reform UK lors des élections du 4 juillet.
Marie Billon
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