Édition du 5 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections québécoises 2022

« Balayage », « Victoire éclatante » vraiment ?

Comment se fera entendre la voix du peuple au cours des quatre prochaines années ?

Depuis lundi soir le 3 octobre 2022, à quasiment toutes les fois qu’il est question du résultat du dépouillement du vote, plusieurs journalistes ou commentatrices ou commentateurs politiques y vont de superlatifs pour qualifier les résultats obtenus par la formation politique qui a pour nom la CAQ. De mon côté, je n’ai entendu qu’un seul journaliste (Guillaume Bourgault-Côté) préciser qu’il y avait quand même 60% des participantEs au scrutin qui avaient voté contre la formation politique qui est dirigée par François Legault. « Balayage », « Victoire éclatante » ? La question mérite d’être examinée en comparant les résultats obtenus par les principaux partis politiques lors des élections générales de 2018 et de 2022.

Les résultats du 1er octobre 2018

Ce sont 6 169 772 personnes qui avaient le droit de choisir leur représentantE à l’Assemblée nationale le 1er octobre 2018.

4 099 623 se sont prévalus de leur droit de vote, soit 66,45%.

Voici les résultats obtenus par les 4 formations politiques qui ont réussi à faire élire un ou une candidatE :

CAQ : 1 509 455 bulletins de votes (37,42%) et 74 députéEs ;

PLQ : 1 001 037 bulletins de votes (24,82%) et 31 députéEs ;

PQ : 687 995 bulletins de votes (17,06%) et 10 députéEs

QS : 649 503 bulletins de votes (16,10%) et 10 députéEs.

Les résultats du 3 octobre 2022

Ce sont 6 302 789 citoyenNEs qui étaient inscritEs sur la liste électorale pour l’élection générale du 3 octobre 2022.

4 169 137 personnes ont exercé leur droit de vote (66,15%).

Voici la répartition des votes pour les cinq principales formations politiques :

CAQ : 1 685 573 bulletins de votes (40,98) et 90 députéEs ;

QS : 634 535 bulletins de votes (15,43%) et 11 députéEs ;

PQ : 600 708 bulletins de votes (14,61%) et 3 députés ;

PLQ : 591 077 bulletins de votes (14,37%) et 21 députéEs ;

PCQ : 530 786 bulletins de votes (12,91%) et 0 députéE.


Interprétation de ces données

Ces données sont éloquentes et elles nous révèlent ceci : la progression de la CAQ, au niveau du suffrage exprimé, correspond à tout au plus 3,5%.

Le PQ régresse de 2,45%.

QS a vu ses appuis électoraux baisser d’un peu moins de 1% (0,7% pour être plus précis). Le PLQ pour sa part a vu sa base électorale fondre de plus de 10,34%.

Le PCQ a récolté un peu moins de 12,91% des votes.

C’est au niveau de la députation que les résultats présentent la plus grande inégalité de traitement.

Avec un tout petit 3,5% d’augmentation d’électrices et d’électeurs en sa faveur, la CAQ gagne 16 nouveaux ou nouvelles députéEs.

Toutes les autres formations politiques en perdent.

Le PLQ en perd 10, le PQ 7 et QS unE.

Le PCQ, qui a obtenu quasiment 13% du suffrage populaire, se retrouve avec aucunE députéE à l’Assemblée nationale.

Victoire éclatante de la CAQ ? Balayage du parti « bleu poudre » ? Ou détournement de la volonté démocratique du peuple ?

Qu’on se le dise la mode de scrutin uninominal à un tour, combiné à une carte électorale qui comporte des distorsions quant au nombre total d’électeurs et d’électrices, sont deux facteurs qui contribuent à assurer à une formation politique un écart en sa faveur - ou en sa défaveur - au moment du dépouillement du vote.

Il faut se le dire et se le redire, notre mode de scrutin n’a pas pour fonction première de refléter la volonté démocratique du peuple. Il est même arrivé à trois reprises, dans notre histoire (1944, 1966 et 1998), qu’une formation politique se hisse au pouvoir avec moins de voix que le parti politique qui a formé l’opposition officielle. On nous invite, par conséquent, à participer à un mode de scrutin qui permet un résultat final qui correspond à un authentique détournement de la volonté démocratique du peuple.


Morale de cette histoire

On aura remarqué que le taux de participation aux deux dernières élections générales était légèrement supérieur à 66%. C’est donc un tiers des citoyenNEs qui ont préféré s’abstenir d’aller voter en 2018 et en 2022. Ce chiffre est énorme. Tout se passe comme si, au sein de la classe politique, on se réjouit de cette apathie politique citoyenne. Le désintérêt de plusieurs citoyenNEs pour la participation à la vie politique n’est pas vu comme le signe d’un mauvais fonctionnement de la démocratie électorale. Ces personnes, qui ne se déplacent pas pour aller voter, sont réputées s’être disqualifiées de critiquer les politiques à venir des gouvernantEs. Qu’on se le dise, notre système électoral (le mode de scrutin et la carte électorale) est une vraie farce. Il aboutit à des décisions politiques dans lesquelles des individus acquièrent le pouvoir de décider à l’issue d’une lutte concurrentielle portant sur les votes de tout au plus le 2/3 du peuple. La CAQ n’a obtenu que 1 685 573 bulletins de vote sur un potentiel de 6 302 789, soit 26,7% de l’électorat total (ou le total des personnes inscrites sur la liste électorale), un peu plus d’un électeur, d’une électrice sur 4. Ce qui est dramatiquement bas. Manifestement, la démocratie électorale qui se pratique au Québec est le nom pompeux de quelque chose qui aboutit à un résultat inacceptable pour la majorité.

Le rôle du peuple dans la vie politique selon les dirigeantEs

En bout de piste, ce qui est recherché, d’une élection à l’autre, c’est le renforcement de l’apathie politique chez un nombre de plus en plus élevé de citoyenNEs afin que les décisions politiques puissent être prises par les personnes qui formeront l’équipe ministérielle et gouvernementale. La concentration du pouvoir entre les mains d’une majorité parlementaire qui est élue par un citoyenNE sur quatre permet aux dirigeantEs du gouvernement d’imposer quasiment unilatéralement leurs choix et leurs politiques avec un minimum de participation du peuple. Le rôle du peuple, dans une démocratie électorale, se limite à une seule chose : voter et voter le moins possible.

Comment se fera entendre la voix des citoyenNEs pénaliséEs par notre système électoral ?

Au cours des quatre prochaines années, la majorité pénalisée par notre système électoral (parce qu’exclue ou sous-représentée à l’Assemblée nationale) aura à se demander comment faire entendre sa voix auprès du gouvernement et du parti politique qui forme l’opposition officielle. Ces deux formations politiques, la CAQ et le PLQ, ne veulent rien savoir d’une véritable participation du peuple aux choix décisifs concernant notre avenir collectif.

Alors, « Victoire éclatante » ? « Balayage » ? Non, détournement plutôt d’une grande partie de la volonté populaire. C’est la leçon que nous dégageons du scrutin général du 3 octobre 2022.

Yvan Perrier

9 octobre 2022

17h15

yvan_perrier@hotmail.com

Ajout
10 octobre 2022
11h30

Sur les médias...

Les analystes et les chroniqueuses et les chroniqueurs qui sont invitéEs à commenter à la radio, à la télévision et dans les journaux les résultats électoraux ont un immense pouvoir de persuasion et de manipulation de l’opinion publique. Il ne faut jamais oublier que les médias sont des entreprises puissantes. Ils ont le pouvoir de rendre éclatant un résultat médiocre. Les personnes qui sont invitées à commenter l’actualité politique ne doivent jamais oublier qu’elles ont le pouvoir de manipuler l’esprit ou l’opinion des auditrices et des auditeurs. Répétons-le, ce n’est qu’une citoyenNE sur quatre qui a accordé son vote à la CAQ. Les appuis électoraux du parti politique qui sera au pouvoir pour les quatre prochaines années sont minces.

CAQ : Coalition avenir Québec

PCQ : Parti conservateur du Québec

PLQ : Parti libéral du Québec

PQ : Parti québécois

QS : Québec solidaire

Zone contenant les pièces jointes

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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