Édition du 5 novembre 2024

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Le Monde

Bruits de bottes sur la planète, les armées s’équipent

À mesure que les tambours de guerre résonnent plus fort, les nations ouvrent grand leurs coffres, injectant des milliards dans l’arsenal de la défense. La récente annonce par le Canada d’un plan record pour augmenter ses dépenses militaires ne fait que souligner une tendance observée à l’échelle mondiale. La montée en puissance des budgets de défense partout sur la planète, constatée par les dernières données publiées par le SIPRI1, soulève des questions cruciales sur les motivations, les implications et les alternatives possibles à cette course aux armements moderne.

6 mai 2024 | tiré du journal des alternatives | Photo : États-Unis : soldats de la 374e compagnie du génie - Domaine public
https://alter.quebec/bruits-de-bottes-sur-la-planete-les-armees-sequipent/

Mauvais élève de l’OTAN qui demande à ses membres d’accroître leur budget militaire à 2 % du Produit intérieur brut (PIB), le Canada a annoncé un rattrapage le 8 avril dernier en planifiant une augmentation de 32%, le faisant passer de 1,33% à 1,76% du PIB. Cette tendance est observable partout sur la planète, alors que les dépenses militaires ont atteint 2 443 milliards de dollars en 2023, une augmentation de 6,8% comparée à 2022, soit la plus grande augmentation en 15 ans, selon la dernière mise à jour de SIPRI sur les budgets de la défense dans le monde, publiée le 22 avril.

Des suspects habituels…

La force d’armée la plus puissante demeure celle des pays de l’OTAN soit 1 341 milliards de dollars, ce qui représentent 55% dépenses militaires mondiales si on additionne les chiffres de la figure 1 de l’Amérique du Nord, de l’Europe et de l’Océanie.

Les États-Unis expliquent près de 70 % de ces dépenses de l’alliance transatlantique, soit 37,5% des dépenses militaires mondiales. L’importance de l’économie des États-Unis lui permet de dominer sur ce plan, tout en ne consacrant que 3,7% du PIB, ce qui est toutefois plus du double de la plupart des pays de l’OTAN. Malgré cela, la guerre russo-ukrainienne met la pression sur les pays européens qui ont quasiment tous connu une augmentation de leurs dépenses en défense en 2023.

… Aux guerres multipolaires

Mais l’hégémonie militaire n’est pas uniquement une affaire occidentale. Depuis le début du siècle, la carte des dépenses militaires a été redessinée, reflétant les tensions et les dynamiques changeantes de pouvoir. Le deuxième pays le plus dépensier, la Chine, a consacré 296 milliards de dollars US en 2023, soit 6,2 fois plus qu’au début du siècle. Après la Russie qui arrive troisième, c’est l’Inde qui se positionne au quatrième rang avec une augmentation de 174% en 2023.

Cette évolution devient d’autant plus flagrante lorsque l’on compare les dépenses de l’an 2000 à celles de 2023. À l’époque, les cinq pays les plus dépensiers étaient tous occidentaux. Aujourd’hui, des pays comme le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne ont cédé leur place à la Chine, à la Russie, à l’Inde et à l’Arabie saoudite. Cette transition illustre clairement que la course à l’hégémonie passe aussi par l’armement.

Des poids différents sur les économies

Cependant, tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne en matière d’effort de guerre, et ces politiques belliqueuses exigent des sacrifices économiques. Chaque dollar investi dans les forces armées est un dollar de moins pour l’éducation, la santé ou les programmes sociaux. Ce sont plus de 150 milliards de dollars US qui ont été soutirés des autres missions des budgets des gouvernements de la planète.

Si les États-Unis maintiennent leur influence avec des dépenses de 3,7 % de leur budget de l’État, l’Arabie Saoudite consacre près d’un quart du sien aux affaires militaires. En Ukraine, ce chiffre atteint presque 60 %, tandis qu’en Russie, la part du budget gouvernemental attribué à la guerre a augmenté de près de 50% entre 2021 et 2023. Elle se situe actuellement à plus de 16% des dépenses budgétaires et qui traduit sa plus grande capacité économique face à l’Ukraine.

Il est également pertinent de souligner le cas du Qatar, considérant son historique de violations des droits de la personne, souvent ignorées pour favoriser des accords économiques et des investissements lucratifs. Bien que les données de 2023 ne soient pas encore disponibles, en 2022, ce pays a investi plus d’un quart de son budget gouvernemental dans les dépenses militaires, malgré l’absence de conflits directs, et tout indique que ce nombre a depuis augmenté.

Des indicateurs cependant limités

Le manque de données transparentes et complètes pour des pays profondément affectés par les conflits, comme le Yémen, la Syrie ou l’Érythrée, reste préoccupant et limite notre capacité d’analyse et d’action. D’autant plus que les guerres en Ukraine et en Palestine, les tensions en mer de Chine méridionale et les frictions continues entre les grandes puissances sont autant de facteurs qui alimentent cette incertitude quant à l’avenir.

Ces conflits ne sont pas seulement des tragédies humaines, mais aussi des catalyseurs pour une escalade militaire rappelant les tensions d’avant la Seconde Guerre mondiale ou de Guerre froide. Si l’on ne peut pas espérer un nouvel effondrement de l’URSS pour inverser cette tendance, on peut tout de même se demander jusqu’où ira cette escalade.


Autres faits saillants tirés du communiqué du SIPRI

  • Les dépenses militaires estimées au Moyen-Orient ont augmenté de 9,0 % pour atteindre 200 milliards de dollars en 2023. Il s’agit de la plus forte augmentation annuelle jamais enregistrée dans la région au cours des dix dernières années. Les dépenses militaires d’Israël – les deuxièmes plus importantes de la région après celles de l’Arabie saoudite – ont augmenté de 24 % pour atteindre 27,5 milliards de dollars en 2023. Cette augmentation des dépenses est principalement due à l’offensive militaire d’ampleur menée à Gaza durant les trois derniers mois de 2023, en réponse à l’attaque au Hamas en octobre 2023.
  • En 2023, la plus forte augmentation en pourcentage des dépenses militaires de tous les pays a été observée en République démocratique du Congo (+105 %), où un conflit perdure entre le gouvernement et des groupes armés non étatiques. Le Soudan du Sud a enregistré la deuxième plus forte augmentation en pourcentage (+78 %) dans un contexte de violence interne et de répercussions de la guerre civile soudanaise.
  • Les dépenses militaires de la République dominicaine ont augmenté de 14 % en 2023 en réponse à l’aggravation de la violence des gangs en Haïti voisin.
  • Les dépenses militaires de la Pologne, 14ème plus grand dépensier au monde, s’élèvent à 31,6 milliards de dollars après une hausse de 75 % entre 2022 et 2023 – de loin la plus forte augmentation annuelle de tous les pays européens.
  • En 2023, les dépenses militaires du Brésil ont augmenté de 3,1 % pour atteindre 22,9 milliards de dollars. Citant les lignes directrices de l’OTAN en matière de dépenses, en 2023 les membres du Congrès brésilien ont soumis au Sénat un amendement constitutionnel visant à augmenter la fardeau militaire du Brésil à un minimum annuel de 2 % du PIB (contre 1,1 % en 2023).
  • Les dépenses militaires de l’Algérie ont augmenté de 76 % pour atteindre 18,3 milliards de dollars. Il s’agit du niveau de dépenses le plus élevé jamais enregistré par l’Algérie et cela s’explique en grande partie par une forte augmentation des recettes issues des exportations de gaz vers les pays d’Europe à mesure que ces derniers se sont éloignés des approvisionnements russes.
  • L’Iran est le 4ème plus grand dépensier militaire au Moyen-Orient en 2023 avec 10,3 milliards de dollars. Selon les données disponibles, la part des dépenses militaires allouée au Corps des gardiens de la révolution islamique est passée de 27 % à 37 % entre 2019 et 2023.

L’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) est un organisme indépendant à but non lucratif dédié à la recherche sur les questions de paix et de sécurité internationales [↩]

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