Tiré d’Agence médias Palestine.
Ce week-end, une coalition de 50 organisations israéliennes pour la paix et le vivre ensemble se réunira à Jérusalem pour le « Sommet populaire pour la paix », un rassemblement de deux jours qui, selon son site web, vise à « [travailler] ensemble avec détermination et courage pour mettre fin au conflit israélo-palestinien par un accord politique qui garantira le droit à l’autodétermination et à une vie sûre pour les deux peuples ».
Ici, en Israël-Palestine, nous vivons une période sombre et amère, comme nous n’en avons jamais connue auparavant. Dans ces circonstances, une telle démonstration de force de la part d’une gauche réveillée est sans aucun doute importante et significative, et je tire mon chapeau à tous ceux qui œuvrent pour un changement vers un avenir meilleur.
Il faut toutefois reconnaître que la conférence se tiendra dans un contexte de génocide qui a déjà coûté la vie à des dizaines de milliers de Palestiniens à Gaza et qui risque de s’intensifier encore davantage dans un avenir proche. Après avoir examiné attentivement le programme très chargé de la conférence, le mot « Gaza » n’apparaît qu’une seule fois, dans le titre d’un événement intitulé « La paix après le 7 octobre – Voix de la zone tampon de Gaza et de Gaza », qui mettra en vedette « des habitants [israéliens] de la zone frontalière de Gaza et des survivants du massacre, ainsi que des messages vidéo de militants pour la paix à Gaza ».
Plus d’un an et demi après le début de l’anéantissement systématique de la bande de Gaza par Israël, les seules victimes que les organisateurs de l’événement semblent prêts à reconnaître pleinement sont les victimes israéliennes du massacre du 7 octobre. Les Gazaouis, qui sont confrontés à un génocide, doivent être qualifiés de « militants pour la paix » afin d’être légitimés à exprimer leur point de vue devant les participants.
Cela soulève des questions troublantes : comment le « camp de la paix » conçoit-il son rôle en cette période sans précédent ? Et plus fondamentalement encore, comprend-il seulement l’ampleur du génocide auquel nous assistons actuellement ?
Face à une nouvelle réalité
C’est peut-être la tendance à se vouloir « proche du peuple » qui a conduit les organisateurs à choisir des titres aussi stériles et rassurants pour tant d’événements de la conférence : « Woodstock pour la paix », avec « une journée entière consacrée à la connexion avec la terre, la nature, la paix et l’espoir » ; « Les jeunes Israéliens et Palestiniens présentent leur point de vue sur le mot « paix » » ; « Il y a un chemin » ; « L’espoir vient de Jérusalem » ; etc.
Le désir d’offrir de l’espoir, à un moment où il fait cruellement défaut, est compréhensible. Mais lorsque pas un seul événement du programme de la conférence n’est consacré au génocide en cours à Gaza, cet espoir devient, au mieux, détaché de la réalité et, au pire, un échappatoire dépolitisé visant à endormir et à anesthésier les consciences.
Parallèlement, la conférence comprend plusieurs tables rondes traitant des solutions politiques et des cadres potentiels pour « mettre fin au conflit ». Cela suggère que, malgré ce qui se déroule sous nos yeux, les organisateurs estiment que le rôle principal de la gauche israélienne reste inchangé : insister sur le fait que le conflit israélo-palestinien n’est pas inévitable et qu’il existe des solutions qui profitent à tous ceux qui vivent entre le fleuve et la mer. À mon avis, nous avons aujourd’hui le devoir de réexaminer non seulement la réalité, mais aussi notre rôle dans celle-ci.
Cette forte insistance sur les « solutions politiques » implique que ce qui nous manque le plus actuellement, c’est « l’imagination politique », un concept fréquemment invoqué lors de la conférence. Cette hypothèse mérite d’être remise en question. Ce qui se passe à Gaza n’est pas le résultat d’un manque d’imagination de la part des Israéliens et des Palestiniens, ni du fait qu’aucun plan de paix suffisamment clair ne leur ait été présenté au cours des dernières décennies. Le fascisme meurtrier n’a pas pris le contrôle du gouvernement israélien parce que le public n’a pas eu suffisamment d’alternatives.
En effet, nous ne pouvons pas tenir pour acquis que la rupture profonde et sanglante que nous vivons conduira naturellement le public israélien à prendre conscience qu’une autre voie doit être trouvée. Si une certaine partie des Israéliens a peut-être tiré cette leçon depuis le 7 octobre, l’idée la plus répandue est qu’Israël peut et doit « mettre fin à la question palestinienne » par la force, et si nécessaire, par l’anéantissement, le nettoyage ethnique et l’expulsion. Le fait que les sondages ne montrent pas de hausse spectaculaire de la popularité des partis de gauche n’est pas dû à une méconnaissance de leurs programmes politiques, mais au fait que la population n’en veut pas. C’est la réalité à laquelle la gauche doit faire face.
En ce sens, la conférence de paix se replie dans la zone de confort de la gauche israélienne, évitant les questions existentielles auxquelles ce moment historique nous oblige à faire face. Et cela avant même d’envisager les obstacles pratiques aux solutions proposées, comme le démantèlement délibéré par Israël du leadership palestinien et le dépouillement de l’Autorité palestinienne.
Des vérités douloureuses
Je pense que cette conférence est une réponse au sentiment profond et accablant d’impuissance que nous ressentons tous alors que des fleuves de sang continuent de couler sous nos yeux. Il est certes tentant d’offrir de l’optimisme, de la paix et des solutions – après tout, ce sont des choses dont nous avons tous désespérément besoin – l’espoir n’est jamais un luxe ; c’est un moteur indispensable au changement.
Mais pour que l’espoir passe d’un vœu pieux à un plan d’action, il doit être ancré dans la réalité, et non détaché de celle-ci. Je suggère à la gauche de s’attarder un instant dans cette situation de rupture totale et d’impuissance, de reconnaître nos limites dans cette réalité génocidaire et, à partir de là, de réexaminer notre rôle.
La répression institutionnalisée qui vise désormais ouvertement toutes les organisations de gauche en Israël fait également partie de la réalité à laquelle nous devons faire face, et elle exige des choix tactiques et stratégiques radicalement différents de ceux sur lesquels nous nous sommes appuyés jusqu’à présent. Nous devons affronter la dure réalité : aucune des solutions politiques actuellement proposées n’est viable sous ce régime d’apartheid. Le temps des illusions est révolu.
Notre tâche consiste désormais à repenser notre organisation en tant que camp d’opposition dédié au démantèlement de ce système. Cela exigera une bonne dose d’humilité et la reconnaissance lucide qu’avant que des solutions puissent émerger, nous devons d’abord endurer une période douloureuse de lutte prolongée. C’est là que nous devons concentrer notre énergie.
Que les choses soient claires, ces mots ne sont pas écrits par cynisme ; j’ai une profonde admiration pour les organisateurs de la conférence et ses nombreux participants. Je ne doute pas de leurs bonnes intentions et de leur engagement sincère à changer notre horrible réalité. Mais alors qu’Israël affame systématiquement la population dans le camp d’extermination de Gaza, la gauche israélienne ne peut plus rester dans sa zone de confort.
À quoi servent les ateliers de dialogue, les discussions sur le caractère sacré de Jérusalem, les prières interconfessionnelles ou les tables rondes sur les solutions politiques alors qu’un génocide fait rage ? Ce sont des distractions de privilégiés que nous ne pouvons plus nous permettre. Pour transformer la réalité, nous devons d’abord regarder ses horreurs en face et les nommer sans fléchir. Si cette conférence ne peut même pas réunir une seule table ronde sur le génocide à Gaza, et encore moins exiger la fin de la complicité dans ce génocide, comment peut-elle espérer susciter le changement qu’elle prétend poursuivre ?
Une version de cet article a été publiée pour la première fois en hébreu sur Local Call. Vous pouvez le lire ici.
Orly Noy est rédactrice chez Local Call, militante politique et traductrice de poésie et de prose persane. Elle est présidente du conseil d’administration de B’Tselem et militante du parti politique Balad. Ses écrits traitent des lignes qui se croisent et définissent son identité en tant que Mizrahi, femme de gauche, femme, migrante temporaire vivant au sein d’une communauté d’immigrants permanents, et du dialogue constant entre ces différentes identités.
Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : +972 Magazine
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