Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Europe

De l’indignation au pouvoir (7ème partie)

De l'impasse du bipartisme capitaliste à l'émancipation pour le changement de régime

Alors que l’Espagne vit une crise humanitaire sans précédent, le mouvement social subit une répression constante d’un régime qui a peur du changement et protège ses intérêts. Le bipartisme, avec le PP (droite libérale au pouvoir) et le PSOE qui alternent au pouvoir depuis la fin de la dictature est fort affaibli par une succession de luttes sociales victorieuses et l’irruption d’initiatives populaires qui mettent en pratique de nouvelles façons de faire de la politique. À n’en pas douter, l’Espagne entre dans une phase de mobilisation qui augure de possibles changements politiques importants.

« Dans les pays gravement endettés, les électeurs européens réagissent au coup d’État oligarchique par lequel les impôts, la planification de l’économie et le contrôle des budgets, sont passés aux mains de quelques cadres désignés par le cartel international des banquiers. » Michael Hudson, 2011. [1]

Les élections européennes de mai 2014 constituent un 1er test pour le gouvernement espagnol depuis l’arrivée au pouvoir du Parti Populaire (PP) en novembre 2012 et marquent un tournant historique pour au moins deux raisons : tout d’abord l’émergence de la nouvelle force politique Podemos dépasse, à la surprise générale, tout pronostic établi par les enquêtes d’opinion et, par la même occasion, on assiste à l’effondrement du bipartisme qui accuse un coup très dur.

Élections européenne 2014, le début de la fin de l’alternance bipartiste

En Espagne, malgré une participation de 45,85%, les élections au Parlement européen du 25 mai 2014 ont représenté le premier test de l’évolution de la situation politique et sociale espagnole depuis que le PP est au pouvoir [2]. Une comparaison avec les scores obtenus lors des dernières élections au Parlement européen en 2009, montre une tendance nettement marquée vers un effondrement du PP et du PSOE. Le PP passe alors de 42,12 % des votes exprimés en 2009 à 26,05 % en 2014 et de 23 à 16 sièges au Parlement européen. Sur la même période, le PSOE chute de 38,78 % à 23 % et passe de 21 à 14 sièges. Chacun de ces 2 partis - binôme capitaliste - perd environ 2,5 millions de votes. Cela représente près de 5 millions de votes en moins pour la caste du bipartisme qui alterne au pouvoir depuis la fin de la dictature. De plus, résultat inédit, la somme de ces deux partis majoritaires passe en dessous de la barre des 50 %, et atteint 49 % des votes exprimés. C’est un dur revers aussi bien pour le PSOE qui a initié une politique antisociale d’austérité en temps de crise que pour le PP qui poursuit la besogne dans le même registre.

Sources : http://www.infoelectoral.interior.es/min/home.html
y http://www.resultados-elecciones2014.eu/es/election-results-2014.html

À noter qu’il subsiste de légères différences de chiffres entre ces 2 sources. Il faut par ailleurs tenir compte du fait que le Parlement européen passe d’un total de 50 eurodéputés espagnols en 2009 à 54 en 2014. Sur la même période, le nombre total de députés au Parlement passe de 766 à 751. [3]

En Catalogne, bastion historique du PSOE, sa branche catalane, le Parti Socialiste de Catalogne (Partido Socialista de Catalunya, PSC), est descendu de 36 % en 2009 à 14,28 %. Cela s’explique entre autre par un discours nationaliste du PSOE dans un contexte de campagne référendaire sur l’indépendance [4]. Tout cela constitue une profonde défaite qui conduira à une crise interne et au changement de leadership du parti puisque le secrétaire général du PSOE, Alfredo Pérez Rubalcaba, décidera de se retirer (presque en même temps que l’abdication du roi Juan Carlos I, le 2 juin). Cette négation constante à reconnaître le droit à l’autodétermination du peuple catalan, quoi qu’on pense de l’indépendance régionale, jouera en défaveur du pouvoir central et de la monarchie qui montrent une fois de plus leur ingérence antidémocratique. Le parti nationaliste et indépendantiste Esquerra Republicana de Catalunya en tire profit et, pour la première fois depuis la fin de la dictature, devient la première force catalane avec 23,67% des votes.

Le 25 mai, après avoir pris connaissance des résultats, Pablo Iglesias affirmait devant ses militants : « Nous ne pouvons parler de la fin, mais bien du début de la fin du bipartisme. Il faut les virer parce qu’ils sont les responsables de la ruine du pays ». [5]

Ébranlé et désemparé par l’irruption de Podemos, à quelques mois de l’élection municipale de mai 2015, le PP annonce son intention de modifier la Loi électorale afin de permettre aux maires d’être directement élus s’ils obtiennent au moins 40 % des votes dès le premier tour ou, le cas échéant, de concourir au second tour. Les formations de gauche comme Podemos n’ayant pas encore d’implantation large seraient incitées à rejoindre d’autres candidatures unitaires. Cela réduirait ainsi les possibilités des forces minoritaires à s’insérer dans la politique au niveau municipal. En d’autres termes cela renforcerait les probabilités pour les partis majoritaires d’être élus par une minorité. La récente proposition de loi électorale pour protéger le PP de l’effet Podemos dévoile, s’il en était besoin, la peur du régime, c’est un nouveau signe de faiblesse du pouvoir qui craint de perdre bon nombre de votes. Si elle devait voir le jour, cette réforme serait un véritable coup contre la démocratie et la pluralité, le 2e coup de force après le changement constitutionnel d’août 2011, donnant la priorité absolue au paiement de la dette devant tout autre nécessité. Pourtant, face à l’opposition de toutes les autres composantes politiques et l’irruption de nouvelles coordinations unitaires à gauche (Ganemos ou Gwanyem à Barcelone par exemple), le projet semble être reporté pour après les élections municipales.

Les récents scandales de corruption, la mauvaise gestion de la crise Ébola, la démission du ministre Alberto Ruiz Gallardón et les tensions entre la Catalogne et le pouvoir central ont aidé à la propulsion déjà bien amorcée de Podemos dans les sondages. Après s’être placée en troisième position avec 15,3 % des suffrages en juillet [6], le 1er novembre 2014, Podemos devient la première force politique du pays avec 27,7 % d’intention de vote (sur les estimations de votes valides), au delà du PSOE (26,2 %) et du PP (20,7 %). Le PP serait relégué en troisième position devançant Izquierda Unida (3,8 %) et UPyD [7] (3,4 %) [8].


[1« ...un golpe de Estado oligárquico por el que los impuestos y la planificación de la economia y el control de los presupuestos están pasando a manos de unos ejecutivos nombrados por el cartel internacional de los banqueros » Michael Hudson, La transición de Europa de la socialdemocracia a la oligarquía. 6/12/2011.

[2An niveau européen, les résultats définitifs délivrés deux mois plus tard, en plein mois d’août, affichent un taux de participation de 42,54% – soit le score le plus faible depuis les toutes premières élections de 1979. Voir le dossier Flagrant délit d’Attac Bruxelles, novembre 2014. http://bxl.attac.be/spip/spip.php?article1519

[3Voir la liste des eurodéputés élus en 2014 : http://www.europarl.europa.eu/pdf/elections_results/ElectedMEPs.pdf

[4Le 9 novembre, plus de 1 860 000 personnes sur les 2 305290 personnes qui ont participé au referendum non contraignant sur l’indépendance de la Catalogne, ont répondu oui aux deux questions posées, votant ainsi pour que la Catalogne soit une État indépendant. alors même que la votation n’est pas reconnu par le pouvoir central. Lire : 1,8 millones de personas votan por la independencia catalana en el 9-N, Fernando J. Pérez, Pere Ríos, El País, 10 novembre 2014. http://politica.elpais.com/politica/2014/11/09/actualidad/1415542400_466311.html

[5« Asumimos un diagnóstico político del 15M. No podemos hablar del fin, pero sí del principio del fin del bipartidismo. Hay que echarlos porque son los culpables de la ruina del país. ». Il ajoutait en déclaration à El País : « Pero no habremos cumplido nuestro objetivo hasta que no los derrotemos ». Jacobo Rivero, Conversación con Pablo Iglesias, Ediciones Turpial, 2014, page 15.

[6En juillet 2014, Podemos apparaît pour la première fois dans une enquête du CIS (Centre d’Investigations Sociologiques). Selon ce sondage, le parti devient alors la troisième force politique avec 15,2% des suffrages.

[7UpyD (Unión Progreso y Democracia) se définit comme un parti laïque, démocrate, progressiste et transversal, mais reste économiquement libéral.

[8Podemos es la primera fuerza política en España, según una encuesta de El País, 01/11/2014. http://www.eldiario.es/politica/Podemos-elecciones-generales-encuesta-Pais_0_319868361.html et Fernando Garea, Podemos supera a PSOE y PP y rompe el tablero electoral, 2/11/2014. http://politica.elpais.com/politica/2014/11/01/actualidad/1414865510_731502.html

Jérôme Duval

Jérôme Duval

est membre du CADTM, Comité pour l’abolition des dettes illégitimes et de la PACD, la Plateforme d’audit citoyen de la dette en Espagne. Il est l’auteur avec Fátima Martín du livre Construcción europea al servicio de los mercados financieros, (Icaria editorial, 2016) et est également coauteur de l’ouvrage La Dette ou la Vie, (Aden-CADTM, 2011), livre collectif coordonné par Damien Millet et Eric Toussaint qui a reçu le Prix du livre politique à Liège en 2011.

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