Édition du 16 avril 2024

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Marche des peuples pour le climat

NAOMI KLEIN PUBLIE : CAPITALISM VS. the CLIMATE,

De la nécessité de changer de modèle économique pour faire face à la crise écologique.

Democracynow.org, 18 septembre 2014,
Traduction, Alexandra Cyr,

Première partie [1],

Introduction,

Alors que les Nations Unies préparent un sommet sur les changements climatiques nous recevons l’auteure Naomie Klein qui publie, This Changes Everything : Capitalism vs. the Climate. Elle y expose comment notre système économique néo libéral planétaire est maintenant en guerre. Les émissions de gaz à effet de serre étant à leur apogée historique elle plaide pour des actions radicales de changement. (…)

D.N. Juan Gonzalez : Le mois dernier, les scientifiques de la NASA ont confirmé que le mois d’août a été le plus chaud depuis que des données sont colligées. La majeure partie de la planète, dont l’Europe centrale, l’Afrique du nord, une partie de l’Amérique du sud et la partie ouest de l’Amérique du nord ont subit des températures bien plus élevées que les normales. Selon le National Climatic Data Center, les moyennes de températures de ce mois étaient au-dessus des moyennes du 20ième siècle pour la 354ième fois consécutive. Cette nouvelle arrive au moment même ou une inondation tue plus de 400 personnes et en oblige presque un million à ce déplacer au Pakistan et en Inde. Il s’agit de la pire inondation à frapper le Cachemire depuis 50 ans. De sévères sécheresses en Amérique du Sud ont plongé presque 3 millions de personnes dans la famine. La Californie subit sa pire sécheresse depuis un siècle. Un nouveau rapport du Conseil norvégien pour les réfugiéEs démontre que 22 millions de personnes ont été chassées de leurs foyers cette année à cause de dérèglements climatiques sévères. Ce nombre est plus de trois plus élevé que celui des déplacéEs à cause des guerres. Aux seules Philipines, plus de 4 millions de personnes ont été déplacées par le typhon Haiyan.

D.E. Amy Goodman : Mardi prochain, les dirigeantEs du monde entier vont se réunir à New-York dans le cadre du sommet sur le climat organisé par les Nations Unies et son secrétaire M. Ban Ki-Moon. Les militantEs sur les questions climatiques ont prévu une série d’événements d’ici là. Dimanche, ont attend plus de 100,000 personnes à la marche populaire sur le climat ici à New-York. Ailleurs dans le monde, dans 150 pays, plus de 2,000 événements baptisés : peuples pour le climat, sont planifiés. Lundi, les militantEs organisent un vaste sit-in intitulé « Inondez Wall Street, dans le quartier des affaires new-yorkais.
(…) Nous rencontrons donc l’auteure Naomi Klein à propos de son livre : This Change Everything : Capitalism vs. the Climate. (…) Qu’est-ce qui change tout ?

Naomi Klein : C’est le climat qui change tout, justement à cause de tout ce que Juan vient d’énumérer. Nous y sommes ; c’est déjà là. Nous nous en allons vers un réchauffement de 4 à 6 degrés Celsius. Nous avons atteint une augmentation de .7, .8 degrés C. et nous en voyons déjà les effets. Quand vous atteignez ce niveau de réchauffement, les modèles scientifiques sont dépassés. (…) Les scientifiques ne savent pas à quoi s’attendre. Les phénomènes ne vont plus dans le même sens. Donc, cela change tout dans notre monde physique si nous continuons comme si de rien n’était. Ce que je démontre dans mon livre, c’est que nous avons encore la possibilité d’arrêter ce processus, mais que pour le faire, nous devons presque tout changer, dont des choses fondamentales dans notre système économique.

La bonne nouvelle est que dans tout ce que nous devons changer il y a bien des choses qui ne fonctionnent plus. Nous devons investir massivement dans le secteur public pour créer des millions d’emplois. Nous devons investir dans les soins de santé, l’éducation et la science. En faisant cela nous nous attaquons au problème le plus insoluble auquel nous faisons face : le terrible accroissement des écarts de richesse. Nous ne pourrons lutter contre les changements climatiques sans venir à bout des inégalités à l’intérieur des pays et entre les pays. Mon argumentation est donc très optimiste. Je pense que si nous nous attaquons aux problèmes du climat avec la détermination que les scientifiques nous engagent à avoir, si nous agissions dans le sens que nous indique la science, nous avons une chance de transformer notre économie, l’économie mondialisée, pour le mieux. Et si le changement ne vient pas d’en haut, il viendra d’en bas, des mouvements de masse.

J.G. : Bien dit. Mais une des thèses centrales de votre livre démontre que, jusqu’à maintenant en tous cas, nos sociétés ont été incapables de traiter les changements climatiques comme une problématique au cœur du système. Et vous dites à un moment donné : « nous n’avons pas fait le nécessaire pour abaisser les émissions de gaz à effet de serre parce que ces actions entrent fondamentalement en conflit avec le capitalisme dérégulé et l’idéologie dominante qui règne aujourd’hui et contre lesquels nous nous battons pour trouver une sortie à la crise ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

N.K.  : La prémisse du livre est que ce que nous avons fait pour tenter de résoudre cette crise a échoué. C’est reconnu par tous et toutes. On ne peut qu’être d’accord quand on examine les données. Les chiffres ne mentent pas. Les gouvernements ont commencé à négocier la réduction des gaz à effet de serre en 1990. C’est à ce moment-là que les négociations officielles ont commencé. Depuis ce temps, les émissions ont progressé globalement de 61%. Donc, non seulement nous ne résolvons pas le problème, nous l’empirons.

Nous le voyons concrètement tous les jours. C’est-à-dire que les scientifiques nous livrent des messages alarmants, de plus en plus alarmants et en même temps, les dirigeantEs politiques redoublent d’ardeur dans leur soutient à l’exploitation des énergies fossiles les plus sales et les plus dangereuses. Partout sur notre continent, nous augmentons l’exploitation des gaz de schiste, du pétrole des sables bitumineux et du charbon. Vous savez, nous dynamitons nos montagnes. Nous faisons tout cela à une échelle horrifiante. Comment les gens peuvent-ils garder toutes ces contradictions à l’esprit ?

On nous serine toutes ces théories à propos de ce que « nous » n’avons pas fait ou mal fait pour faire face aux changements climatiques. La nature humaine est souvent mise en cause : nous serions incapables faire face à une crise qui va arriver bien plus tard dans l’avenir. Ou bien c’est le système politique qui est à blâmer : nos politicienNEs ne se préoccuperaient que du court terme et nous avons affaire à une crise de long terme.

Je présente une autre théorie : d’accord toutes ces considérations entrent en ligne de compte mais le problème le plus important c’est que cette crise nous arrive au pire moment historique que ce soit. En 1988, James Hansen a témoigné devant le Congrès. Il a déclaré qu’il pouvait, à ce moment-là, établir le lien entre les émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique. Ce fut le moment de notre déni le plus profond. Les scientifiques savaient cela depuis un certain temps, mais cette découverte a été diffusée dans le grand public à ce moment-là. Cette année-là, quand Time magazine a sélectionné son homme de l’année (comme ils disaient à l’époque), ils ont choisi la terre et en ont mis son image en couverture. C’était une manifestation de notre prise de conscience.

Alors dans mon livre je pose la question : quoi d’autre arrivait-il en 1988 ? L’accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis a été signé. Ce fut un moment historique dans l’avancement de la mondialisation des grandes entreprises. L’année suivante, le mur de Berlin tombait. Francis Fukuyama annonçait la fin de l’histoire. Ce fut le moment où l’idéologie fondamentaliste des marchés, comme Joseph Stiglitz l’a désignée, a triomphé a inondé le monde. J’ai expliqué cela dans mon livre, Stratégie du choc. C’est à ce moment-là qu’ils ont déclaré victoire et qu’il n’y avait aucune alternative comme le disait Mme Tatcher.

Nous étions donc dans un problème d’essence collective. Nous ne pouvons le résoudre qu’en mettant en place de solides réglementations qui font payer les pollueurs, et leur disent qu’ils ne peuvent plus tirer les énergies fossiles du sol. Pour résoudre cette crise il faut que nous passions aux actions collectives. Il faut que nous réinvestissions la sphère publique. Et il faut le faire au moment précis où c’est récusé violemment. On ne cesse de nous dire qu’il faut couper dans les services publics, qu’il est impossible de réglementer et qu’il faut embrasser le pur laissez-faire économique. Donc, je soumets qu’il est impossible de résoudre la crise sans procéder à un profond virage idéologique.
(…)

J.G. : En 2011, à la conférence des Nations Unies sur le climat à Durban en Afrique du sud, Amy Goodman de notre équipe a interviewé Marc Morano, éditeur de Climate Depot, un site internet appartenant à Commettee for a Constructive Tomorrow, un groupe de négationistes des problèmes climatiques. Elle lui a demandé quelle était son évaluation de l’action du Président Obama dans ce secteur.
Marc Morano : Nous l’avons surnommé « George W. Obama ». Son négociateur, M. Todd Stern, sera ici aujourd’hui. Ils ont maintenu exactement les mêmes principes et bases de négociation que M. Bush avait il y a huit ans. M. Obama poursuit la même politique. Donc, en tant que sceptiques, nous lui tirons notre chapeau ; il aide à détruire et continue à défaire le processus des Nations Unies. Il est un excellent ami pour nous durant ces conférences. Nous trouvons qu’il est un problème quand il renforce les règlementations de l’EPA (Agence de la protection de l’environnement) ; c’est une grande menace. Mais à cet égard, il n’aurait pu faire mieux qu’il n’a fait en affichant son manque d’intérêt pour la proposition de loi du Congrès sur le climat et face au protocole de Kyoto. Donc, beau travail M. Obama !

A.G. : (…) Dans votre livre, vous parlez de M. Morano. Vous parlez de beaucoup de ces groupes dans le chapitre « La droite c’est la droite ».

N.K. : Bon, soyons clairs : Ils sont dans l’erreur en matière de science. Ils sont dans l’erreur quand aux questions scientifiques. Mais je pense que ce qu’ils ont compris correctement et qui est important, c’est que ce courant de négation est dans les mains de groupes de discussion de la droite aux États-Unis à savoir, Heritage Foundation, Cato Institute, American Enterprise Institute. On connait plus The Heartland Institute parce qu’il organise chaque année les conférences des sceptiques et négateurs des problèmes de réchauffement de la planète. Mais il faut savoir que c’est d’abord et avant tout un groupe de réflexion et de défense de la liberté des marchés. Il ne s’agit pas d’un groupe scientifique. Il est comme tous les autres que j’ai mentionnés. Ils existent pour défendre l’idéologie qui nous est devenue familière, celle de la dérégulation, de la privatisation, des coupes dans les dépenses gouvernementales et d’une sorte de marché libre triomphant. Ils sont soutenus par d’énormes fonds venant de monde des affaires parce que c’est une idéologie qui leur est très, très profitable.

Quand j’ai rencontré M. Joe Bast, le directeur du Heartland Institute pour la documentation de mon livre, il disait candidement que l’analyse scientifique de ces problèmes n’étaient pas son problème principal, mais que lorsqu’il en examinait les conclusions sur le niveau de ce qu’il faut faire pour abaisser nos émissions, et que si c’était vrai, cela justifierait une augmentation très importante des régulations et que c’est à cela qu’il s’oppose. (…) Donc l’enjeu n’est pas leur incompréhension des analyses scientifiques mais bien que les changements qu’elles entraînent démolissent complètement leur idéologie. Comme je l’ai dit, vous ne pouvez pas résoudre cette énorme crise sans bouleverser complètement les fondements de notre économie qui a été construite sur les énergies fossiles qui continuent de l’alimenter. On entend les groupes environnementaux progressistes dire que cela pourrait se faire sans douleur ; il ne s’agirait que de changer nos ampoules électriques, ou un opérer un simple ajustement dans les mécanismes des marchés, ajuster la taxation etc. Pas de problèmes ! Les opposants comprennent bien qu’il faudra des changements en profondeur ; ces changements qu’ils abhorrent. Ce n’est peut-être pas la fin du monde mais c’est la fin de leur monde. C’est la fin de leur projet idéologique. Donc, Marc Morano et Joe Bast sont incapables d’envisager cela, d’y penser. Alors ils nient.

Quand ils déclarent que « la droite c’est la droite » je pense qu’ils ont une meilleure compréhension des implications des rapports scientifiques, de ce que cela signifie de changements dans notre économie, du rôle du secteur public. Le rôle de l’action collective devra dépasser le programme de ces grands groupes centristes assez inconsistants qui tentent de nous convaincre que la lutte contre le réchauffement climatique peut se faire sans déranger l’économie capitaliste en plein boom. On nous rabat les oreilles avec la croissance de l’économie verte et ses atouts pour le monde des affaires : il y aura des marchés pour les énergies vertes etc. etc. Mais pour que cela ait des effets réels, il faudra que les autres entreprises dans les secteurs traditionnels soient soumises à des conditions strictes très importantes.

J.G. : Mais, comment ces capitalistes s’arrangent-ils avec des pays comme l’Allemagne ? Il y a eu des interventions du gouvernement, après des protestations populaires, qui ont porté à près de 25% le niveau des énergies renouvelables. C’est un modèle : même dans les limites d’une économie capitaliste on peut introduire des règlementations, faire des changements significatifs.

N.K. : Oui, c’est intéressant. Je fais état de la situation allemande dans mon livre. Je démontre que les pays qui ont adopté des mesures de protection du climat significatives, en général sont ceux qui ont une tradition sociale démocrate. Ils n’ont pas complètement adhéré au capitalisme dérégulé. Ils sont d’accord pour intervenir pour protéger la sphère publique et la transition énergétique. On voit cela dans les pays scandinaves. Ils ont toujours eu les politiques vertes les plus avancées. Je ne dis pas que c’est parfait. La Norvège est un état pétrolier. Mais par contre, le Danemark se distingue.

L’Allemagne qui a imposé une austérité néo libérale stricte à la Grèce et à d’autres pays, n’a jamais été un état totalement néo libéral. C’est un héritage de la 2ième guerre mondiale. Ils ont un filet de sécurité solide. (…) Vous savez, l’Allemagne a probablement le mouvement environnementaliste le plus fort du monde et particulièrement un très fort mouvement anti-nucléaire. Ils ont exigé cette transition. Avec l’appui des partis de gauche de l’opposition qui travaillent avec le gouvernement, ils ont réussi à introduire cette incroyable transformation énergétique que nous observons. Si nous avions des politiques conséquentes – ils ont un programme de tarification nationale qui encourage la décentralisation des énergies renouvelables – nous pourrions changer les choses assez vite. Pour l’Allemagne les données exactes que vous avez mentionnées sont : 25% des énergies proviennent maintenant de sources renouvelables, particulièrement solaires et éoliennes en petites quantités et elles sont décentralisées.

Mais il y a un hic. Et c’est là que vous voyez le choc des idéologies même dans un pays comme l’Allemagne qui est d’accord pour mettre des incitatifs en action. Leurs émissions de gaz à effet de serre ont augmenté au cours des deux dernières années. C’est plutôt surprenant. Comment cela peut-il arriver au beau milieu de cette transition ? He ! bien parce que Mme Merkel n’a pas voulu rompre avec la règle absolue ; elle n’a pas été capable de dire non aux compagnies qui exploitent les énergies fossiles. Le lobby du charbon est très fort en Allemagne ; on lui a permis de continuer à exploiter le lignite, un des charbons les plus sales qui soient et de l’exporter. La demande pour cette énergie est à la baisse dans le pays.

Donc, il ne s’agit pas que de dire oui. Encore faut-il dire oui pour l’énergie que nous voulons et mettre en place les incitatifs nécessaires et les politiques pour y arriver. Il faut aussi dire non aux énergies dont nous ne voulons pas. Voyez comment M. Obama tourne en rond à propos de l’oléoduc Keystone XL. Il ne se résout pas à dire non à ce projet qui comporte tant de risques et dont l’économie américaine n’a pas besoin. Mais c’est comme si le mot « non » ne pouvait franchir ses lèvres. C’est de cela dont je parle quand je parle de politicienNEs qui sont le pur produit de notre époque de dérégulation.

J.G. : Mais, pendant ce temps, alors qu’on parle du réchauffement planétaire à l’ère de M. Obama, on assiste à une véritable explosion de la production du pétrole ici, aux États-Unis et dont la majeure partie est transportée par train à travers le pays.

N.K. : Oui et c’est un risque énorme. (…) Vous savez, on parle souvent de laisser les affaires continuer comme d’habitude ou de ne rien faire. En fait c’est pire que cela. Nous faisons exactement ce qu’il ne faut pas faire. Nous redoublons les erreurs. Nous sommes dans une frénésie des énergies fossiles en Amérique du Nord.

A.G.  : Parlons du Président Obama. En 2012, il annonçait son appui à la construction de l’oléoduc Keystone XL depuis l’Oklaoma jusqu’au Texas, par la compagnie TransCanada :
« Depuis les 3 dernières années, mon administration a ouvert des millions d’âcres
de territoire à l’exploration du gaz et du pétrole dans 23 États. Nous ouvrons
plus de 75% de nos ressources potentielles en mer. Nous avons quadruplé le nombre
de puits pour atteindre des sommets. Nous avons ajouté suffisamment de nouveaux
oléoducs et de gazoducs pour encercler la terre et un peu plus. En ce moment même,
nous forons partout. Ce n’est pas l’enjeu ni le problème. L’enjeu, (…) c’est que nous
produisons tellement de gaz et de pétrole et que nous n’avons pas les pipelines pour les
transporter là où ils doivent se rendre ».

A.G.  : (…) Naomi, vous êtes une journaliste canadienne et une militante. Pour la première fois, vous avez été arrêtée au cours d’une manifestation devant la Maison blanche contre la construction de l’oléoduc Keystone XL. Comment réagissez-vous aux propos du Président ?

N.K.  : C’est très intéressant. Vous savez j’ai été arrêtée avec au moins un millier de personnes. C’était un très grand exercice de désobéissance civile. Ce qui est intéressant, c’est que nous avons besoin d’énormes investissements dans les infrastructures et nous le faisons dans les mauvaises. Si comme les politiques l’annoncent, nous doublons la fracturation cela signifie la construction d’immenses terminaux pour l’exportation. Ce sont des projets de milliards de dollars. Cet argent n’ira pas dans les infrastructures nécessaires aux énergies renouvelables que nous avons déjà éliminées, l’éolien et le solaire. On sait pourtant qu’on peut le faire. Mark Jacobson de l’Université Standford a fait la recherche et nous dit que 100% de cette énergie est a notre portée. Mais si vous doublez la production des énergies fossiles, particulièrement le gaz, vous la mettez directement en compétition avec les renouvelables. (…) Ça tue le marché. Et cela se passe en ce moment où les capacités technologiques pour ces énergies sont à leur plus haut potentiel. Alors, les agents du libre marché du pays regardent cela et concluent que les prix du solaire sont toujours à la baisse et qu’ils ne peuvent rien faire sinon laisser les marchés décider. Les compagnies du champ des énergies fossiles ont tellement d’argent qu’elles peuvent non seulement le brûler mais aussi s’en servir pour la corruption, les pots-de-vin. Elles ont pour ainsi dire acheté tout le système politique ; elles ont donc les capacités d’intercepter tous les projets de toutes les façons en utilisant des organisations comme ALEC [2] et en faisant imposer des taxes sur les énergies renouvelables.

Elles se battent sur tous les fronts parce que l’économie des énergies renouvelables décentralisées est une toute autre économie que celle liée aux énergies fossiles. Les énergies fossiles sont obligatoirement centralisées. Il faut beaucoup d’infrastructure pour les extraire et pour les transporter. C’est ce qu’expliquait le Président. Les énergies renouvelables sont partout. Le vent, le soleil et les vagues sont gratuits. Donc presque n’importe qui peut devenir un producteur de ces énergies. En Allemagne ils ont introduit la pratique des producteurs-vendeurs. Vous pouvez devenir un producteur pour vos propres besoins et vendre vos surplus. Les compagnies d’énergies fossiles ont compris qu’elles pourraient se retrouver avec des milliers de compétiteurs. Certains parlent des énergies fossiles comme celles du 1% alors que les renouvelables, si elles sont développées correctement, seraient celles du 99%. C’est ce qui est excitant.

C’est un exemple qui montre qu’en résolvant une crise nous nous attaquons aux deux pires crises en même temps : arrêter les catastrophiques changements climatiques et lutter contre les inégalités. L’Allemagne a réussit parce que la décentralisation a été introduite. On entend peu parler de cet aspect. Plus de 900 coopératives de production ont été créées. Des centaines de villes et villages ont décidé de reprendre le contrôle de leur réseau des mains d’opérateurs privés à qui ils les avaient vendus au cours des années 90. Donc, non seulement ils ont leurs énergies renouvelables mais au lieu que les profits aillent aux actionnaires, ils s’en servent pour financer leurs services. L’argent reste dans le circuit local. Ainsi on lutte contre l’austérité, les inégalités et contre les changements climatiques en même temps.

Donc il y a moyen de faire d’une pierre trois coups en s’attaquant à cette crise. Ça influencerait notre système d’alimentation ; nous le décentraliserions, aurions des aliments meilleurs pour la santé et produits avec moins d’effets de serre. Ça serait bon pour l’économie, pour une autre sorte d’économie. Le petit peu de gens qui profitent tellement de la vieille économie font tout pour bloquer toute action qui irait dans un autre sens au moindre signe. C’est un peu décourageant d’entendre M. Ban Ki-Moon et les Nations Unies se réjouir que des centaines de dirigeantEs d’entreprises qui font parti du classement de la revue Fortune, participeront au sommet sur le climat en notre nom. Les modèles dont il sera question ne les intéressent pas.

J.G. : Je veux vous demander comment vous voyez les efforts des entreprises pour tenter de coopter le mouvement environnemental voire de le dominer. Elles rodent autour des Big Greens mais pas autour du mouvement environnemental populaire. Certaines des plus grandes organisations environnementales comme Wildlife Conservation Society et d’autres sont impliquées en ce moment dans l’aide à la promotion de l’exploitation gazière et pétrolière si elle se fait avec des éclairages environnementalistes.

N.K.  : OK. Aux cours des années 70 et 80, en fait jusqu’aux années 80, moment ou le Superfund Act [3] a été adopté, le mot d’ordre était « faisons payer les pollueurs », n’est-ce pas ? Ça se traduisait par l’identification des pollueurs à qui ont faisait payer des amendes et qui devaient nettoyer les dégâts. C’était le principe appliqué. Et beaucoup de grandes organisations environnementalistes vivaient avec ce principe durant les années 60 et 70. Au cours des années 80, il y a eu un virage, un virage idéologique qui s’est passé dans la foulée du virage plus important dans la société de l’ère Reagan et Thatcher. On est passé de « pollueur payeur à amusez-vous pollueurs ». Ou encore, « assoyons-nous avec Wall-Mart, McDonald, Shell et BP et nous trouverons des solutions ensemble. Nous allons les convaincre qu’agir en fonction de la protection de l’environnement est un de leur principe que c’est bon pour leurs affaires ». Dans mon livre je tente de comprendre comment cela a pu arriver. Parce que c’était une très mauvaise idée.

Prenons, par exemple à Wall-Mart. C’est vrai que cette compagnie fait des économies en introduisant des mesures d’efficacité énergétique et c’est vrai qu’elle ne va le faire que pour l’argent. Nous savons déjà cela. Mais elle va encore prendre de l’expansion et aussi rapidement que possible. Donc, alors qu’elle va amoindrir sa consommation énergétique, avec l’aide de groupes comme Environnemental Defense Fund avec qui elle a un partenariat, ses émissions vont galoper parce qu’elle s’agrandit toujours. L’effet net est toujours négatif mais grâce aux appuis de ces groupes verts elle peut se présenter comme un leader des énergies durables.

A.G. : (…) Parlez-nous de ce que fait par exemple, The Nature Conservancy en lien avec les forages.

N.K. : Oui. The Nature Conservancy est le plus grand groupe environnementaliste du monde. Il est actif dans des douzaines de pays. Je me suis intéressée à lui à cause du système de compensations, ce modèle qui a pris naissance à la fin des années 80 et début 90. La question posée à ce moment là était : « Comment pouvons-nous résoudre cette crise sans qu’il n’y ait de perdant » ? Parler de « gagnant-gagnant » veut dire une solution qui est bénéfique pour l’industrie et pour l’environnement. C’était l’hypothèse de départ. Donc ce qui est bon pour l’industrie c’est évidemment de lui permettre de continuer à émettre des gaz à effet de serre si elle compense ces émissions ailleurs dans le monde. On qualifie parfois cette théorie de « théorie du fruit mûr ». Faisons tout-de-suite ce qui est le plus facile. Elle est en lien direct avec ce que les groupes environnementalistes constataient : dur, dur d’affronter Shell, BP, et toutes les grandes compagnies du secteur du charbon. C’est bien plus facile d’acheter des terres aux peuples indigènes qui n’ont pas de pouvoir politique à l’autre bout du monde en leur faisant des promesses de toutes sortes dont la richesse. Cela a aboutit à une série de scandales dans l’univers des compensations : les peuples se sont sentis dépossédés de leurs terres. Quand quelqu’un décide qu’une forêt servira de compensation pour des émissions de carbone, deviendra un puits de carbone, elle doit être protégée donc, ont en interdit l’accès aux populations locales. Ce modèle génère toutes sortes de problèmes. Je pense qu’il existe une manière progressiste de compenser certains des peuples les plus pauvres dans le monde pour continuer à faire ce qu’ils font déjà, c’est-à-dire protéger les terres. Je suis convaincue qu’il y a une manière correcte de faire cela. Mais il ne faut pas que cela permette à une compagnie d’extraction du charbon d’en brûler et de déclencher l’asthme chez les enfants les plus pauvres de notre pays. Donc, l’enjeu se situe à l’inter connexion entre permettre aux émetteurs de gaz à effet de serre de continuer à le faire et utiliser le système de compensations comme rationalisation du phénomène.

Donc, The Nature Conservancy a surement été le plus grand avocat de l’utilisation du système de compensations comme solution aux changements climatiques. J’avais préparé une entrevue avec leurs dirigeantEs ; elle a été annulée à la dernière minute. Mais durant mes recherches je suis tombée sur un article du Washington Post en 2003. Il décrivait toutes sortes de choses douteuses que faisait le groupe dans la mise en marché des terres. (…) Par exemple, le groupe avait acquis une terre au Texas qui lui avait d’abord été donnée par Mobil Oil. Il a dû rappeler Exxon Mobil parce que ses forages mettaient en péril une espèce d’oiseau en voie de disparition, le cupidon des prairies Attwater. Le groupe avait donné son aval à ces forages. Cela a fait scandale. Le groupe s’est engagé à ne plus agir de la sorte. On pourrait penser qu’un groupe environnementaliste n’aurait jamais à dire qu’il n’allait plus s’engager dans des forages lui-même sur un terrain voué à la protection d’une espèce en danger ; mais c’est ce qu’il a dû faire.

Avec ce genre de contrats, il faut toujours aller voir les clauses en petit caractère, comme : « sauf si nous devons respecter un contrat en cour ». Mon chercheur, Rajiv Sicora a examiné le contrat (entre The Nature Conservancy et Exxon Mobil) de bout en bout. Il a été présenté à une conférence sur le génie dans l’exploitation pétrolière il n’y a pas si longtemps. Un représentant de Nature Conservancy y parlait de leur puits au Texas, comment ils l’avaient obtenu et le présentait comme le puits le plus écologique qui soit. Et au fur et à mesure que notre recherche avançait, nous avons acquis la certitude que ce groupe fore toujours et qu’il a foré un nouveau puits. C’est ce qui m’a le plus choquée. De découvrir que le plus grand groupe environnementaliste du monde opère lui-même ou a passé des contrats pour extraire du pétrole et du gaz sur un terrain protégé pour la conservation de la nature.

A.G. : Est-ce qu’il y a eu des disparitions d’espèces dans ce secteur ?

N.K.  : Oui. Tous les cupidons ont quitté ce territoire. Mais The Nature Conservancy soutient qu’il n’y a pas de lien entre cela et leur activité d’extraction. Mais, vous savez, la simple idée qu’un groupe qui supposément se bat contre les changements climatiques exploite lui-même des puits de pétrole et de gaz…au début ils extrayaient surtout du gaz maintenant c’est du pétrole. Ils prétendent qu’ils sont captifs, que le contrat par lequel ils sont liés exige cette activité. Je pose la question : « Est-ce qu’ils se sont suffisamment battus pour sortir de ce contrat » ?

Ce qui est plus important c’est ce que cela nous dit des liens étroits qui existent entre le mouvement environnementaliste et l’industrie gazière et pétrolière. Cela est en train de changer. Nous avons un tout nouveau mouvement, une nouvelle vague de militantEs qui exigent que leurs écoles, institutions religieuses et de leurs villes retirent leurs investissements de l’industrie des énergies fossiles. C’est en partie une réaction à ces liens amicaux entre les grands groupes environnementalistes et les pollueurs.


[1La 2e partie vous sera livrée dans une quinzaine. A.C.

[2American Legislative Exchange Council. Organisation de droite qui regroupe des éluEs au niveau fédéral et des États et de chefFEs de grandes entreprises principalement. Elle intervient dans le débat politique de toutes les manières dont avec beaucoup d’argent pour défendre ses positions de droite en matière sociale, économique et politique. C.f. les articles que nous avons déjà publiés sur notre site. N.d.t.

[3Loi américaine adoptée en 1980 qui oblige les industriels à nettoyer les dégâts et pollutions entrainées par l’exploitation.

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