Édition du 23 avril 2024

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Politique québécoise

De quoi Legault est-il le nom ?

François Legault, politicien gestionnaire, au plus haut dans les sondages, se voit à la tête d’un « État manager », car pour réformer le Québec, il faut réformer l’État. Avant lui, les libéraux, inspirés des préceptes du New Public Management (NPM), lançaient la réingénierie de l’État, c’est-à-dire une débureaucratisation de l’administration et une sacralisation du secteur privé. Mais le gouvernement Charest de 2003, pris dans un dilemme entre la rhétorique politique et la protection de l’administration publique, cédera en partie devant le poids des institutions et des intérêts supposés de l’administration. D’où la faible et lente pénétration du NPM au Québec comparativement à d’autres pays, en premier lieu la Grande-Bretagne, lequel avait trouvé en Margaret Thatcher son héroïne la plus zélée.

Le New Public Management

Huit ans après l’abandon partiel de la réingénierie de l’État par le PLQ, François Legault sans le dire directement, porte un programme de réformes de l’État inspiré largement des recettes issues du New Public Management. Mais à la différence de la réingénierie libérale, la modernisation « legaultiste » de l’État ne se greffe pas directement sur des mesures de compressions budgétaires. L’ambition de Legault est bien plus grande puisqu’il veut entreprendre une « refonte managériale » du service public. Dans un futur rapproché, il entend substituer à l’administration publique, une « administration managériale » censée corriger la supposée déviation technobureaucratique de l’État. Pour soumettre l’ensemble des services publics au credo du NPM, il compte mobiliser systématiquement une approche managériale : définition d’indicateurs de performance, gestion par la performance, valorisation d’une culture du résultat, débureaucratisation généralisée, contractualisation, réduction des effectifs. Ceux, qui connaissent les schémas et outils du NPM, ne manqueront pas de voir que les principes et instruments dégagés dans les « constats et propositions » correspondent aux composantes caractéristiques de celui-ci.

L’apolitisme supposé

« En matière de politique, nous agissons sans être porteurs d’étiquettes » nous dit Legault, fort d’une doctrine managériale qui revendique son apolitisme, un savoir neutre susceptible d’être mobilisé par des partis de tous horizons. Ce managérialisme du NPM est d’ailleurs d’autant plus appropriable que les constats produits par des instances apolitiques, finissent par constituer un diagnostic anonyme et indirect qui peut circuler dans la population, être repris, et servir de fins justificatrices à la Coalition pour l’avenir du Québec (CAQ), mais à d’autres aussi.

L’impératif de refonte de l’État est ainsi devenu une des bonnes causes politiques. Cependant, il n’est pas nécessaire pour Legault de revendiquer directement la modernisation de l’État ou encore le réformisme managérial. Comme la pensée legaultiste appartient à cette « nébuleuse modernisatrice » du New Public Management, les constats en matière d’éducation, de santé, d’économie et de culture des textes de la consultation de la CAQ viennent donc renforcer l’adhésion au mouvement de modernisation managériale de l’État.

Le volontarisme managérial  

Le plan d’action pour l’avenir du Québec établit un diagnostic de crise des façons de faire historiques du système québécois. Puis il mobilise systématiquement des instruments managériaux allant de la culture entrepreneuriale à la culture de la performance, une culture du résultat. Les différents textes de la consultation publique font en effet apparaître un modèle homogène d’organisation performante dont l’entreprise est le modèle. Ils reprennent sous une forme québécoise, des traits caractéristiques du New Public Management et des réformes menées principalement dans les pays anglo-saxons. Comme les mots clés de la consultation de la CAQ sont ceux du NPM (performance, indicateur, évaluation, objectif, résultat, transparence, équité, autonomie, débureaucratisation, entrepreneuriat), il n’est certainement pas anodin de constater qu’ils se soient substitués à ceux de providence, égalité, protection, ancienneté, statut, droit acquis, etc.

Ce discours de Legault, faut-il le souligner, est construit sur une mythologie dualiste dont le propre est d’opposer un pouvoir managérial à un pouvoir bureaucratique. Aussi, quand il s’agit d’expliquer pourquoi « les Québécois doivent s’unir autour d’un plan d’action qui leur redonnera confiance en l’avenir », le plan Legault, semble-t-il, se résume à la confrontation entre un avant stigmatisé par la bureaucratie et un après postbureaucratique symbolisé par la performance. 

Un tel plan d’action symbolise la croyance en l’efficience du volontarisme politique, c’est-à-dire en la capacité de Legault, à agir sur les choses en agissant sur les gens et particulièrement sur ceux qui composent l’État et son administration publique. En témoignent ses préconisations en termes de développement de la contractualisation et de l’évaluation dans l’État, de l’introduction de la concurrence et des outils de la gestion d’entreprise dans les services publics, de la rationalisation de la dépense publique, ou encore de la survalorisation du pouvoir exécutif au détriment d’une fonction publique réduite au rôle de simple exécutante.

La culture de l’évaluation

Les termes dégagés dans les textes prescriptifs de la CAQ reprennent donc grandement les idées préconisées par la doctrine du New Public Management même s’ils n’en répliquent pas la totalité des composantes. Car Legault prend soin de les articuler aux valeurs et représentations historiques du Québec. Par exemple, la notion d’évaluation, développée par le NPM sur le modèle du secteur privé, tend à prendre une place aussi grande que celle de la solidarité, puis au nom de l’équité, elle est présentée comme ayant une application universelle.

L’évaluation s’appliquera donc aussi bien aux fonctionnaires qu’aux enseignants, aux universitaires qu’aux personnels de la santé. Or cette « apologie » de l’évaluation est loin d’être une simple matière à dissertation puisqu’elle constitue une vision et un principe de division qui permettent d’établir une ligne de partage politique entre les étatistes et les managériaux.

L’État dans sa forme managériale agira donc au travers un système incitatif et punitif, une prise en charge autonome de soi, une auto-évaluation, la réalisation par projets, la quantification des objectifs à atteindre, etc. Et, dans le discours managérial ainsi généralisé à l’administration publique, la punition n’ira pas sans la récompense : les indicateurs seront donc couplés à des primes de résultats, individuelles. Mais une fois l’individu posé comme notion constitutive, d’ordre à la fois descriptif et normatif, c’est toute la société qui devra donc être pensée autrement, c’est-à-dire de telle façon qu’elle échappe au modèle hiérarchique et disciplinaire de l’État social.

C’est pourquoi, suite à une arrivée possible au pouvoir de Legault, l’implantation des instruments managériaux sous le label global de l’évaluation, fera office de cheval de Troie. D’ailleurs, il faut lire les textes de la consultation pour constater la fétichisation de l’audit, du contrôle de performance et de la sanction des « mauvais élèves » dans les secteurs de l’Éducation et de la Santé. Ainsi se dessine avec la montée de Legault, une nouvelle forme d’organisation étatique qui acclimate les principes et les solutions prônés par le New Public Management. Le managérialisme de Legault légitime un discours de rupture. Un discours qui est sans doute une conséquence d’une véritable maltraitance politique menée par les libéraux et les péquistes.

L’opportunité politique que représente la désillusion politique

Legault somme les Québécois de se convertir à l’idée d’un État manager encourageant la compétition, fixant des résultats ou résolvant les problèmes en se référant au monde que promeut le New Public Management et non à un État social, pilier de toutes ces protections qui détournent les individus de se lancer dans une économie de compétition, et donc de se confronter à eux-mêmes. C’est à cet « État manager » que les Québécois, qui ne savent plus à quel saint se vouer, se préparent à voter en masse. Ils sont en fait complètement « désillusionnés », au point qu’après avoir voté pour les néodémocrates, ils s’apprêtent à voter pour Legault, comme ça pour voir ! D’ailleurs, Legault se présente lui-même comme le choix à cette désillusion en prônant un apolitisme de bon aloi.

Il se présente comme un acteur historique de première importance puisqu’il est celui qui, enfin, prend la mesure du redressement nécessaire par rapport à l’État social qui marque à lui seul la démesure d’un État qui entend veiller sur tout et sur tous. Il n’est donc pas question, pour Legault, d’ouvrir un débat comportant une pluralité d’enjeux. Les textes de consultation de la CAQ en font foi.

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