Voici le libellé essentiel de cette proposition :
Nous proposons
• que Québec solidaire appuie résolument par une campagne publique, tant au parlement que dans la rue, les mobilisations sociales en cours et favorise leur convergence dans un front uni des luttes contre l’antisyndicalisme, notamment du projet de loi 89, l’austérité et l’extrême droite.
• que le lancement d’une telle campagne publique contre le vent de droite est la meilleure façon de mobiliser nos membres, d’activer nos structures régionales et locales et d’accroitre notre appui populaire.
Cette proposition était complétée de trois résolutions d’urgence appuyant les campagnes syndicales contre Amazon et le projet de loi 89, provenant du RMI, et la grève en cours des CPE. La résolution pour la campagne fut « fortement soutenue par la très grande majorité des intervenants au micro [et] adoptée avec une substantielle majorité. » Le scénario se répéta pour les trois résolutions d’urgence « alors que la direction nationale approuv[ait] tacitement ces résolutions ».
D’analyser le militant du RMI : « [c]’est toute une volte-face pour une direction nationale qui affirmait jusqu’à tout récemment, contre vent et marée, que la seule issue aux multiples crises internes et à la dégringolade du parti dans les sondages se trouvait dans le pragmatisme politique et le recentrage programmatique. » De s’interroger l’analyste : « Mais est-ce un virage stratégique qui s’amorce ou simplement un changement de rhétorique » ? Puis de remarquer : « Depuis une quinzaine d’années, les porte-parole du parti tenaient toujours une conférence de presse à l’issue des instances nationales. Ce n’est point le cas cette fois-ci, alors qu’il n’y a même pas eu un simple communiqué de presse. De plus, rien n’a été annoncé à l’interne… » Il ne lui restait plus à conclure que le RMI s’était auto-piégé par une proposition de campagne politique qui n’engageait à rien sauf à corroborer ce que la direction du parti accomplissait déjà.
L’art de défoncer des portes ouvertes pour dérouler le tapis rouge à la direction
Le parti avait mobilisé un cortège tant pour la manifestation du 8 mars contre le trumpisme organisée par les Mères au front face au consulat des ÉU à Montréal puis il mobilisa de la même façon pour la manifestation citoyenne « Résistons aux menaces de Donald Trump » du début mai sans compter la conférence avec JeanLuc Mélanchon dénonçant l’extrême-droite. Quant à Amazon, bien avant l’annonce de la fermeture antisyndicale de ses centres de distribution au [Québec, « Québec solidaire a en juin 2023] déposé une pétition comportant plus de 7100 signatures qui réclame une enquête sur les conditions de travail dans les entrepôts Amazon. »
Puis il a mobilisé un cortège à l’occasion de la manifestation de février amorçant la campagne syndicale tout en déposant « une motion pour demander au gouvernement de ne plus octroyer de fonds publics supplémentaires à Amazon, une motion refusée par le gouvernement. » Immédiatement dénoncé par la députation Solidaire comme « une vengeance contre la grève du secteur public l’année passée », pendant que le mouvement syndical organisait une semaine de mobilisation contre le projet de loi 89, Québec solidaire arrachait au ministre Boulet l’engagement « de ne pas utiliser son dangereux projet de loi 89 pour briser la grève des travailleuses et travailleurs des CPE […] un premier recul de ce gouvernement… ».
Ajoutons la mobilisation d’uncortège contre Stablex et pour les CPE et pour le Jour de la terre. C’est à peine si on arrive à suivre. Par ses lettres aux membres, la direction du parti les invite à une série de zooms pour « actualiser son programme » et à joindre les nouveaux comités d’action politique (CAP). La résolution du RMI de campagne politique apparaît bien mièvre vis-à-vis ce concret flux d’activités mobilisatrices des membres tant externes qu’internes. Évidemment qu’au CN du début avril, la direction du parti a accueilli à bras ouverts ce défonçage de portes ouvertes afin de lui dérouler un tapis rouge ! Ce genre de résolutions que le CN a adopté à forte majorité sans opposition de la direction et de la députation leur rend service et dessert la cause de la gauche du parti tout en semant la confusion chez ses sympathisant-e-s. Cette résolution n’engage à rien de concret parce qu’elle ne comporte aucun élément de plan d’action. Ainsi elle dore la pilule à la direction qui peut s’en réclamer car le parti non seulement appuie déjà ces luttes mais a aussi appelé des mobilisations pour elles.
Par exemple, on aurait pu, minimalement, requérir de toutes les organisations du parti qui délèguent au CN de tenir une assemblée générale de leurs membres à propos de cette campagne pour proposer des plans d’action locaux en plus de contribuer à un plan d’action national à synthétiser lors du CN de juin prochain. On aurait pu réclamer que cette campagne occupe une place importante à l’école du parti en mai. On aurait pu demander que l’intervention de la porte-parole à l’assemblée publique avec Mélanchon porte sur cette campagne… ce qu’elle a faite et aurait fait de toute façon puisque que le front uni contre la droite et contre ses manifestations concrètes par la CAQ devient une évidence surtout pour un parti se réclamant « des travailleuses et des travailleurs ». Au niveau des revendications, à part Amazon et le PL89, il aurait fallu souligner la lutte féministe-syndical pour « le soin et le lien » et absolument l’incroyable charge islamophobe et antinoire de la CAQ, cautionnée par Carney, sous prétexte de fondamentalisme dans quelques écoles et de fuites éperdues d’Haïtien-ne-s se sauvant du trumpisme.
L’alternative disparaît derrière le train-train des réformes sociales-libérales
La gauche du parti, ou partie d’entre elle, ne semble pas avoir compris que Québec solidaire est un parti de centre-gauche qui fait relativement bien son travail. Ce n’est pas là que le bât blesse. Le problème crucial c’est que le parti des travailleurs et travailleuses ne leur présente aucun projet de société alternatif autre qu’une suite de réformes qu’on pourrait qualifier de sociales-libérales. Même celles-ci sont devenues nébuleuses avec la disparition réellement existante de son programme élaboré sur une dizaine d’années et de sa dernière plate-forme électorale, documents qu’on recherchera en vain sur le site web du parti… et même sur la « centrale » réservée aux membres. On leur a substitué une douzaine de revendications en quatre thèmes (onglet « Nos propositions »), toutes des réformes souhaitables en autant qu’elles soient précises — signalons la pauvreté du volet dit « vert » la disparition de l’indépendance — mais aucunement un projet de société.
Étant donné que la contradiction cruciale du XXIe siècle est celle écologique centrée sur les questions du climat et de la biodiversité, on reste sidéré de constater le silence Solidaire à propos de la filière batterie autour de Northvolt, de la promotion des autos solos électriques et du plan hydro-québécois de hausser de 50% la production d’électricité. Sauf à demander un BAPE et un peu plus de transport public hors seul et dispendieux, QS s’est enligné corps et âme derrière la CAQ. L’épine dorsale de la stratégie de développement socio-économique des partis néolibéraux et de celui social-libéral en devient la même à peu de choses près, soit le capitalisme vert avec son extractivisme minier mais aussi celui des hydrocarbures qui reste indispensable à l’orgie énergétique en découlant.
Où est l’horizon de la société du soin et du lien portée par la « grève sociale »
Comme l’urgence climatique, que l’on prétend oublier en ces temps de guerres tant militaires que tarifaires, nécessitera alors de réduite le carbone atmosphérique à coups de géo-ingénierie à subventionner massivement, les services publics et programmes sociaux sont condamnés à une austérité permanente qui sera imposée à coups de matraques et pire encore. Ne demandez pas à Québec solidaire de promouvoir un projet de société du soin et du lien à base de décroissance matérielle libéré du fardeau de la dette des ménages et de l’obsolescence programmée de la consommation de masse. Le culte de l’auto solo et du bungalow reste sacré bien que ces rêves fabriquées par la propagande capitaliste, appelée publicité, deviennent inaccessibles tout en créant moult frustrations.
C’est cette peur de l’alternative qui explique la démocratie tronquée de la direction Solidaire envers ses membres. On multiplie les forums mais on les encadre de présentations qui laissent peu de place à la libération de la parole des membres. Il suffit de prendre le temps d’examiner le déroulement de cette nouveauté qu’est « l’école solidaire 2025 » pour s’en apercevoir : la parole des membres y sera cadenassée par une longue liste de conférencier-ère-s et de présentateur-trices-s. On comprend qu’un parti qui a si peur de son ombre se contente de campagne politique bien délimitée se satisfaisant de queues de cortège dans les manifestations syndicales et de discours du dimanche quand on fait un « meeting » avec un maître en la matière. Alors qu’il faudrait proposer la construction d’un front anti-néofasciste ciblant CAQ et Conservateurs tout en critiquant les Libéraux qui leur mordent la queue et dont la « grève sociale » — cette grève politique à la québécoise — serait l’horizon.
Marc Bonhomme, 25 avril 2025
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
Un message, un commentaire ?