Édition du 20 mai 2025

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Québec

Lettre ouverte

Investissement d’urgence de 10 millions en itinérance, en voilà une bonne nouvelle ! Vraiment ?

La Coalition des Tables Régionales d’Organismes Communautaires (CTROC) vous invite à prendre connaissance de la lettre ouverte ci-jointe dans le but de la diffuser.

Gatineau, le 30 avril 2025
Madame Chantal Rouleau
Ministre responsable de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire
Édifice J.-A. Tardif
425, rue Jacques-Parizeau
4e étage
Québec (Québec)
G1R 4Z1
Ministre.ssac@mtess.gouv.qc.ca

Madame la Ministre,

Votre annonce du 7 avril dernier d’octroyer un fonds d’urgence de 10 millions sur deux ans à des organismes communautaires aux prises avec une hausse de l’itinérance semble réjouissante… à première vue. De fait, que pourrait-on trouver à redire à ce que votre gouvernement prenne ses responsabilités face à la dégradation des conditions de vie d’un nombre de plus en plus effarant de
citoyens et citoyennes ? Comment ne pas se réjouir devant votre volonté d’aider ceux qui aident les personnes directement touchées par la crise du logement, la hausse du coût de la vie, l’insécurité alimentaire, les inégalités sociales, pour n’en nommer que quelques-uns ?

Au risque d’être accusée de jouer les trouble-fêtes, la Coalition des Tables Régionales d’Organismes Communautaires (CTROC) souhaite malgré tout vous faire part de quelques bémols qui nous préoccupent grandement.

Chacun son métier, les vaches seront bien gardées

Cet ancien proverbe français souligne l’importance qu’il y a à se concentrer sur ses champs de compétences, de responsabilités et d’expertises pour garantir les meilleurs résultats possibles. C’est précisément là que le bât blesse. Au lieu de verser directement l’enveloppe de rehaussement aux organismes communautaires en passant par les mécanismes de répartition financière en place au sein de votre gouvernement, vous avez choisi de confier la distribution d’une enveloppe de 8,5 millions à une organisation philanthropique privée. Pour bénéficier de cette enveloppe, les organismes concernés devront déjà être financés par l’État alors qu’ils ne sont pas tous connus du réseau des Centraide. Ces derniers devront donc s’adresser aux différents ministères pour obtenir une liste d’organismes éligibles.

Nous ne voyons pas en quoi l’objectif annoncé de procéder rapidement pourrait être atteint avec l’ajout d’un intermédiaire entre le gouvernement et les organismes communautaires.Pour en revenir à l’adage cité plus haut, le gouvernement a entre autres le rôle de gérer les finances publiques. Dans cette optique, des programmes sont mis en place afin d’encadrer les conditions à respecter pour administrer au mieux les allocations financières destinées aux organismes. Ainsi qu’il est mentionné sur le sitede votre ministère « chaque membre du personnel s’acquitte de ses tâches avec professionnalisme. Dans l’atteinte des résultats visés, il met à contribution ses connaissances, ses habiletés, son expérience. Il est responsable de ses décisions et de ses actes ainsi que de l’utilisation judicieuse des ressources et de l’information mises à sa disposition ». Selon nous, vous avez transféré une responsabilité dévolue à votre gouvernement à une organisation privée en passant outre les champs de compétences et d’expertises de votre personnel. Il est difficile de ne pas y voir là une forme de désaveu.

Cette façon de procéder nous apparait comme un dangereux précédent que nous ne souhaitons pas voir se reproduire.

C’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe

Nous convenons que les programmes ministériels balisant le soutien financier aux organismes communautaires sont perfectibles. D’ailleurs, dans certains ministères, des travaux d’amélioration sont en cours conjointement avec les représentants des organismes communautaires, et ceci dans le meilleur intérêt des organismes, des personnes qu’ils rejoignent et du gouvernement. Pour plusieurs d’entre eux, ces programmes reposent sur des principes de base qui définissent l’action communautaire autonome décrits dans une politique de reconnaissance de l’action communautaire adoptée en 2001 par le gouvernement, ainsi que dans ses documents complémentaires, soit le cadre de référence et le plan d’action en matière d’action communautaire.

Pour ce qui concerne plus spécifiquement le soutien financier, la politique gouvernementale met de l’avant la nécessité d’assurer la consolidation de l’action communautaire par des orientations générales et des grandes balises nationales, et de renforcer et accroitre l’action des organismes
communautaires autonomes en favorisant leur stabilité et la continuité de leur intervention par un mode de soutien financier qui correspond à leurs caractéristiques et à leur approche globale.1

Même s’il est vrai que la politique gouvernementale avance en âge, ses ingrédients essentiels ne se détériorent pas. En 2025, il est toujours d’actualité de recourir aux mécanismes existants visant à assurer une prévisibilité aux organismes communautaires autonomes. Il reste au goût du jour de
prioriser le mode de financement à la mission globale pour garantir la préservation de l’autonomie de gestion des organismes communautaires. Ce sont là quelques-uns des éléments de base qui soutiennent la capacité des organismes à répondre aux besoins des populations qui les fréquentent
et à contribuer ainsi au maintien d’un filet social de plus en plus fragilisé.

En donnant la responsabilité au privé de financer des organismes communautaires à partir d’une enveloppe publique sur une période de deux ans pour des projets structurants, cela nous parait très loin des objectifs de la politique gouvernementale.

Pourquoi changer non seulement les ingrédients d’une recette qui fonctionne, mais aussi le pot ?

Mieux vaut tard que jamais

Pour la CTROC, il est essentiel de ne pas confondre les rôles du gouvernement et d’organisations autres telles que les fondations. La gestion des finances publiques relève de la mission du gouvernement, alors que celle des organisations philantropiques consiste à collecter des fonds. En outre, étant donné la provenance distincte de leurs ressources financières, ces instances ne peuvent agir comme des vases communicants. Le gouvernement possède tous les mécanismes nécessaires au sein de ses ministères pour octroyer le soutien financier directement aux organismes communautaires sans déléguer ses responsabilités à un intermédiaire sous le couvert de l’urgence d’agir.

À défaut de corriger le tir, nous vous demandons, Madame la Ministre, de :

 Faire en sorte que cette orientation ne s’étende pas aux autres ministères de votre gouvernement, et qu’elle en soit le point final ;

 Appliquer les orientations de la politique gouvernementale sur l’action communautaire, notamment en regard des programmes existants et du soutien financier à la mission globale.

En vous remerciant à l’avance pour votre collaboration, nous vous prions de recevoir nos salutations.
Daniel Cayley-Daoust, président
Coalition des Tables Régionales d’Organismes Communautaires
c.c._ M. Lionel Carmant, ministre responsable des Services sociaux

Notes

1. Gouvernement du Québec, L’action communautaire, une contribution essentielle à l’exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec, ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, septembre 2001, p. 16

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