Édition du 30 avril 2024

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LGBT

Droits des personnes trans et non binaires

Je vous écris aujourd’hui pour vous faire part de ma consternation face aux récentes déclarations que vous a inspirées la 1 Million March 4 Children du mercredi 20 septembre dernier.

Montréal, le 1er octobre 2023

Monsieur François Legault,
Premier ministre du Québec

OBJET : Droits des personnes trans et non binaires

Monsieur le Premier Ministre,

Je vous écris aujourd’hui pour vous faire part de ma consternation face aux récentes déclarations que vous a inspirées la 1 Million March 4 Children du mercredi 20 septembre dernier. Cette manifestation se déroulait simultanément dans 70 villes canadiennes, y compris à Montréal, sous les fenêtres mêmes de votre bureau.

Or cette manifestation, planifiée avec soin et organisée par un puissant lobby, n’avait rien de spontané. Elle s’inscrivait dans une offensive sans précédent visant à supprimer les droits des communautés LGBTQ+, laquelle offensive porte déjà ses fruits empoisonnés dans de nombreux États au sud de la frontière.

Voici comment ce groupe, appelé Action4Canada, se décrit lui-même dans son site Web :
« Our mission is to protect Canada’s rich heritage which is founded on Judeo-Christian biblical principles. Inherited through our British Commonwealth and embedded in the Magna Carta, these principles form our laws and values and are the basis of a system of governance that sets us apart from totalitarian, extremist and communist regimes. Giving Canadians the freedom to believe, or not to believe, without fear of persection, oppression or even death. WE ARE UNITED, ON THE MOVE AND DEVOTED TO MAKING CANADA GREAT AGAIN ! »
À leur manifestation du mercredi 20 septembre dernier, j’ai pu voir des pancartes sur lesquelles se lisaient les mots : « One Canada, One flag » surmontant l’unifolié. D’autres accusaient les communautés LGBTQ+ d’être « sataniques ». Il m’apparaît évident que ces gens ne sont des amis ni du Québec ni de la laïcité. Beaucoup sont des fondamentalistes chrétiens et musulmans, unis dans la détestation des communautés LGBTQ+ et, plus largement, des droits et libertés individuelles auxquelles ils s’opposent au nom de leurs dogmes religieux.

Vous avez cru voir en eux des « parents inquiets » : si ces gens sont si inquiets pour leurs enfants, pourquoi diable leur font-ils manquer une journée d’école pour les utiliser comme boucliers humains ? Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’ils emploient cette tactique : bon nombre des organisateurs étaient également derrière le Convoy for freedom qui a assiégé la ville d’Ottawa et est même allé jusqu’à vous menacer personnellement, faut-il vous le rappeler, alors que la cible de leur détestation était plutôt, à cette époque, les mesures sanitaires visant à lutter contre la pandémie de COVID-19.

Ces gens ne sont absolument pas représentatifs de la vaste majorité des parents du Québec : selon un récent sondage Angus Reid, 80 % d’entre eux seraient disposés à accompagner la transition de leur enfant s’il se révélait être trans ou non binaire. Dès lors, de quelle « crise » parle-t-on, et où est la nécessité de prendre des mesures immédiates et urgentes sur cette « épineuse » question ? Épineuse, je veux bien, mais pour qui ?
Vous avez cru voir « des extrémistes des deux côtés » : on vous aura sans doute mal informé. Qu’y a-t-il d’extrémiste à défendre sa dignité et ses droits fondamentaux face à des groupes haineux qui visent à les supprimer ? Les communautés 2ELGBTQ+ ne sont pas allées chercher ces gens et n’ont rien fait pour mériter cette attaque concertée à l’échelle du Canada, uniquement motivée par une vision dogmatique de la société, et par le désir d’en finir avec nos droits et de nous faire disparaître de l’espace public.

Monsieur le Premier Ministre, je ne peux pas croire que vous allez livrer une minorité vulnérable pieds et poings liés à des fondamentalistes religieux, après vous être fait le champion de la laïcité au Québec. Allez-vous réellement aider ces fanatiques à rendre le Canada « great again » sur la base de « biblical principles », au mépris de toutes les valeurs pour lesquelles nos mères et nos pères se sont battus au fil des générations ? Au mépris même de la laïcité et de la démocratie qui fondent notre société ? Est-ce « comme ça qu’on vit au Québec », dorénavant : à genoux devant les premiers intimidateurs venus ?

Cette « crise » montée de toutes pièces sent la manipulation à plein nez. Les parents sont inquiets, vraiment ? Quatre-vingt pour cent d’entre eux disent le contraire. Ce n’est pas une majorité négligeable, vous en conviendrez.

Les débats sur le genre et sur les transidentités, ils ont déjà été faits cent fois. De nombreux mémoires ont été déposés, des comités scientifiques se sont penchés sur la question, et il a finalement été reconnu que la dysphorie de genre n’est pas une plaisanterie, et que permettre la transition dès l’adolescence contribue à sauver de nombreuses vies. Le gouvernement du Québec a aussi jugé qu’il ne lui appartenait pas de déterminer le genre de quiconque à sa place :

La personne dont l’identité de genre ne correspond pas à la mention du sexe figurant à son acte de naissance peut, si elle satisfait aux conditions prévues par le présent code et à celles déterminées par un règlement du gouvernement, obtenir la modification de cette mention et, s’il y a lieu, de ses prénoms.

Ces modifications ne peuvent en aucun cas être subordonnées à l’exigence que la personne ait subi quelque traitement médical ou intervention chirurgicale que ce soit.
Sous réserve des dispositions de l’article 3084.1, seule une personne domiciliée au Québec depuis au moins un an et ayant la citoyenneté canadienne peut obtenir de telles modifications.
(Code civil du Québec, art. 71 (2016), RLRQ C CCQ-1991)

Nos droits sont désormais acquis, cautionnés par la loi, et spécifiquement protégés par l’article 10 de la Charte québécoise des droits et libertés. Nous ne demandons rien d’autre que le maintien et la protection de ces droits. De plus, votre gouvernement dispose depuis 2011 d’un Bureau de lutte contre l’homophobie et la transphobie : comment se fait-il qu’il ne soit pas au cœur du dossier ?

Votre proposition de « conseil de sages » apparaît comme un immense camouflet au visage des communautés trans et non binaires. Et le fait d’en écarter d’emblée les premières personnes concernées, de même que les spécialistes qui les accompagnent et les étudient avec sérieux, n’a rien pour nous rassurer. C’est d’une condescendance absolue, comme si nous étions trop débiles pour parler pour nous-mêmes. Je suis en contact avec de nombreuses personnes de nos communautés et je puis affirmer que le niveau d’anxiété et de détresse monte en flèche depuis que vous avez fait cette déclaration.

Permettez-moi de vous rappeler que le taux de suicide est huit fois plus élevé parmi les jeunes trans et non binaires que dans le reste de la population. Allez-vous courir le risque de pousser un grand nombre de ces jeunes à commettre l’irréparable, en limitant leur accès aux soins qui peuvent les sauver ?

J’ose espérer, Monsieur le Premier Ministre, que vous reconsidérerez votre position et poserez un geste concret pour rassurer les minorités sexuelles et de genre, qui ont actuellement la nette impression que vous les sacrifiez froidement à des préjugés transphobes teintés de beaucoup d’ignorance, à des courants patriotiques canadian hostiles au Québec et à des mouvements fondamentalistes religieux. C’est contraire à tout ce que vous avez défendu depuis que vous occupez votre poste, et c’est indigne de votre fonction de premier ministre du Québec, gardien de la nation et protecteur de nos droits et libertés. Je vous crois capable de beaucoup mieux.

Je vous prie d’agréer, en terminant, l’expression de mes sentiments les plus distingués.

Pascale Cormier, écrivaine, poétesse et traductrice

c.c. : Mme Martine Biron, ministre responsable de la lutte contre l’homophobie et la transphobie
Mme Manon Massé, députée de Sainte-Marie–Saint-Jacques, Québec solidaire
Mme Jennifer Maccarone, députée de Westmount–Saint-Louis, Parti libéral du Québec

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