Édition du 7 octobre 2025

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LGBT

Luttes queer contre l’offensive transphobe : retour sur la mobilisation à New York

Dans cet article, Danielle Bullock, Eric Fretz et Keegan O’Brien, trois militant·es basé·es à New York, reviennent sur l’organisation des ripostes locales aux attaques anti-trans de l’administration Trump, en particulier dans les écoles et les hôpitaux.

Tiré de la revue Contretemps
30 septembre 2025

Par Danielle Bullock, Keegan O’Brien et Eric Fretz

L’offensive implacable de Trump contre les personnes transgenres est l’une des caractéristiques de son second mandat. Comme toutes ses récentes attaques contre les libertés civiles, l’offensive contre les personnes transgenres a été rapide et spectaculaire dès les premiers mois de sa présidence. Depuis son entrée en fonction, le président a signé cinq décrets visant les personnes transgenres, leurs soins de santé, leur éducation et leur capacité à participer à la vie publique.

L’intensification soudaine de ces attaques a semé l’inquiétude jusque chez les personnes trans vivant à New York (NYC), pourtant considérée depuis longtemps comme un bastion de résistance queer et trans, ainsi qu’un refuge relatif face à l’agenda transphobe de la droite qui déferle sur le pays depuis plusieurs années. À NYC, les soins d’affirmation de genre sont disponibles à la fois dans les hôpitaux publics et privés ; les règlements scolaires publics de la ville et de l’État protègent explicitement les droits des jeunes trans, et les agences municipales sont encadrées par une politique anti-discrimination trans-inclusive. Plus récemment, le conseil municipal a adopté une législationambitieuse visant à renforcer les droits des communautés trans et non-binaires.

Il faut cependant se rappeler que ce statut protecteur est le fruit de luttes. En 1969, New York était une ville dangereuse pour les jeunes queer, et le Christopher Street Park, dans le West Village, n’offrait qu’un abri précaire face aux violences et aux abus dont étaient victimes les jeunes LGBTQ+ dans l’espace public. L’explosion a eu lieu cet été-là, le 28 juin, lors d’une descente de police au Stonewall Inn, un bar gay de Greenwich Village [1]. À l’époque, les descentes de police dans les bars homosexuels étaient courantes, et les clients pouvaient être arrêtés sur la base de fausses accusations, comme la contrebande d’alcool ou le trouble à l’ordre public. Mais cette nuit-là, les choses ont basculé : au lieu de se disperser comme à l’accoutumée, les personnes présentes ont résisté, et c’est ainsi qu’a débuté la révolte de Stonewall, une émeute de six jours.

Bien entendu, Stonewall n’a pas transformé d’un coup le quotidien de tou·te·s. Le Gay Liberation Front (GLF) [2] fut fondé quelques semaines plus tard, et la Christopher Street Liberation March, organisée un an après les émeutes, rassembla des milliers de personnes. Mais les plus vulnérables de la communauté queer — personnes trans, racisé·es, lesbiennes, travailleur·euses du sexe, personnes sans-abri — furent en grande partie marginalisé·es par le mouvement dominant. Sylvia Rivera(1951-2002) et Marsha P. Johnson (1945-1992) fondèrent les Street Transvestite Action Revolutionaries (STAR) [3], un collectif qui offrait logement, nourriture, assistance juridique, et surtout un espace politique radical pour les personnes trans. « STAR, c’était pour les jeunes queer des rues, souvent sans-abri, pour toutes celles et ceux qui avaient besoin d’aide à ce moment-là », se souvenait Sylvia Rivera dans une interview avec Leslie Feinberg [4].

Malgré les avancées importantes obtenues par les personnes queer de New York au cours des 55 années qui ont suivi Stonewall, même la relative sécurité de la ville a été remise en cause par les décrets de Trump. Mais, comme en 1969, les personnes queer ne se laisseront pas faire sans se battre. Quelques jours après le premier décret anti-trans de Trump, des manifestations ont été organisées et les personnes transgenres et leurs alliés ont commencé à se rassembler en grand nombre pour manifester leur opposition à New York et ailleurs. Pour développer et soutenir cette opposition, il est important que les militant·es retracent le déroulement de la lutte jusqu’à présent et en tirent les leçons.

Pourquoi les écoles sont-elles si importantes dans la lutte pour les droits des personnes trans ?

Sans surprise, les attaques de Trump contre les personnes trans se sont principalement concentrées sur les services publics — en particulier les écoles publiques. Ces dernières ont toujours été un terrain de lutte, mais les enjeux n’ont jamais été aussi cruciaux qu’aujourd’hui. Nous avons assisté à des attaques contre le Département fédéral de l’Éducation, contre les initiatives DEI (diversité, équité, inclusion) dans les écoles à travers tout le pays, et même contre des enseignant·es individuellement, accusé·es de soutenir les élèves trans et non-conformes aux normes de genre.

Jusqu’à présent, le responsable du système scolaire new-yorkais (Chancellor) a affirmé que les écoles publiques resteraient un refuge sûr pour les personnes trans et queer, en particulier les jeunes. Mais les militant·es savent qu’il faut rester en alerte. Cette vigilance est d’autant plus nécessaire dans le contexte du contrôle direct du système scolaire par le maire. Début avril, un juge fédéral a prononcé l’abandon de toutes les charges de corruption contre le maire de New York, Eric Adams — une décision prise à la demande du ministère de la Justice, qui a fait valoir qu’Adams ne pouvait pas mettre en œuvre les « politiques et initiatives fédérales en matière d’immigration » tant que ces accusations étaient maintenues. Avec un maire désormais acquis à Trump, les jeunes trans et leurs allié·es s’interrogent : combien de temps faudra-t-il avant qu’Adams n’exige des changements dans la politique scolaire de la ville, au détriment des élèves les plus vulnérables — les enfants trans, mais aussi les élèves immigré·es, en situation de handicap ou racisé·es ?

L’école, un deuxième foyer ?

On considère souvent que l’école est un « second foyer » pour les élèves — mais ce n’est pas toujours vrai pour les jeunes trans. Il est certain que les écoles de New York bénéficient de protections absentes dans de nombreuses autres régions du pays. Le règlement du Département de l’Éducation de la ville garantit un environnement sûr et bienveillant pour tous les élèves ; les enseignant·es queer peuvent, dans l’ensemble, être ouvertement queer au travail ; des alliances genre et sexualités, GSA (Gender and Sexuality Alliances) [5] peuvent exister dans tout établissement qui en organise une ; et les programmes scolaires sont censés intégrer une approche inclusive envers les personnes LGBTQ+. Mais au-delà de ces politiques générales, il reste difficile, au cas par cas, d’évaluer si chaque établissement scolaire est réellement un espace sûr pour les élèves LGBTQ+. Selon un rapport sur le climat scolaire publié en 2019 par le GLSEN, les écoles new-yorkaises n’étaient pas toujours sûres pour les élèves LGBTQ, 54 % des élèves trans ne pouvaient pas utiliser les toilettes correspondant à leur genre, et 36 % se voyaient interdire l’usage de leur prénom ou de leurs pronoms choisis à l’école.

Les décrets présidentiels de Trump n’ont fait qu’accentuer ces disparités. Ses attaques à l’échelle nationale contre les groupes les plus vulnérables constituent également une menace pour les enseignant·es, les élèves et l’intégrité du système éducatif new-yorkais. Dans un contexte fédéral de permissivité vis-à-vis des discriminations et de la violence envers les personnes trans, les responsables et les enseignant·es des écoles de NYC subissent moins de pression pour faire respecter les droits et la sécurité des élèves trans. Les enseignant·es en poste qui encadrent les GSA, qui créent des espaces sûrs pour les élèves et qui s’opposent aux pratiques scolaires discriminatoires sont désormais confronté·es à des défis nouveaux et parfois dangereux. Les écoles de NYC sont un terrain de lutte, et les enseignant·es sont en première ligne — engagé·es à faire en sorte que chaque élève se sente en sécurité, pour que chaque élève puisse apprendre.

Les attaques contre les jeunes transgenres de New York dans le deuxième district de Manhattan

Comme le rapporte le magazine Tempest, des membres du Community Educational Council (CEC)[6] du District 2 de Manhattan, soutenus par le groupe conservateur Moms for Liberty,[7] mènent une véritable offensive contre la jeunesse trans à New York — mais les enseignant·es et les membres de la communauté ne se laissent pas faire. Depuis mars 2024, élèves, parents et allié·es mènent une mobilisation continue depuis 15 mois contre une résolution transphobe votée par ce CEC à majorité conservatrice : la résolution 248 [8]. Ce texte recommande au Département de l’Éducation de NYC de revenir sur sa politique autorisant les jeunes trans à participer aux équipes sportives correspondant à leur genre. Bien que cette recommandation n’ait pas de valeur contraignante, les élèves trans et leurs soutiens se sont rapidement mobilisé·es pour la contester.

Depuis mars 2024, des centaines de militant·es, de parents et d’habitant·es en colère se rassemblent chaque mois aux réunions du CEC du District 2 pour exiger l’abrogation de la résolution 248. Les collectifs. Aunties and Friends for Liberation et Trans Formative Schools sont mobilisés depuis un an pour combattre la transphobie, avec des interventions et des actions soigneusement préparées lors des réunions mensuelles. Ils ont également organisé une liste de parents du District 2 pour affronter les candidat·es d’extrême droite et les évincer lors des élections du printemps 2025. Le CEC du District 2 a pris un virage fortement réactionnaire avec l’élection de Maud Maron, membre de Moms for Liberty, et de ses allié·es, qui ont plongé le Conseil dans le chaos et la crise.

Le 10 avril, une lettre adressée à Melissa Avilés-Ramos, chancelière des écoles publiques de la ville de New York, a été signée par de nombreux·ses élu·es new-yorkais·es. Elle dénonçait l’absence flagrante de démocratie et les manœuvres de manipulation du règlement interne utilisées lors des réunions du CEC du District 2 — manœuvres destinées à empêcher les militant·es d’abroger la résolution haineuse. Cette lettre appelait la chancelière à enquêter sur le fonctionnement de l’organisme et à faire appliquer les lois garantissant la transparence des réunions publiques. Elle dénonçait avec force les comportements de certain·es membres du CEC D2, accusé·es de compromettre le fonctionnement du conseil, de trahir la confiance du public et de fouler aux pieds les principes élémentaires de gouvernance démocratique.

En échangeant avec les enseignant·es et les élèves lors de la réunion du CEC du District 2 en avril, un sentiment revenait constamment : la frustration et la défiance. Les élèves trans exprimaient leur désir de se sentir en sécurité et reconnus à l’école. «  En tant qu’élève trans, ce dont j’ai besoin pour me sentir en sécurité, à l’aise et heureux·se à l’école, c’est de voir des adultes trans dans mon établissement. C’est quelque chose d’absolument crucial pour moi. J’avais un·e enseignant·e trans qui a quitté l’école, mais iel a joué un rôle essentiel dans le début de ma transition — iel m’a littéralement sauvé la vie  », a déclaré Mina, 17 ans, élève et militante.

Les actions mensuelles ont aussi renforcé l’engagement des allié·es.

« Je pense qu’il ne faut pas sous-estimer les petits gestes, mais reconnaître que ça ne suffit plus », explique Auggie, autre militant·e trans impliqué·e dans le collectifAunties and Friends for Liberation. « Il faut être prêt·e à se battre pour la sécurité des enfants trans, parce que je sais qu’au fond de vous, si un enfant était en danger, vous voudriez vous interposer entre lui et ce danger. Donc ça va au-delà du fait de mettre ses pronoms dans sa signature mail. » [9]

Les manifestations mensuelles sont massives, dynamiques et porteuses d’espoir. Elles montrent qu’il est possible de construire une mobilisation durable, avec la participation croissante de personnes trans, de parents et d’activistes. C’est une force collective qui se renforce mois après mois, un message clair aux membres conservateurs du CEC : nous ne partirons pas sans nous battre.

L’ambiance est à la fête et à la solidarité lorsque les participant·es se rassemblent pour entrer ensemble dans la grande salle de l’école. La convergence avec d’autres luttes est forte. Il n’est pas rare d’apercevoir de nombreux keffiehs dans l’assemblée, et les témoignages publics font souvent le lien avec les droits des personnes migrantes ou en situation de handicap. Participer à ces réunions est source d’émancipation. Le mouvement grandit, notamment avec la participation active de parents qui ont décidé de se présenter face aux élu·es conservateurs. Les élections aux CEC à l’échelle de la ville se sont tenues le 13 mai, et les résultats doivent être annoncés d’ici la fin du mois. Les militant·es espèrent que leur longue bataille contre la résolution 248 aura un impact décisif sur l’issue du scrutin.

La mobilisation dans le District 2 montre que, même dans un moment politique hostile et réactionnaire, il est possible de mener des luttes offensives.

Réagir à l’annulation des soins d’affirmation de genre

Les hôpitaux sont un autre service public pris pour cible par la croisade anti-trans de Trump. En réponse à un décret présidentiel menaçant de suspendre les financements fédéraux aux hôpitaux qui fournissent des soins d’affirmation de genre aux mineur·es, plusieurs établissements privés, dont NYU Langone Health[10], ont annulé de manière préventive leurs rendez-vous pour les enfants trans. L’hôpital NYU Langone jouait un rôle crucial pour de nombreuses personnes, en particulier pour les jeunes trans en quête de soins, comme les thérapies hormonales ou les bloqueurs de puberté. Mais à la suite du décret de Trump, la clinique a discrètement annulé tous les rendez-vous de soins d’affirmation de genre [11] pour les mineur·es de 17 ans et moins.

En réaction, les Democratic Socialists of America (DSA) de New York ont organisé un rassemblement d’urgence le 3 février, pour exiger la reprise immédiate des soins à l’hôpital. Environ deux mille personnes se sont réunies dans St. Vartan’s Park, près du site de NYU Langone à Murray Hill. Parmi les intervenant·es figuraient des élèves trans, des militant·es, des personnalités et des représentant·es syndicaux·ales, notamment du syndicat NYU Contract Faculty United (CFU-UAW local 7902) [12], ainsi que le Dr Michael Zingman, psychologue spécialiste des enfants et adolescents à NYU, engagé au sein du Committee of Interns and Residents (CIR-SEIU) [13].

La rabbin Abby Stein [14], de l’organisation Jews for Racial and Economic Justice, a évoqué sa congrégation accueillante envers les personnes trans, tandis que l’actrice Cynthia Nixon exprimait ses inquiétudes pour sa propre famille queer. La militante noire trans locale Qween Jean Johnson a rattaché la lutte à d’autres causes queer, promettant de ne jamais cesser de lutter jusqu’à la victoire.

La présence syndicale était particulièrement visible, notamment celle de l’UAW, dont les membres arboraient le symbole en forme de roue dentée, immédiatement reconnaissable.

Le parc St. Vartan’s est en retrait de la rue, et seule la partie centrale était éclairée au moment où le rassemblement a commencé. Après les prises de parole des élues Tiffany Cabán (conseillère municipale DSA) et Kristen Gonzalez (sénatrice DSA de l’État de New York), l’animateur·rice a réaffirmé que DSA poursuivrait le combat et a invité les participant·es à rejoindre l’organisation.

Cependant, aucune invitation n’a été faite à constituer une coalition plus large, ni à proposer des formes d’engagement pour celles et ceux ne souhaitant pas adhérer à la DSA — qu’ils viennent de la gauche ou d’ailleurs. Pourtant, la manifestation était un exemple concret de collaboration entre divers courants militants, qui aurait pu être prolongé sous une forme organisationnelle durable.

Nombreux·ses étaient celles et ceux qui voulaient marcher jusqu’aux portes de l’hôpital, mais le NYPD (la police de New York) l’a interdit, invoquant le nombre trop important de manifestant·es pour occuper les trottoirs. Heureusement, Jay W. Walker [15] de Reclaim Pride a lancé des slogans et conduit la foule sur le trottoir longeant la Première Avenue, derrière une longue ligne de policiers.

Après une brève altercation entre policiers et manifestant·es, la marche a avancé le long de l’avenue, face aux entrées de l’hôpital, scandant : « Shame on you, NYU ! » et « When trans kids are under attack… stand up, fight back ! » (« Honte à toi, NYU ! » / « Quand les enfants trans sont attaqué·es… levons-nous, résistons ! »)

Le jour même de la manifestation, on apprenait que d’autres hôpitaux de la ville s’alignaient sur la politique de Trump avant même tout retrait effectif de financement fédéral. Mais quelques jours plus tard, la procureure générale de l’État de New York, Letitia James, a publié une déclaration rappelant aux hôpitaux qu’ils enfreignaient la loi de l’État en refusant des soins aux mineur·es trans. Des actions similaires ont eu lieu devant des hôpitaux en Arizona, à Chicago, au Colorado, à Los Angeles et en Virginie, où les soins aux jeunes trans avaient également été suspendus temporairement.

Cinq jours plus tard, une foule encore plus nombreuse s’est rassemblée à Union Square, à Manhattan, pour la manifestation « Rise Up For Trans Youth » (Debout pour les jeunes trans) à l’appel du Gender Liberation Movement, [16]d’ACT UP-NY et de Trans Formative Schools.

La jeunesse y était très présente, même si la visibilité syndicale y était moindre que lors du premier rassemblement. Zohran Mamdani, député DSA à l’Assemblée de l’État de New York et candidat à la mairie de New York, y a participé, aux côtés de nombreux·ses intervenant·es trans.

Eliel Cruz, du Gender Liberation Movement, a rappelé que New York se soucie de sa jeunesse trans, et que les quelques responsables politiques cherchant à les diaboliser ou à leur retirer l’accès aux soins ne représentent pas la majorité. Il s’est dit convaincu que les hôpitaux finiraient par céder.

Une mère d’une fillette trans de six ans a été ovationnée lorsqu’elle a lancé à la foule : « Nos enfants sont en première ligne des grands combats de notre époque… Ils se battent pour vous, alors vous battrez-vous pour eux ? »

Organisation du mouvement pour la libération des genres

Une initiative coordonnée visant à fusionner les luttes pro-queer et pro-transgenres est visible dans le mouvement pour la libération de genre (GLM) récemment formé, qui a organisé sa première série d’appels massifs le 27 janvier. L’appel a rassemblé environ 900 participants lors de sa première réunion virtuelle, et la participation aux appels est restée élevée depuis. Cette forte participation reflète l’indignation et l’horreur généralisées ainsi que le sentiment d’urgence parmi un nombre important de militants, nouveaux et chevronnés.

Pour replacer l’organisation du GLM dans son contexte historique, il est important de rappeler qu’il y a encore dix ou quinze ans, les droits des personnes transgenres étaient relégués à la marge du mouvement LGBT traditionnel. Au cours de l’été 2020, une grande marche pour la libération des personnes transgenres à Brooklyn, au plus fort du soulèvement Black Lives Matter (BLM), a donné naissance au GLM, marquant une avancée qualitative et un tournant dans le mouvement pour les droits des personnes transgenres.

Ces développements ont été l’aboutissement de plusieurs facteurs convergents dans le paysage post-égalité du mariage et ont représenté une radicalisation du mouvement queer vers l’intégration des questions de libération du genre et d’autonomie corporelle, de justice raciale et économique, d’impérialisme (principalement la solidarité avec la Palestine) qui, jusqu’à récemment, étaient des points de discorde et des sources de division extrême.

Pratiquement tous les groupes LGBT traditionnels se sont transformés en entreprises ou se sont concentrés sur un modèle d’organisation de type ONG. Depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990, toute forme de protestation ou de stratégie de construction de mouvements populaires a été rejetée au profit de la collecte de fonds et du lobbying.

Le fait qu’un groupe se soit formé pour tenter de construire un mouvement pour la libération des personnes trans et queer, basé sur la remise en question des deux partis politiques et centré sur une stratégie de protestation et d’activisme populaire, constitue une avancée importante. La capacité des organisateurs à sortir du modèle ONG et à créer des espaces d’organisation ouverts et démocratiques, offrant aux nouveaux militants la possibilité de débattre, d’élaborer des stratégies et de devenir des leaders actifs dans l’orientation de la lutte, déterminera si cet élan se transformera en un mouvement durable.

Compte tenu des efforts concertés de Trump et de la classe dirigeante pour écraser et faire reculer de manière agressive les différents mouvements sociaux des années 2010, et du degré incroyable auquel beaucoup ont été absorbés par le Parti démocrate au cours des quatre dernières années (le contraste entre l’ampleur des manifestations lors de l’investiture de Trump en 2017 et en 2025 en dit long), le fait que de nouvelles organisations militantes cherchent activement à construire une résistance renouvelée en dehors des limites de l’électoralisme traditionnel et s’efforcent délibérément de mettre au premier plan la libération des Palestiniens, la solidarité syndicale, l’antiracisme et la justice économique comme éléments centraux d’une vision plus large et plus complète de la libération des personnes queer et trans est significatif.

Cette évolution démontre à quel point Trump et les secteurs du capital qu’il représente, qui mènent une attaque frontale contre notre classe, les peuples opprimés et la gauche, n’ont pas réussi à anéantir complètement les acquis idéologiques de notre camp ni à briser toutes les formes de résistance qu’il a accumulées au cours des quinze dernières années. Une fois encore, la capacité de ce nouveau mouvement à construire le pouvoir social disruptif nécessaire pour obtenir des victoires matérielles durables dépendra de la capacité des organisateurs à dépasser le modèle des ONG qui a dominé la gauche tout au long de l’ère néolibérale et à construire des espaces d’organisation ouverts et démocratiques qui favorisent la discussion et le débat critiques et facilitent le développement de nouveaux leaders et combattants organiques du mouvement.

Une prochaine étape importante dans le développement de cette nouvelle résistance consiste à soutenir, dans la mesure du possible, l’organisation par les membres, au niveau local et national, comme alternative aux approches des ONG, de leurs employés et des approches descendantes. Même les actions spectaculaires, conçues pour attirer l’attention des médias, négligent parfois l’organisation quotidienne et la construction d’une base, qui sont pourtant si nécessaires à l’heure actuelle.

Contrairement à ceux qui affirment que les gens sont « épuisés » par les manifestations et qu’il faut trouver des moyens plus « créatifs » de résister, beaucoup de gens sont aujourd’hui déçus par le Parti démocrate et ont clairement conscience que les démocrates sont tout aussi responsables de la situation actuelle. Ils sont furieux que le parti ait abandonné les questions transgenres lors des dernières élections.

Ces conclusions offrent l’occasion de changer d’approche par rapport à la forme courante d’organisation que l’on trouve aujourd’hui, où un petit nombre de personnes prennent des décisions en coulisses et où les manifestations sont censées être spectaculaires et étroitement orchestrées pour cibler les politiciens, plutôt que d’encourager et d’organiser davantage les masses populaires à s’auto-organiser. L’accent mis sur la première approche peut limiter le degré d’implication de nouvelles personnes dans l’organisation et la construction de nouvelles infrastructures de résistance.

Dans l’ensemble, l’organisation et les actions menées dans les écoles de New York, ainsi que le refus de laisser les administrateurs hospitaliers de New York et d’ailleurs tourner le dos aux jeunes transgenres, témoignent d’importantes luttes offensives. Des organisations telles que le Mouvement de libération de genre pourraient être en mesure d’étendre l’influence des militants et d’assurer leur cohésion sur ces fronts de lutte apparemment disparates. Notre résistance ne doit pas reposer uniquement sur les tribunaux ; une résistance active est possible même dans les moments politiques les plus hostiles.

*

Danielle Bullock est artiste visuelle queer et enseignante dans une école publique de Brooklyn. Militante syndicale, elle dirige une section locale du syndicat des enseignant·es (UFT) et milite au sein du courant progressiste MORE (Movement of Rank-and-File Educators). Elle est également membre du collectif socialiste Tempest.

Eric Fretz est militant socialiste à New York. Ancien membre d’ACT UP, il a ensuite participé à la création d’un syndicat au sein de l’organisation Housing Works, un réseau d’assistance aux personnes précaires et séropositives à New York. Il écrit régulièrement pour Marx21US.org et la revue International Socialism.

Keegan O’Brien est activiste queer, enseignant dans le public et militant syndical à Brooklyn. Il est membre du collectif Tempest et ses articles ont été publiés dans Spectre Journal, Teen Vogue et Jacobin.

Cet article a été initialement publié sur le site du collectif socialiste étatsunien Tempest. Traduction de l’anglais (États-Unis) pour Contretemps par Christian Dubucq.

Notes

[1] L’émeute de Stonewall, survenue en juin 1969 à New York, est considérée comme l’un des événements fondateurs du mouvement LGBTQ+ contemporain. Elle a été menée notamment par des personnes trans racisées comme Marsha P. Johnson et Sylvia Rivera.

[2] Le GLF est l’un des premiers mouvements organisés de libération homosexuelle aux États-Unis, né dans la foulée de Stonewall. Il a inspiré de nombreux collectifs en Europe, notamment en France (FHAR, puis CUARH). Il prône une rupture radicale avec les normes hétéropatriarcales et le capitalisme, en opposition aux approches assimilationnistes.

[3] STAR (Street Transvestite Action Revolutionaries) est un collectif fondé en 1970 à New York. Il est souvent cité comme l’une des premières organisations trans radicales, centrée sur les personnes trans, racisées, pauvres et sans-abri.

[4] Leslie Feinberg (1949–2014) était une figure majeure du marxisme queer aux États-Unis, auteur·ice de Stone Butch Blues (1993) et militant·e trans dans le Workers World Party.

[5] Les Gender and Sexuality Alliances (anciennement Gay–Straight Alliances, GSA) sont des associations étudiantes créées et dirigées par des élèves aux États-Unis. Elles rassemblent des jeunes LGBTQ+ et leurs allié·es pour offrir un espace sûr, favoriser le soutien mutuel et lutter contre l’homophobie et la transphobie dans les établissements scolaires.

[6] Les Community Education Councils sont des conseils locaux d’éducation publique à New York, composés principalement de parents d’élèves, élus à l’échelle des districts scolaires. Bien qu’ils n’aient pas de pouvoir décisionnel contraignant, ils émettent des recommandations et peuvent influencer la politique éducative locale.

[7] Moms for Liberty est une organisation d’extrême droite fondée en Floride en 2021. Se présentant comme un groupe de défense des « droits parentaux », elle est en réalité active dans les campagnes contre les droits des personnes LGBTQ+, contre les programmes scolaires sur le racisme ou le genre, et soutenue par le mouvement trumpiste.

[8] Résolution adoptée en mars 2024 par le CEC du District 2 de Manhattan, visant à recommander l’exclusion des élèves trans des équipes sportives correspondant à leur identité de genre. Bien que symbolique, elle s’inscrit dans une vague de mesures anti-trans aux États-Unis.

[9] Aux États-Unis, il est courant dans les milieux progressistes d’indiquer ses pronoms de genre (par ex. she/her, they/them) dans sa signature électronique comme geste de reconnaissance et de respect de la diversité des identités de genre.

[10] Grand réseau hospitalier privé affilié à l’université de New York (NYU), réputé pour ses soins spécialisés, dont des traitements d’affirmation de genre pour mineur·es trans.

[11] Ensemble de soins médicaux, psychologiques et sociaux destinés à accompagner les personnes trans dans leur transition. Cela inclut notamment les bloqueurs de puberté, les traitements hormonaux, le soutien psychologique, etc.

[12] Syndicat représentant les enseignant·es contractuel·les de NYU, affilié à l’Union UAW (United Auto Workers). Ce syndicat participe activement aux luttes sociales et queer à New York.

[13] Syndicat national regroupant les internes et résident·es en médecine (médecin·es diplômé·es en formation spécialisée), affilié au syndicat SEIU (Service Employees International Union). Présent à NYU, il défend les droits des soignant·es et des patient·es.

[14] Militante trans juive orthodoxe, première femme trans issue d’une communauté hassidique à être visible publiquement. Engagée pour les droits LGBTQ+ et les justices sociale et raciale.

[15] Activiste queer new-yorkais, cofondateur de Reclaim Pride Coalition, un collectif militant qui a relancé la Queer Liberation March en opposition à la dérive commerciale de la Pride officielle.

[16] Mouvement militant émergent aux États-Unis visant l’émancipation des personnes trans et non-binaires, en particulier la jeunesse, à travers l’accès à la santé, à l’éducation et à la justice sociale.

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Collaborateur au site Rainbow Times (Etats-Unis).

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