Édition du 2 décembre 2025

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Envers et contre tout, résister !

Edito de la revue Soutien à l’Ukraine résistante numéro 44

Patrick Le Tréhondat est membre des Brigades éditoriales de solidarité et du Comité français du RESU. [1]

Télécharger la revue Soutien à l’Ukraine résistante numéro 44 en cliquant sur l’icône :

La nouvelle péripétie du plan Trump, plan russe écrit sous pavillon américain, affole les capitales européennes timorées depuis le dé­but de la guerre à grande échelle dans leur soutien volontairement limité à la résistance de l’Ukraine et effrayés devant le matamore de la Maison-Blanche.

Derrière le rideau de fumée diplomatique genevois, c’est la capitulation sans conditions qui est demandée. On ne sait pas à l’heure qu’il est l’avenir de ce coup de poignard qui, s’il aboutissait, serait un nouveau drame historique pour l’Ukraine et coûterait tout aussi cher à l’Eu­rope.

De son côté, le pouvoir de Kyiv, déstabilisé par une affaire de corruption qui a fissuré le bloc présidentiel, tergiverse et cherche une voie de sortie. Tout en n’abandonnant pas la lutte contre l’ennemi russe. Le front résiste et l’armée des dronistes continue de frapper l’économie de guerre russe, s’interdisant de toucher des cibles civiles. Cependant, à la suite de ses tentatives en juillet dernier de s’en prendre aux organes anticorruption, NABU et SAP, auxquelles avaient répondu des manifestations massives dans tout le pays, cette nouvelle affaire a affaibli Zelensky et son clan2

Face à la pression, le président a démis le ministre de l’énergie et de la justice, mais a refusé à ses députés de démettre Andriy Yermak, chef tout-puissant de l’administration présidentielle, lui aussi mis en cause.

Que le ministre de l’énergie soit impliqué dans une affaire de corruption portant sur 100 millions de dollars suscite une large indi­gnation dans l’opinion publique soumise à des coupures d’électricité quotidiennes qui peuvent durer jusqu’à seize heures voire vingt-quatre heures. Les Ukrainien·nes consultent chaque jour le programme des coupures annoncées dans leur ville pour organiser une difficile vie quotidienne (notamment à l’aide de généra­teurs ou de batteries externes mais qui sont d’une efficacité limitée).

Symboliquement au moment même où l’on apprenait ce détournement de fonds publics par le ministère de l’énergie, des habitants de Zaporijjia se rassemblaient près de l’administra­tion régionale, puis bloquaient une route, pour exiger des coupures de courant plus équitables, partageant le sentiment que des privilégiés y échappaient.

La question de l’équité dans le « fardeau éner­gétique » en raison des bombardements russes a déjà provoqué des protestations dans d’autres villes. De son côté, la confédération syndicale KVPU annonçait au même moment que « bien que nous soyons déjà dans la seconde moitié de novembre, les employés de l’entreprise pu­blique Lvivvugol, dont les unités de production 6 abritent des sections importantes du Syndicat indépendant des mineurs d’Ukraine (IPMU-KVPU), n’ont perçu que 57 % de leur salaire d’octobre. Le retard dans le paiement des sa­laires provoque une vague d’indignation parmi les travailleurs. L’hiver approche et l’argent ga­gné par les mineurs est absolument essentiel pour eux et leurs familles ».

L’année dernière, ce sont plusieurs mois de salaires non payés qui avaient conduit les mi­neurs de Lviv à manifester devant le ministère de l’énergie. Le syndicat des mineurs KVPU avait alors souligné que « les salaires impayés aggra­vaient non seulement les difficultés financières des familles minières, mais affectaient égale­ment négativement l’état moral et psycholo­gique des employés et augmentaient les ten­sions sociales dans les équipes de production et dans la région, et privaient de la possibilité d’aider plus de 800 employés de l’entreprise qui sont dans les forces armées ukrainiennes et auxquels ils [les mineurs] fournissent tout le né­cessaire (munitions, drones, voitures, etc.) ».

Le syndicat soulignait clairement que la po­litique antisociale du gouvernement affaiblis­sait le front et ses combattant·es ouvrier·es qui luttent contre l’impérialisme russe, les privant de l’aide matérielle que les syndicats apportent constamment aux travailleur·euses en uniforme.

Une situation désastreuse qui se vérifie mal­heureusement aussi dans le secteur de la san­té, pourtant vital pour un pays en guerre. Dans les colonnes de Soutien à l’Ukraine résistante, nous donnons régulièrement la parole au syn­dicat du personnel soignant ukrainien Soyez comme nous sommes, qui témoigne sur les dégâts dramatiques que provoque l’« optimisa­tion » néolibérale à marche forcée, sans pause depuis le 24 février 2022, des hôpitaux. Ferme­ture d’hôpitaux et licenciements de personnel qui affectent, outre la population civile, les soins prodigués aux soldats blessés.

Cette organisation syndicale, qui défend les droits sociaux des personnels soignants, notam­ment celles et ceux engagé·es sur le front, pro­pose des alternatives au mode de gestion capi­taliste actuel du système de santé. Elle met en avant la nécessité d’un contrôle des salarié·es en blouse blanche sur l’organisation du système de santé. Sur le problème des primes auxquelles ont droit les infirmières (particulièrement celles qui risquent leur vie au plus près du front) et qui leur sont refusées, le syndicat explique que leur calcul transparent et équitable n’est possible que si des mécanismes de contrôle réels sont mis en place, et dans lesquels la convention col­lective jouerait un rôle clé… C’est dans ce do­cument que doivent être clairement inscrits les droits du collectif [de travail] à recevoir des rap­ports sur le financement, la répartition des fonds et les modalités de versement des primes.

« Gérer et contrôler les hôpitaux est pos­sible », nous déclarait dans ces colonnes Ok­sana Slobodiana, présidente du syndicat indé­pendant. Cette volonté de contrôle et de prise en main de ses propres affaires est profonde dans la société ukrainienne depuis Maïdan, mais plus encore depuis le 24 février 2022, date de l’agression à grande échelle du pays avec la large automobilisation du peuple ukrainien qui a mis en échec l’agresseur russe. Comme l’ex­pliquait une infirmière : « Nous avons Maïdan 7 dans le sang. » Une analyse qui s’est révélée juste quelques mois avant les manifestations de juillet.

Loin des cénacles diplomatiques, des rodo­montades des dirigeants européens et des si­nistres bêlements capitulards des « campistes » de gauche, la résistance ukrainienne tire sa force dans cette mobilisation permanente populaire qui lutte sur deux fronts : contre l’impérialisme russe et contre un système oligarchique cupide qui gave une minorité de possédants à ses dé­pens et épuise la résistance. « Seules une orga­nisation massive et la solidarité permettront de remporter la guerre et d’assurer une reconstruc­tion équitable après celle-ci. L’histoire montre que toutes les transformations sociales impor­tantes ont été obtenues par la lutte venue d’en bas, et non accordées par le haut », rappelle l’or­ganisation socialiste Sotsialnyi Rukh.

Envers et contre tout, l’Ukraine résiste. Elle perturbe le jeu mondial des principales puis­sances impérialistes (États-Unis, Fédération de Russie, Chine). Elle est un caillou dans leurs chaussures qu’elles n’arrivent pas à enlever. Contrairement à ce que pense Trump, il n’est pas certain que l’Ukraine n’ait pas de cartes de main. Sûrement pas celle du valet, mais celle d’un peuple mobilisé pour sa souveraineté, la défense de ses acquis démocratiques et de ses droits sociaux et politiques et, en définitive, de son droit à l’existence.


[11. Patrick Le Tréhondat est membre des Brigades éditorialesde solidarité et du Comité français du RESU.

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