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Féminicide : une plaie ouverte pour les femmes kurdes

La discrimination fondée sur la sexualité, la couleur de la peau, l’origine ethnique, les croyances et l’environnement social constitue un obstacle majeur à la connaissance et à la production de connaissances, ainsi qu’aux perspectives scientifiques et de genre et aux normes de pensée critique. Les Yazidis, peuple originaire des régions du nord du territoire kurde [1], font face chaque jour au firman – le nom qu’ils donnent aux violentes attaques et persécutions subies par leur communauté.

Tiré de Entre les lignes et les mots
Publié le 15 octobre 2021

Le féminicide des femmes yazidies repose sur un code de discrimination qui imprègne les structures coloniales et postcoloniales encore existantes, ce qui montre bien l’importance d’une analyse critique de la question.

Qu’est-ce que le féminicide ?

Le terme « féminicide » a été utilisé pour la première fois en Grande-Bretagne en 1801, dans le sens de tuer une femme. À la fin du XXe siècle, le féminicide a été redéfini comme « les meurtres misogynes de femmes commis par des hommes ». Le terme a ensuite été adopté par les mouvements féministes et les organisations officielles, devenant populaire aux États-Unis et dans de nombreuses régions du monde. Le féminicide est le meurtre de femmes fondé sur la discrimination sexuelle et se produit quotidiennement dans toutes les régions du monde. Il a toujours existé, mais il a gagné en intensité et en visibilité à mesure que la lutte des femmes pour l’égalité prenait de l’ampleur. Les féminicides en général trouvent leur origine dans les normes et les coutumes de la société. Par conséquent, les normes fondées sur les coutumes et généralement déterminées par les législateurs masculins ont toujours été, à toutes fins utiles, des lois, ou firmans, qui condamnent les femmes à mort. Le patriarcat, qui exclut les femmes de tous les domaines de la vie sociale, ainsi que les traditions et les coutumes qui l’alimentent, le consolident et le renforcent, sont le point de départ du féminicide.

La femme a été placée dans le rôle prédéterminé d’esclave obéissante, responsable des tâches domestiques et sans qualifications. Bien qu’elle ait conservé le rôle de transmission des connaissances culturelles, elle a été privée de tous ses privilèges sociaux. C’est précisément cette notion de privation qui est la cause et le résultat du féminicide, qui continue de se produire de diverses manières. Cette pratique a parfois pris la forme de chasses aux sorcières, de viols de femmes pendant la guerre en Bosnie, de l’enlèvement et de la vente de femmes yazidies sur des marchés aux esclaves, de la privation de leur identité ou de l’enlèvement de femmes kurdes vers des pays arabes comme butin de guerre après l’opération Anfal en Irak.

Les femmes sages du Moyen Âge ont été victimes de toutes ces pratiques, mais cela continue de se produire dans notre région selon les normes de l’ère moderne. Au début, les femmes étaient brûlées vives, conduites à la guillotine et soumises à toutes sortes de tortures, d’abus sexuels et de viols dans les tribunaux de l’Inquisition. Maintenant, on essaie de forcer les femmes à se soumettre, on essaie de dominer leur esprit et de les réduire au silence. On essaie de créer des femmes sans âme, serviles et obéissantes, sans identité propre, de sorte qu’il n’y ait pas de femmes résistantes, sages et fortes.

Mécanismes du patriarcat actuel pour nous affaiblir

En identifiant les femmes comme étant sans défense, on leur a attribué une identité qui doit toujours être définie par référence à un tiers. Ainsi, la femme est l’épouse, la sœur ou la mère de quelqu’un. La privation du sentiment d’appartenance de la femme, les politiques dévastatrices qui brisent la totalité de l’esprit et du corps de la femme, jusqu’à mettre en danger son existence même, ont été pratiquées de manière constante jusqu’à ce jour. La discrimination fondée sur le sexe et la normalisation croissante des abus sexuels et des meurtres de femmes sont des preuves significatives de la banalisation du féminicide.

Les constitutions actuelles des États, ainsi que leur « absence de principes » en matière d’égalité et de liberté, normalisent le féminicide. D’innombrables cas individuels et collectifs montrant que les femmes sont les premières à être attaquées lors de conflits ou de guerres prouvent que les femmes sont considérées comme la propriété des hommes. Les femmes sont attaquées comme si elles n’étaient que des possessions du monde masculin et sont retenues prisonnières comme des butins de guerre.

Les périodes de conflit exacerbent souvent les points de tension sociale existants, ouvrent les blessures et approfondissent les injustices. Ainsi, une grande partie du travail lourd, allant de la guérison des blessures à l’entretien de la famille, repose sur les épaules des femmes. Pour comprendre, intégrer et développer des propositions susceptibles de résoudre ces problèmes, il est nécessaire d’aborder le privilège du pouvoir, de la force et de l’administration en termes de culture globale et locale, car il est impossible de mettre fin au déchaînement d’événements qui renforcent le patriarcat sans déchiffrer les codes sur lesquels sont établies les normes sociales.

L’imposition de certains éléments culturels aux femmes en raison de coutumes et de traditions dépassées les soumet à une position similaire à celle de l’esclavage post-colonial, impositions souvent renforcées par des références à des commandements moraux et religieux. Le fait que ces pressions augmentent particulièrement à une époque où les femmes réclament de plus en plus de liberté, d’égalité et d’autonomie n’est pas une simple coïncidence. Il semble peu probable que le massacre en cours puisse être arrêté sans une compréhension de ces formes d’oppression sociale qui conduisent au féminicide et une opposition claire à celles-ci.

Les plus grandes victimes de la guerre en Bosnie-Herzégovine (1992-1995) ont sans aucun doute été les enfants et les femmes sans défense. Cette guerre est entrée dans l’histoire comme une guerre au cours de laquelle environ 310 000 civils ont été tués, des millions sont devenus des réfugiés, des dizaines de milliers de femmes ont été violées, des civils ont été laissés mourir de faim dans des camps de concentration et ont été massacrés. Beaucoup de femmes ont été victimes d’abus sexuels et de viols pendant la guerre et ne pouvaient pas dire à personne ce qu’elles avaient vécu, de peur d’être stigmatisées dans la société.

Un point commun à tous ces cas, qu’il s’agisse des femmes kurdes enlevées lors du massacre d’Anfal en 1988, des victimes de la guerre de Bosnie ou du traitement inhumain des femmes et des enfants yazidis enlevés par la mafia salafiste – dont les membres se disent soldats de Dieu – est qu’ils sont le résultat de projets mondiaux mis en œuvre localement.

Les femmes yazidies se battent pour une vie sans violence

Dans le premier quart du 21e siècle, un génocide de grande ampleur a eu lieu dans notre région. Nous devons préciser que certains peuples de cette région ont également participé à ce génocide. Nous ne comprenons pas comment un événement aussi choquant et terrible a pu se produire, mais nous ne voulons pas lui tourner le dos. Si le massacre perpétré par ISIS en août 2014 visait principalement la communauté yazidie, le féminicide faisait clairement partie de son objectif. Le sort de nombreuses femmes enlevées, emprisonnées, maltraitées, violées et vendues sur les marchés aux esclaves sous les yeux du monde entier reste inconnu.

Les événements de Shingal/Sinjar nous ont montré une fois de plus que les structures patriarcales ont pour point de départ l’élimination des communautés égalitaires et libératrices. Même si nous classons le féminicide des femmes yazidies dans la catégorie des génocides, il fait partie des féminicides qui ont eu lieu tout au long de l’histoire. Mais nous pouvons également dire que le féminicide des femmes yazidies dans sa forme la plus sévère au sein du génocide du peuple yazidi a également ouvert la voie à l’autoréflexion et à l’organisation des femmes. Chaque massacre est aussi une extension de la discrimination sexuelle et de l’art de tuer du monde patriarcal.

«  Dans ce contexte, il est nécessaire de considérer le génocide du peuple yazidi comme un programme féminicide. »

Il est nécessaire de comprendre que les mouvements féminins mondiaux et régionaux ne comprendront et ne pourront évaluer le problème que lorsque cette vérité sera mise en lumière. Il est nécessaire de comprendre l’analogie de ce massacre qui s’est produit là-bas et qui se poursuit aujourd’hui afin de voir la lutte des femmes pour la justice et la démocratie et d’y prendre une position active. Alors que la lutte des femmes pour l’égalité se développe jour après jour, prend racine et se renforce, certains cercles qui en sont gênés commencent à faire plus de bruit.

Les politiques de lutte contre le féminicide dans le monde, notamment en Iran, en Turquie et dans le monde arabe, ont dû fortement agacer les milieux conservateurs, de droite et fanatiques qui regardent la période salafiste avec nostalgie, au vu de l’émergence et de la croissance rapide du mouvement extrémiste et sectaire ISIS. La Conférence internationale des femmes yazidies, qui s’est tenue en Allemagne en mars 2017, a souligné la nécessité de mener des luttes internationales efficaces pour libérer les femmes yazidies emprisonnées par ISIS et a décidé de fixer le 3 août comme Journée internationale d’action contre le féminicide et le génocide. Bien que le Parlement européen ait reconnu le génocide et que les institutions internationales aient produit des rapports plaçant le massacre dans le contexte des « crimes contre l’humanité », le gouvernement de la Turquie n’a même pas reconnu le génocide, et encore moins condamné le massacre de Shingal à ce jour.

Aujourd’hui, en Turquie, un cercle de fanatiques religieux, de partisans de la domination patriarcale, de la droite et du fanatisme religieux produit de nouvelles justifications du féminicide basées sur des références religieuses à mesure que le féminicide et les réactions à celui-ci augmentent. Un paradigme de conscience sociale et de résistance de principe contre ces dangers et d’autres dangers similaires est plus nécessaire que jamais. En tant que femmes, nous rappelons une fois de plus à tous la nécessité de déclarer le 3 août comme journée internationale des luttes. La résilience des femmes de Shingal a inspiré les femmes du monde entier. Dans la langue Şingal, les femmes sont jin, qui signifie la vie. Personne ne pourra jamais tuer la vie.

La solidarité et l’organisation des femmes doivent augmenter, des initiatives doivent être mises en place et des méthodes de lutte contre la domination patriarcale doivent être développées. Nous devons penser globalement et prendre des mesures concrètes localement. Les situations qui se déroulent dans d’autres pays doivent être suivies de près. La solidarité et les luttes communes doivent être universalisées, car le féminicide est la conséquence du système global d’oppressions, à l’échelle universelle.

Hacer Özdemir

Hacer Özdemir est une militante féministe de la Marche Mondiale des Femmes au Kurdistan.

[1] Le Kurdistan est une région historico-culturelle du Moyen-Orient comprenant des parties de la Turquie, de l’Iran, de la Syrie et de l’Irak. La majorité de la population yazidie vit actuellement dans les territoires contestés du nord de l’Irak.

Édition par Bianca Pessoa et Helena Zelic

Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves

Langue originale : anglais

https://capiremov.org/fr/analyse/feminicide-une-plaie-ouverte-pour-les-femmes-kurdes/

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