Édition du 16 avril 2024

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Féminisme

Féminisme et racisme - L’accueil c’est la démocratie, ce n’est pas l’intégration ou l’assimilation

Le débat sur la charte des valeurs mais en fait, sur le port du voile des femmes musulmanes, a amené la fin de semaine dernière, des milliers de femmes à manifester sous l’égide des Jeannette. Le lendemain ce sont les inclusives qui ont pris, à leur tour, la rue. Ce débat est loin d’être cependant une spécificité québécoise.

« D’une part, certaines féministes – par exemple Alice Schwarzer en Allemagne, Elisabeth Badinter en France, Cisca Dresselhuys aux Pays-Bas – ont approuvé l’idée que l’Islam est fondamentalement misogyne. Etant donné qu’elle est vue comme une religion qui affirme le rôle subordonné des femmes dans la société et qui exerce un contrôle strict sur leur sexualité, l’Islam est considérée comme étant opposée à l’émancipation des femmes. Ses représentants masculins ainsi que ses pratiques culturelles et religieuses doivent donc être réprimés. D’autre part, d’autres féministes – on peut penser ici à Christine Delphy en France, Annamaria Rivera en Italie et Anja Meulenbelt aux Pays Bas – ont critiqué une telle caractérisation globalisante de l’Islam, mettant en garde contre ses implications potentiellement « racistes ». En particulier, elles soulignent le besoin de soutenir les initiatives autonomes propres aux femmes musulmanes contre ce qu’elles perçoivent comme du paternalisme, et dénoncent l’hypocrisie des partis nationalistes–xénophobes et des gouvernements néolibéraux, concernés par les droits des femmes dans la seule mesure où cela permet d’exacerber le climat islamophobe. » [1]

Il est important de bien le situer dans le contexte mondial car le débat sur la charte et les valeurs québécoises prend, à ce moment-là, une tout autre dimension. Quelles valeurs québécoises avons-nous à préserver de façon si particulière quand toute l’Europe discute aussi des mêmes enjeux politiques ? Et que partout les femmes musulmanes sont visées ?

Partout la caractéristique est la même : la peur de l’islam. Et cette peur a des bases réelles. Des femmes ont été tuées en Algérie, des femmes sont privées de liberté en Arabie saoudite. Mais évitons d’assimiler intégrisme religieux et religion islamique. Il faut lutter contre les intégrismes religieux. Les femmes voilées l’ont fait en Algérie et les femmes qui se sont mobilisées pour avoir le droit de conduire l’auto en Arabie étaient voilées. Nous devons ici aussi le faire contre la droite religieuse de Harper et pour le droit à l’avortement. Mais partout dans le monde, cette peur mal comprise de l’islam et l’assimilation de l’islam à l’intégrisme introduit une distance entre eux et nous ; entre les femmes occidentales, entre les vraies québécoises et elles, les femmes voilées. Se situer dans cette dynamique sous prétexte de l’égalité entre les hommes et les femmes ouvre la porte à l’islamophobie et au racisme. Nous ne pouvons parler d’accueillir les personnes immigrantes, et en particulier des femmes, en niant leurs droits de vivre leurs sentiments religieux comme elles veulent. Nous ne pouvons leur nier le droit de choisir pour elles ce qu’elles veulent. Nous choisissons bien nous aussi dans le cadre de la société patriarcale notre mode vestimentaire façonnée par l’industrie de la mode et de la beauté et nos images de soi conditionnées par l’industrie publicitaire. L’accueil c’est la démocratie, ce n’est pas l’intégration ou l’assimilation ou « reste chez vous si tu ne veux pas faire comme nous ». Nous n’avons pas le monopole de la vérité pour le vivre en société et pour développer une approche culturelle.

Là, le racisme pointe son nez : nous et elles.

C’est exactement ce discours que les Américains ont repris pour justifier l’intervention en Afghanistan : il faut libérer les femmes afghanes, ces pauvres victimes. Dans le même temps, pour lutter contre les Talibans, de la pornographie était diffusée sur les ondes radio. En Irak, comportements pornographiques et tortures se sont intimement mêlé. Les comportements et stratégies de terrains des envahisseurs deviennent seulement des abus d’individus quand ils sont internationalement dénoncés. Dans le même temps, l’homme arabe est érigé en mythe du macho par excellence, dominateur et agressif… comme si tous les hommes n’avaient pas ces mêmes potentialités.
Il faut donc bien poser le débat. L’intégrisme sous toutes ses formes et de toutes religions doit être dénoncé. Par contre, la liberté religieuse est partie intégrante de toute démocratie qui se respecte. Partout, les partis de droite et néolibéraux tentent de reprendre le discours féministe à leurs propres fins. C’est cela que tente de faire le PQ avec la Charte des valeurs : créer un nous, un collectif québécois sans les personnes immigrantes et surtout sans les femmes voilées sous prétexte de l’égalité des hommes et des femmes. Le nationalisme ethnique que dénonçait madame Mourani devient de plus en plus évident.

Faut-il opposer à la Charte, le nous des femmes ?

En fait ce que démontre tout ce débat et particulièrement sur le mouvement féministe, c’est que les femmes ne sont pas toutes d’accord. Le fameux nous des femmes que nous pensions avoir créé avec les Marches mondiales des femmes se fissurent. Jeannette s’oppose à Alexa.

Les États généraux du mouvement des femmes qui se tiendront du 14 au 17 novembre prochain abordent cette notion du nous des femmes.

« Depuis longtemps, le mouvement féministe québécois est conscient des liens entre le patriarcat et la classe sociale. Avec les années, le mouvement a été poussé par les femmes vivant d’autres formes de marginalisation, à ajouter des couches à sa compréhension des enjeux des femmes. Ainsi, lutter contre le racisme ou l’hétérosexisme devenait un enjeu féministe. On est passées d’une conception des femmes comme « sujet universel » à une prise en compte de la diversité des réalités vécues par les femmes. En d’autres mots, il s’agit d’une approche où l’on examine non
seulement les inégalités entre les hommes et les femmes, mais les inégalités entre les femmes elles-mêmes. » [2]

C’est sur cette approche des inégalités que pourra se constituer la nouvelle cohésion du mouvement des femmes. Ignorer la situation des femmes les plus exploitées en essayant de parler d’un nous quelconque ne peut que marginaliser davantage ces femmes, ne peut que les isoler. Alors, nous allons insidieusement dans une dynamique facilement racisante.

Déjà qu’être une personne immigrante au Québec, c’est vivre discrimination, inégalités sociales et pauvreté.

« Malgré le fait que les immigrants soient de plus en plus éduqués,
ils connaissent des difficultés significatives et grandissantes en matière d’insertion en emploi et d’intégration socio-économique, ce qui donne lieu à un inquiétant problème d’inégalité sociale. Comme nous l’avons vu, cette situation est caractérisée par une intégration différenciée entre immigrants appartenant à une minorité racisée ou non et par un désavantage marqué pour les immigrants québécois par rapport à leurs homologues des autres provinces. »
 [3]

« Alors que leur niveau de scolarité augmente, les immigrants peinent à faire reconnaître leurs diplômes. La déqualification qui en résulte est toutefois différenciée selon la région d’origine : par exemple, 65,4 % des immigrants ouest-européens occupent un emploi correspondant à leurs compétences contre seulement 37,1 % pour ceux provenant de l’Asie de l’Ouest et du Moyen-Orient. »
 [4]

Être une femme immigrante s’est vivre encore plus de discrimination avec des difficultés d’adaptation etc…

Qu’en est-il du nous des femmes si toutes les femmes ne sont pas égales entre elles ? Il faut tenir compte de cette inégalité.

« Réfléchir sur les inégalités entre femmes, c’est aussi réfléchir à la question des privilèges inégalement répartis entre les femmes et aux inégalités qui en découlent, même si cela peut être un exercice douloureux. Douloureux pour celle qui doit lutter pour faire reconnaître son propre vécu de l’oppression sans vouloir être source de divisions pour autant. Douloureux également pour celle à certains égards plus privilégiée (de par son statut économique, la couleur de sa peau ou sa nationalité, son orientation sexuelle, etc.) et qui malgré son vécu de l’oppression en tant que femme et malgré son engagement militant en faveur de l’égalité fait face à un miroir peu flatteur où sont mis en évidence les privilèges qu’elle retire de certains rapports d’oppression. Une démarche donc douloureuse mais qui, selon plusieurs féministes dites minoritaires, est essentielle car, rappellent-elles, dénoncer l’oppression n’est qu’une partie de l’équation, encore faut-il reconnaître en quoi nous bénéficions parfois de certains rapports d’oppression. » [5]

Alors nous faisons nôtre la réponse des États généraux du mouvement des femmes :

« C’est l’occasion que le projet féministe de société se propose de saisir. Le mouvement féministe devrait agir concrètement sur ces questions et, dans ses actions et interventions publiques, développer et articuler des positions intersectionnelles. Certaines craignent qu’une telle approche ne divise le mouvement féministe, en mettant en péril le « nous femmes » comme identité sociale collective et base d’oppression commune vécue par les femmes en tant que femmes, ou encore le « nous féministes » comme base de mobilisation et d’action face au patriarcat. Nombreux sont les mouvements de gauche qui ont exprimé la même crainte devant le mouvement féministe qui, selon eux, mettait en péril l’unité et la primauté de la lutte prolétaire. Rappelons que de nombreuses féministes ont alors quitté ces organisations pour créer leur propre mouvement autonome. Un même écueil guette-t-il le mouvement féministe ? Pour d’autres, loin de diviser, cette approche en termes d’intersection des oppressions permettrait au contraire de se doter de nouveaux outils afin de solidifier les bases du mouvement par une intégration réelle de la diversité des femmes, des réalités, des approches et des enjeux. Dans cette démarche, saurons-nous conserver notre impératif de lutte contre le patriarcat au centre des préoccupations du mouvement féministe ?
Les féministes qui ont développé l’approche dite de l’intersectionnalité ou de
l’intersection des oppressions la présentent avant tout comme une approche centrée sur la solidarité qui donne sens au slogan de la Marche mondiale des femmes : « Tant que toutes les femmes ne seront pas libres, nous serons en marche ».< [6]

Nous pensons que c’est la seule conception rassembleuse pour le mouvement des femmes et la seule respectueuse des différentes situations que vivent les femmes.

Il nous faut poursuivre le débat et le moment des États généraux va s’avérer important. Il faut y être et débattre car il ne faut pas que le féminisme soit instrumentalisé par la droite et serve de façade au racisme.

Chloé Matte Gagné

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