Édition du 16 avril 2024

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Europe

Grande-Bretagne. La campagne Don’t Pay prend de l’ampleur

Voir la vidéo au bas de l’article (tiré du site de Blast)

D’ici avril prochain, les prix de l’énergie devraient atteindre un plafond allant jusqu’à 5 500 livres en moyenne par an [6 480 euros]. De nombreux ménages devront faire un choix entre se chauffer et se nourrir.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Christine Farnish a récemment démissionné de son poste de directrice de l’Ofgem (Office of Gas and Electricity Markets), l’autorité de régulation de l’énergie, en déclarant qu’elle « ne pouvait pas soutenir » la décision d’ajouter des milliers de livres aux factures des ménages – et que l’Ofgem protégeait les entreprises au détriment des consommateurs (surprise !). Les compagnies d’énergie et les médias grand public ont publié des messages creux pour conseiller les gens sur la façon de réduire leurs dépenses énergétiques. Ovo Energy [fournisseur d’électricité basé à Bristol, créé en 2009] a recommandé à ses clients de câliner leurs animaux domestiques pour se réchauffer au lieu d’allumer le chauffage ! Rien de tout cela ne résout le problème de la montée en flèche des dépenses contraintes et le fait que de nombreuses personnes ont déjà pris toutes les mesures possibles pour réduire leur consommation. Verrons-nous davantage de personnes mourir de froid cet hiver ?

Aucun parti politique n’a de solution adéquate à la crise. La subvention énergétique de 400 livres proposée par Rishi Sunak [un des deux candidats au poste de premier ministre] sera instantanément absorbée par les hausses de prix d’octobre. Et il se peut que la réduction n’atteigne même pas ceux qui en ont le plus besoin : les subventions au coût de la vie pour ceux qui cet été demandaient des prestations n’ont pas été accordées, en effet les demandeurs sanctionnés par les Jobcentre [Pôle Emploi] ne pouvaient pas recevoir ces aides. Les dirigeants travaillistes se contentent de suggérer qu’ils gèleraient les prix de l’énergie jusqu’en avril prochain … une suggestion inutile puisqu’ils ne sont pas au pouvoir et que les autres mesures qu’ils proposent seraient inadéquates pour résoudre la crise. Ce serait le moment idéal pour annoncer des plans de renationalisation permanente s’ils étaient élus aux prochaines élections générales. Pourtant, c’est une chose que Keir Starmer [chef du Parti travailliste] a exclue à plusieurs reprises.

Des campagnes et des organisations ont pris l’initiative là où les politiciens ont échoué, notamment Don’t Pay UK, un groupe de base créé en juin 2022 avec seulement un site web. Le site web demande aux personnes qui paient leurs factures d’énergie par prélèvement automatique de s’engager à annuler leurs paiements à partir du 1er octobre afin de toucher les revenus des compagnies d’énergie et de les forcer à prendre des mesures contre la hausse des factures.

En juillet, la campagne a fait un tabac, apparaissant dans de grands médias grand public comme le Daily Mail et de Good Morning Britain [émission matinale de ITV], et se propageant par le biais de sections syndicales et d’organisations de mouvements sociaux. Des dizaines de milliers de personnes ont signé l’engagement au cours des deux premières semaines. Les chiffres n’ont cessé de monter sur le site web, de minute en minute. Le compteur affiche désormais plus de 110 000 personnes – et il ne s’agit que des personnes qui paient par prélèvement automatique. Des dizaines de milliers d’autres personnes se sont inscrites pour soutenir le projet, même si elles sont des clients qui paient par mensualités ou par prépaiement. Cette semaine, un sondage réalisé par iNews a révélé que plus de 70% du public est au courant des campagnes d’annulation des prélèvements automatiques – une tactique principalement utilisée par Don’t Pay – et que jusqu’à 1,7 million de personnes se disent « prêtes » à annuler leurs prélèvements automatiques en automne.

Cette vague a suscité une inquiétude généralisée dans le secteur de l’énergie, l’Ofgem mettant en garde les consommateurs contre toute participation à cette campagne. Il est certain que le non-paiement comporte des risques : les compagnies d’énergie peuvent inscrire un « défaut de paiement » sur votre dossier de crédit (ce qui rend difficile l’obtention de nouveaux crédits) ; elles peuvent obtenir un mandat pour entrer par effraction dans le logement et installer un compteur à prépaiement sans votre permission ; elles peuvent même vous couper l’électricité. Mais tout cela ne se produit pas dans les semaines qui suivent le non-paiement, et il y a eu beaucoup d’alarmisme. Il est utile de se rappeler que ces conséquences existent strictement parce que les fournisseurs d’énergie ne veulent pas que vous cessiez de payer votre prélèvement automatique – cela nuit à leur modèle d’affaires et à leur trésorerie. Par conséquent, le fait de ne pas payer collectivement a du poids.

De nombreuses personnes qui ne peuvent tout simplement pas payer n’auront d’autre choix que d’affronter ces conséquences. Don’t Pay leur offre la possibilité de le faire, intégrées dans un ensemble, c’est-à-dire de manière solidaire, avec l’appui de groupes locaux vers lesquels se tourner pour une aide mutuelle. De plus se crée de la sorte la possibilité d’obtenir une voix de lobbying auprès du gouvernement et des compagnies d’énergie grâce à l’effet de levier du non-paiement. De même, cette pratique permet aux payeurs par prélèvement automatique, généralement plus aisés, de se battre collectivement pour des prix plus bas pour tout le monde, y compris pour ceux qui sont équipés de compteurs à prépaiement et qui s’auto-déconnectent déjà aujourd’hui parce qu’ils ne peuvent pas se permettre de payer l’énergie.

La campagne possède ses détracteurs à gauche. Certains s’inquiètent, à juste titre, des risques d’endettement. D’autres s’inquiètent du fait que les organisateurs qui l’ont lancée ne sont pas très visibles, ce qui peut conduire à des questions de responsabilité. Il est toujours difficile de coordonner démocratiquement une action de masse sans avoir recours à des organisations existantes, et il y a toujours des risques pour une action collective efficace. Mais ces problèmes peuvent être surmontés.

Les conseillers en endettement, bien que comprenant les risques, n’ont pas été tous opposés à la campagne. Certains conseillers en matière de dettes sont en conversation avec Don’t Pay : par exemple, les organisateurs ont travaillé avec un conseiller en matière de dettes pour produire un podcast afin d’informer les gens des risques liés au non-paiement (en Angleterre et au Pays de Galles), afin qu’ils puissent décider en toute connaissance de cause de leur participation au mouvement. Une structure spécialisée et respectée du secteur de la lutte contre l’endettement, Debt Camel, a soutenu sur les médias sociaux la nécessité d’une action collective éclairée. Les conseillers en matière d’endettement savent mieux que quiconque quels seront les effets des hausses de prix de cette année si aucune mesure n’est prise pour les réduire : leurs services sont déjà débordés, avec 3,5 millions de comptes énergétiques déjà en retard de paiement.

Bien que les nouvelles adhésions aient légèrement ralenti cette semaine, Don’t Pay a adopté des méthodes d’organisation plus directes afin de s’implanter dans les zones locales et d’atteindre les personnes qui ne sont pas habituellement en ligne. Des millions de tracts ont été imprimés et distribués à travers le Royaume-Uni. J’ai distribué des tracts à Manchester, et j’ai eu une réaction sans précédent : des dizaines de passants ont pris des tracts, certains ont dit qu’ils avaient déjà entendu parler de la campagne, et un large éventail de personnes ont demandé des piles de tracts pour les distribuer plus largement.

Il y a maintenant plus de 250 groupes WhatsApp basés sur les codes postaux qui ont été créés par des références locales dans différentes zones, avec plus de 5 000 organisateurs au total. Le groupe WhatsApp de mon code postal local est actif et engageant. J’ai déjà rencontré un tas de nouvelles personnes qui travaillent ensemble de manière productive – y compris des personnes qui n’ont jamais fait d’activisme auparavant. Je comprends également que Don’t Pay est en train de mettre en place des structures qui lui permettront d’agir de manière plus responsable et collective.

Même si Don’t Pay n’atteint pas le million de promesses d’engagements qu’il vise, l’impact des réseaux qu’il a créés pourrait être énorme. Ces groupes pourraient-ils prendre part à des actions directes contre les mesures de recouvrement des dettes dans diverses communautés ? Par exemple, si des huissiers viennent poser un compteur à prépaiement, il serait formidable que 20 personnes de votre code postal puissent venir résister pacifiquement. Cela pourrait s’appuyer sur l’efficace travail des syndicats de locataires qui mènent des actions de résistance aux expulsions des logements, et des réseaux anti-raid qui empêchent les personnes [demandeurs d’asile] d’être détenues par les services d’immigration.

Même sans grève, la pression créée par Don’t Pay UK alimente et façonne un débat plus énergique sur le coût de la vie. Si la grève a lieu, le potentiel est énorme.

Kate Bradley
Article publié le 24 août sur le site rs21 ; traduction rédaction A l’Encontre
http://alencontre.org/europe/grande-bretagne/grande-bretagne-la-campagne-dont-pay-prend-de-lampleur.html


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