Édition du 3 décembre 2024

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L’ascension dangereuse de Pierre Poilievre

Samedi 10 septembre, Pierre Poilievre a remporté la course à la direction du Parti conservateur du Canada (PCC) avec 68,15 % des votes. Jean Charest n’a obtenu que 16,07 % des votes. Pierre Poilievre est donc le nouveau chef du PCC. PTAG vous présente un article de Johnn Clarke qui nous explique les orientations et les objectifs du nouveau chef du PCC. (PTAG)

27 juillet 2022 | tiré de sping.ca

Il semble presque certain que la course actuelle à la direction du Parti conservateur se traduira par une victoire de la droite dure du parti en la personne de Pierre Poilievre. Dans l’esprit de ne pas rire ou pleurer, mais de comprendre, il est crucial d’évaluer les implications très malheureuses d’un résultat aussi déplorable. Mais en faisant une telle évaluation, il ne suffira pas de déplorer la politique que Poilievre personnifie. Nous devons replacer cette évolution dans son contexte et réfléchir à la manière dont nous devrions réagir.

D’un point de vue de gauche, la question immédiate, alors que Poilievre prépare son discours de victoire, est de savoir comment le défier efficacement. Un mouvement ouvrier fort et sain serait prêt à le contenir électoralement, mais aussi à le combattre jusqu’au bout au cas où il parviendrait à diriger un gouvernement. D’ailleurs, un tel mouvement serait déjà engagé dans une lutte décisive avec les représentants les plus « modérés » de l’agenda régressif exprimé par Poilievre.

Du côté acéré de la droite dure

Les politiques que Poilievre adopte se situent à l’extrême limite de la politique conservatrice. Il ne se préoccupe pas des préoccupations du « conservateur compatissant ». Il s’extasie sur les documents publiés par l’Institut Fraser et la Fédération canadienne des contribuables. Parmi ses idoles figurent Margaret Thatcher et Jordan Peterson. Il s’est catégoriquement opposé à la Prestation canadienne d’intervention d’urgence qui a été accordée aux personnes en difficulté alors que la pandémie entraînait des fermetures d’entreprises, faisant valoir que « le gouvernement ne devrait pas utiliser sa carte de crédit ». Il est en faveur de l’éviscération des systèmes de soutien du revenu et il ne voulait fournir qu’une « minuscule allocation de survie à toutes les personnes à faible revenu », qu’il promeut comme un revenu de base à la Milton Friedman.

De l’avis de Poilievre, la meilleure façon de régler la crise actuelle du coût de la vie est d’attaquer les syndicats et d’imposer des coupes massives dans les systèmes de prestation sociale au Canada. Comme l’a dit un commentateur, il « est un partisan de l’austérité réactionnaire selon le modèle de Jason Kenney, quelqu’un qui combattra les syndicats, étouffera le secteur public et réduira l’aide sociale, même si ces politiques s’avèrent très impopulaires ».

Cependant, toute évaluation du profil politique du futur chef conservateur sera insuffisante si elle ne tient compte que de ses choix politiques et ne parvient pas à apprécier le contexte dans lequel il opère. Il tire son soutien de la colère réactionnaire d’une base conservatrice en grande partie à droite. Les perspectives vicieuses de ces personnes se sont durcies tout au long de la lamentable « reprise » qui a suivi la Grande Récession, l’impact de la pandémie, la crise du coût de la vie et la crise économique en développement, les entraînant dans une frénésie dangereuse. Poilievre ne le comprend que trop bien et il est plus que prêt à attiser les flammes de cette humeur haineuse.

Poilievre n’est en aucun cas le premier politicien conservateur à soutenir le convoi de camionneurs initié par l’extrême droite, mais il le fait maintenant, dans le contexte de la course à la direction, avec l’intention d’envoyer un message clair sur ce qu’il représente politiquement. En juin, il a défilé ostentatoirement dans les rues d’Ottawa avec des partisans du convoi. Il ne s’est pas excusé lorsque les liens inévitables d’extrême droite parmi les « camionneurs » ont émergé et, face aux critiques, il a tweeté avec défi : « Mettez fin à tous les mandats. Restaurez nos libertés. Laissez les gens reprendre le contrôle de leur vie. »

Poilievre est pleinement conscient que sa base politique soutient entièrement les manifestations de droite contre les mesures de santé publique et n’est, au mieux, pas préoccupée si ceux qui sont derrière de telles actions sont liés à des groupes fascistes ou suprémacistes blancs. Il n’a aucune patience pour les agacements de l’homme qu’il remplacera, Erin O’Toole, qui a tenté de conserver une place pour le Parti conservateur en tant qu’intendant politique responsable et respectable du capitalisme canadien avant d’être largué en février. Avec Poilievre évidemment à l’esprit, O’Toole a récemment exprimé l’opinion qu’« en tant que dirigeants, nous devons canaliser les frustrations des gens en changements positifs, pas ajouter de l’huile sur le feu ». Il ne peut qu’être tristement conscient que ses conseils seront ignorés et qu’attiser les flammes est la spécialité de Poilievre.

La progression vers la droite des conservateurs peut en fait être retracée sur une période de plusieurs décennies. À la suite de leur expérience de mort imminente aux élections fédérales de 1993, alors qu’ils ont été réduits à seulement deux sièges à la Chambre des communes, ils se sont retrouvés en concurrence avec le Parti réformiste, qui est rapidement devenu l’Alliance canadienne. La fusion des Conservateurs et de l’Alliance en 2003 a mené à un Parti conservateur du Canada beaucoup plus à droite. Le chef de l’Alliance, Stephen Harper, est devenu premier ministre conservateur.

Après que les Conservateurs se soient effondrés aux mains des Libéraux de Trudeau en 2015, Harper est passé à des pâturages plus verts, et une période d’incertitude et d’instabilité politique a commencé pour leur parti. En 2017, la droite dure a failli prendre les rênes, mais Maxime Bernier a été défait de justesse dans sa tentative de prendre la direction du PCC et a ensuite formé le Parti populaire du Canada. Cinq ans plus tard, il semble qu’une deuxième tentative de poussée de la droite dure va s’avérer victorieuse et que le Parti conservateur sera maintenant dirigé par un réactionnaire intransigeant et très enthousiaste.

Favoriser une alternative de gauche

Certains au sein de l’establishment canadien (et d’autres à gauche) sont rassurés par l’idée que, bien qu’il ait une base importante de fanatiques de la droite dure, sa politique dure le rendra, lui et son parti, inéligibles. Ce point de vue n’est pas aussi fermement fondé qu’on peut le supposer au premier abord. C’est une période où il y a une tendance générale pour ceux qui s’accrochent au centre politique à vivre une crise de légitimité et où les « solutions » de droite radicale résonnent parmi une partie importante de la population.

Si les partisans d’un conservatisme un peu plus subtil au sein du Parti conservateur n’ont pas été en mesure de poser une alternative viable à Poilievre et à la droite dure, nous ne pouvons pas supposer que le centre néolibéral, sous la forme du Parti libéral, sera en mesure de les repousser. Nous sommes loin des jours grisants de popularité photogénique qui ont marqué la période initiale de Trudeau. Les libéraux sont considérablement discrédités, se frayant un chemin à travers un deuxième gouvernement minoritaire et de courte durée politique.

Les récentes élections ontariennes ont vu les conservateurs de droite de Doug Ford remporter un deuxième gouvernement majoritaire et leur victoire est en grande partie attribuable à l’absence d’une alternative efficace. Les Libéraux de l’Ontario, fortement affaiblis après avoir été chassés du pouvoir en 2018, n’ont pas réussi à regagner du terrain, tandis que le NPD, propulsé dans le rôle de principal parti d’opposition, a également été incapable de galvaniser ses appuis. Le résultat de l’élection n’a pas été marqué par un grand amour pour les conservateurs, mais par un taux de participation historiquement bas de 43,5%. La « solide majorité » obtenue par Ford représentait en fait le soutien de seulement 18% des électeurs éligibles.

Le danger évident que la situation en Ontario met en évidence est que l’appui loyal d’une base réactionnaire d’une taille très importante, combiné à l’absence d’une alternative crédible, pourrait bien générer une situation où Poilievre pourrait remporter le pouvoir. Dans le contexte actuel de crise économique mondiale, il est difficile de sous-estimer à quel point son gouvernement serait réactionnaire et destructeur.

La question décisive reste celle d’une réponse de la classe ouvrière à cette situation dangereuse. Nous avons déjà vu « la plus grande manifestation organisée par l’extrême droite canadienne depuis les années 1930 », le soi-disant « Convoi de la liberté », se frayer un chemin à travers le pays avec les principales organisations de la classe ouvrière faisant très peu pour s’y opposer. Maintenant, un dangereux populiste de droite dure est sur le point de s’emparer de la direction du parti du conservatisme dominant au Canada.

Ces deux développements indiquent quelque chose de très clair et évident. En ces temps instables et dangereux, la droite va avancer, sur le front électoral et dans la rue. Il ne sera pas contenu par les modérés grincheux de l’establishment. Une alternative électorale de gauche viable à Poilievre est très certainement nécessaire, mais, pour que cela résonne, il est nécessaire de s’appuyer sur les luttes qui sont déjà en cours à travers le pays et de créer le genre de mouvement fort et uni de la classe ouvrière que cette période réclame.

La politique de Pierre Poilievre est une menace très majeure mais elle est aussi un symptôme de crise sociétale et de l’absence de réponse combative à gauche. Poilievre n’attendra pas les prochaines élections pour commencer à répandre son poison. Il ralliera sa base haineuse et passera à l’attaque avec vigueur dès qu’il aura remporté la direction du Parti conservateur. Sur les lieux de travail et dans les rues, nous devons construire la résistance de la classe ouvrière qui peut le vaincre, lui et son programme vicieux.

Auteur : John Clarke a longtemps été un organisateur de la Coalition ontarienne contre la pauvreté et est actuellement le Packer Visitor in Social Justice à l’Université York.

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