Édition du 17 juin 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Canada

Un Éditorial « pro-guerre » du Devoir (1) ou Quand « Ma-tante » Marie s’inquiète de l’image du Canada à l’International !

C’est donc pas drôle d’arriver à une réunion des membres de l’OTAN avec seulement 1,37% de notre PIB consacré aux dépenses militaires ! Qu’est-ce que les autres vont dire ? Lucien Bouchard usait de la même rhétorique démagogique pour nous faire avaler l’« impérieuse nécessité » d’atteindre le déficit zéro à la fin des années 1990. Étant donné que les politiques de coupures et d’austérité budgétaires étaient dans l’esprit du temps, de quoi aurions-nous l’air si, au Québec, on ne suivait pas la tendance ?

C’est, à peu de chose près, la même attitude de « servage » que l’on peut observer avec des éditoriaux du même acabit que celui rédigé par Marie-André Chouinard dans Le Devoir du 12 juin dernier, éditorial qui fait office de position « officielle » du journal eu égard à la question des dépenses militaires canadiennes à propos desquelles Trump exerce son chantage habituel : « Le Canada ne pouvait plus contourner cet objectif en planant dans un espace d’utopie pacifique alors que le contexte géopolitique international, lui, bouillonne. » C’est moi qui souligne.

Le mot est lancé : « Utopie » ! Œuvrer à des relations internationales apaisées (autant que faire se peut), s’orienter vers des discussions diplomatiques afin de s’entendre, globalement, sur un désarmement à l’échelle de la planète, ne serait-ce que de façon progressive et asymétrique, tenir compte des intérêts contraires aux nôtres chez nos « ennemis », les mettre dans leur contexte géo-politique plutôt que les diaboliser en stigmatisant leurs leaders politiques, ce qui implique, en retour, de considérer nos propres intérêts comme non-absolus mais négociables, objet de pourparlers, c’est « utopique », c’est du rêve, c’est « planant ». Par contre, se lancer à corps perdu dans les dépenses militaires, ramper devant un néo-fasciste qui ne jure que par l’intimidation, les menaces de représailles en cas de refus d’obéir, qui s’affaire à installer, à l’échelle internationale, un climat de terreur, cela est rationnel, réaliste, raisonnable :

« Dans un contexte où il poursuit des négociations avec son homologue américain [ ], M. Carney pourra peut-être faire meilleure figure avec ce budget rehaussé. » Tous les journaux du monde occidental (Le Devoir y compris) vitupèrent contre l’administration Trump et ces méthodes illégales, anti-constitutionnelles, anti-démocratiques, déstabilisantes et menaçantes pour la paix et la pérennité de l’économie mondiales mais, au moment où il est possible de s’affirmer devant ce mégalomane qui ne respecte rien, Ma-tante Marie est d’accord qu’il faille faire profil pas, filer doux, le « flatter dans le sens du poil » parce que sinon, il va se fâcher et on va se sentir impuissant face à la colère du nouveau Roi Soleil.

La seule attitude juste, morale, rationnelle, la seule qui recèle une réelle probabilité d’avoir une certaine efficacité à plus ou moins long terme devant les provocations répétées de Donald Trump, c’est de lui faire face, de s’y opposer de toutes nos forces et de toutes nos capacités, le pousser dans ses derniers retranchements, le confronter à son délire et lui renvoyer son image en pleine figure afin qu’il contemple sa propre monstruosité. Quand Trump essuie un refus, quand il rencontre une opposition, qu’il est contrarié dans ses caprices d’enfant gâté et l’expression de ses pulsions infantiles, il devient « fou », il perd le contrôle, il fait n’importe quoi et cela finit par se retourner contre lui. Dans les circonstances actuelles, il faut axer nos réflexions, nos actions, nos décisions dans un cadre politico-psychanalytique (ou politico-psychiatrique si on préfère). Ce n’est pas des farces. Lorsqu’une situation socio-politique dérape, comme ce fut le cas dans les années 1930 en Europe, il faut penser au-delà du politique en tant que tel, il faut mettre à contribution d’autres expertises, d’autres expériences, il faut pouvoir considérer le problème sous plusieurs aspects, multiplier les angles d’approche afin d’adopter la meilleure stratégie, non pas pour tirer de façon « opportuniste » son épingle du jeu du chaos qui s’installe, comme nous le conseille Ma-tante Marie, mais pour éviter le pire et contribuer à ramener les rapports entre Nations, Peuples, sociétés dans un cadre rationnel et « relationnel ».

Autrement dit, il ne faut surtout pas entrer sur le terrain de Trump car là, on perd à coup sûr. Évidemment, cette solution implique une certaine « abnégation » de notre part sur le plan politique, social et économique au sens où il faut s’élever un tant soit peu au-dessus de la mêlée et adopter une vue d’ensemble qui exige que l’on mette nos intérêts à court terme entre parenthèses. Peut-être est-ce trop demander à nos politiciens et éditocrates (tous sexes confondus), incapables d’une telle grandeur d’âme et hauteur d’esprit parce que tout à fait incompétent-e-s en matière de géo-politique. En voici la preuve, si tant est qu’il faille encore dévoiler l’imposture de ceux et celles qui se prétendent « journalistes » :

« Mais le véritable meneur du jeu géopolitique est bien Vladimir Poutine, et une Russie qui gronde sur l’échiquier international.  » C’est moi qui souligne. Affirmation conséquente étant donné la teneur d’une précédente, toute aussi désarçonnante «  Pour plaire à Trump dans un monde où il tire quelques-unes des ficelles de la géopolitique actuelle, que ne ferait-on pas ?  » C’est moi qui souligne.

C’est le monde à l’envers dans lequel une puissance moyenne comme la Russie, qui ne ferait pas le poids advenant une attaque de l’OTAN sur son territoire, a plus d’influence géopolitique que les États-Unis qui, à eux seuls, pourraient anéantir le monde entier tellement sa puissance de frappe se situe au-dessus de tous ses concurrents (la Chine y compris), même réunis, et que ses centaines de bases militaires, réparties partout sur la planète, sont prêtes à obéir aux ordres du Général en chef des armées américaines, à savoir le Président en personne. Quand on sait qui occupe ce poste à l’heure actuelle, les estimations de Ma- tante Marie sur l’état des forces en présence pourraient prêter à rire si la situation n’était pas aussi dramatique.

Pour couronner le tout de cette bouillabaisse faite d’erreurs de jugement, de désinformations, d’ignorance « crasse » concernant les véritables motifs des mouvements de troupes, des provocations de part et d’autre, des stratégies militaires qui s’élaborent en parallèle des négociations en haut-lieu, et qui nous coupe littéralement l’appétit tellement elle contient d’aliments incompatibles entre eux, un cafouillage d’ordre « logique » dans le va-et-vient discursif entre l’OTAN, les États-Unis, les dépenses militaires redirigées vers le Canada, la sécurité nationale, la Russie « impérialiste » et que sais-je encore. Essayons d’y voir clair : « Le Canada ne peut plus dépendre des États-Unis pour assurer sa défense […]  » ; fort bien, jusque là ça va, rien à redire. Mais : «  […] comme membre de l’OTAN, il doit contribuer au bouclier collectif que les membres de cette organisation devraient former pour faire face aux menaces. » Donc, si on comprend bien le raisonnement de Ma-tante Marie, il faut se déprendre de notre dépendance envers les États-Unis (qui dirigent l’OTAN) pour notre sécurité et, en même temps, se conformer aux exigences de l’OTAN (dirigée par les États-Unis) en tant qu’affirmation de notre libération des griffes du géant américain. Pour le dire encore autrement (afin d’être bien sûr de bien comprendre) : il faut, d’une part, se libérer de notre dépendance aux États-Unis afin, d’autre part, d’intensifier notre dépendance aux États-Unis ! Un peu comme Carney qui invite le Roi Charles à lire le discours du Trône en signe d’« indépendance et de souveraineté réaffirmées » du Canada face au géant américain.

En fait, peu importe à qui on cherche à plaire, à ne pas déplaire, à montrer patte blanche devant les velléités néo-impériales des États-Unis qui se sont volontairement soumis (du moins, pour une bonne partie de l’électorat) aux desiderata chaotiques de Donald Trump, on est dans une impasse parce qu’il s’agit toujours de plier l’échine devant les va-t-en-guerre et leur logique d’incessante confrontation, de guerre permanente, de provocation de l’« ennemi », quitte à en créer un de toutes pièces lorsqu’il n’y a plus de menace réelle ou plus personne à stigmatiser dans le but de justifier de nouvelles dépenses militaires, de nouvelles conquêtes, de nouveaux Appels à la Nation devant le danger imminent que représente l’« Autre », tout simplement parce qu’il est « Autre ».

Pourtant, le Canada a une tradition de « modérateur » dans les conflits internationaux depuis la deuxième guerre mondiale, il a déjà pris des initiatives en ce sens (casques bleus de l’ONU, reconnaissance « officielle » de la République Populaire de Chine, politique de cohabitation Est-Ouest) et, tout compte fait, c’est dans cette ligne de désescalade et d’apaisement des tensions entre puissances (nucléaires) internationales qu’il serait le plus utile, sans parler du gaspillage de fonds publics qu’il pourrait éviter d’imposer à sa population en essayant de s’aligner sur l’OTAN ou le Pentagone, ce qui, dans un cas comme dans l’autre, revient au même

Encore faut-il qu’il puisse être représenté politiquement par autre chose que des technocrates sans vision à la Carney (promoteurs, en sus, de paradis fiscaux) ou des saltimbanques à la Justin Trudeau qui confond allègrement scène de théâtre et responsabilité parlementaire (sans parler des têtes brûlées à la Pierre Poilievre...)

Mario Charland
Shawinigan

Note
1. Marie-André Chouinard, « Un mal très nécessaire », Le Devoir, 12 juin, 2025.

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