Édition du 26 mars 2024

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Asie/Proche-Orient

Hong Kong : Politisation démocratique accélérée de masse…

Le 23 septembre 2014, la mobilisation étudiante prenait son élan à Hong Kong. Des tentes rouges, vertes bleues ou jaunes, se répandaient sur le parc Tamar, où les étudiants écoutaient des conférences, puisqu’ils boycottaient les cours. Parmi les conférenciers se trouvait un militant pour les droits démocratiques de longue date, Au Loong-yu. Initialement, ils étaient quelques centaines qui exigeaient la possibilité d’une élection effectivement démocratique, non préparée dans les sphères supérieures de Hong Kong et Pékin, pour choisir le « chef de l’exécutif » de la Région administrative spéciale chinoise de Hong Kong. Le gouvernement avait décidé, fin août, qu’un comité de 1200 personnes, lié au Parti communiste chinois, sélectionnerait quelques candidats pour ce poste. Dès le 23 septembre, il apparaissait qu’un tournant s’enclenchait dans la vie de cette île où se concentrent quelque 7 millions d’habitants.

Toujours le 23 septembre, les étudiants demandèrent une audience particulière au chef de l’exécutif de Hong Kong Leung Chun-ying. Des porte-parole du mouvement affirmaient : « Nous avons adressé un ultimatum au chef de l’exécutif. S’il ne vient pas dans le parc Tamar, dans les 48 heures, nous commencerons une escalade dans notre mouvement. » Quelques échauffourées eurent lieu en fin de journée, devant les bureaux du pouvoir exécutif, car les étudiants demandaient que Leung Chun-ying « honore ses promesses électorales », soit une modalité d’élections démocratiques pour l’échéance de 2017.

Dès ce jour, tous les reportages montrent qu’un sentiment de solidarité se développait dans les milieux étudiants. L’idée de base était la suivante : si un mouvement d’ensemble solidaire, massif se développe, il est possible que la dynamique enclenchée ait un effet sur le futur. Un certain « réalisme » décidé se fait jour dans les interviews dès le début. On peut citer des formules de ce type, que l’on retrouve souvent : « Je ne crois pas que l’on puisse changer l’état d’esprit à Pékin », dit un étudiant en journalisme du Chu Hai College of Higher Education, « mais il est important d’élever la conscience et que plus de personnes rejoignent la mobilisation. » Dès le début, un objectif était fixé pour le 1er octobre par le mouvement le plus important, Occupy Central with Peace and Love. Par là, il faut comprendre que les manifestants voulaient paralyser le centre financier de Hong Kong.

D’aucuns, face à la détermination de Pékin, pronostiquaient un recul de la mobilisation. Ce ne fut pas le cas. L’objectif du 1er octobre – jour commémoratif de la proclamation par Mao Tsé-toung de République populaire de Chine, en 1949 – restait imprimé dans l’esprit de beaucoup, même si les hésitations étaient nombreuses. Ainsi, le sociologue Chan Kin-man considérait que l’occupation de places, ponts et carrefours clés de la ville, visant de fait à la paralyser, n’était pas tenable. Toutefois, ce lundi 29 septembre, l’état d’esprit de la majorité des protestataires semble diverger par rapport à ce pronostic. Les jeunes manifestants, par dizaines de milliers, après avoir organisé un ravitaillement par camions, envisageaient toujours un blocus dans la matinée. Entre samedi et dimanche, la conjonction de l’initiative Occupy Central et de la mobilisation des jeunes hommes et femmes de multiples institutions étudiantes et scolaires a abouti de fait à un mouvement de « désobéissance civile ». Jean-Philippe Béja, spécialiste de la Chine, membre du CNRS, présent à Hong Kong – auteur de A la recherche d’une ombre chinoise. Le mouvement pour la démocratie en Chine, 1919-2004, Seuil, 2004 – affirme à Alexandra Cagnard le 29 septembre : « Il y a énormément de gens dans les rues et il y en a de plus en plus. Il y a toutes les couches de la société. Ça a été lancé par les étudiants. La campagne de désobéissance civile, qui existait depuis très longtemps, devait normalement commencer le 1er octobre, mais en fait, il y a eu une mobilisation très importante de la population. Il faut bien noter qu’il y a une absence totale de violence. Malgré les foules importantes de dizaines de milliers de personnes qui sont là, personne n’a lancé quoi que ce soit sur les forces de l’ordre… C’est un mouvement spontané de l’ensemble de la population [préparé par les étudiants et le mouvement démocratique] qui est scandalisé par le retrait des promesses de Pékin. »

Ainsi, la date du 1er octobre a été en quelque sorte avancée, mobilisations et calendrier connaissent une accélération, comme dans tout mouvement populaire d’une grande ampleur, encore plus face à un pouvoir qui affirme à la fois détermination et difficulté de gestion de la révolte, parce qu’il s’agit de cette « région administrative spéciale ». Le refus des autorités de répondre à l’« ultimatum », de recevoir une délégation des étudiants – ce qui rappelle Tiananmen en 1989 – et l’utilisation de la police antiémeute, avec ce caractère de provocation que prend dans une telle conjoncture cette option, ont mis le feu à la mèche. Occuper le centre devenait en quelque sorte logique. Une occupation envisagée avec des réflexes de gestion étudiante, dans l’ordre, du mouvement de masse. Quand bien même le lundi matin la radio de Hong Kong annonçait 41 personnes hospitalisées et l’arrestation de 78 manifestants, accusés de « troubles à l’ordre public », « entrée illégale dans des bâtiments officiels » et encore, de manière classique, « violences contre la police dépositaire de l’ordre public ».

Ainsi, Florence de Changy, pour RFI, écrit le 29 septembre, à 9h23 : « Clairement, le mouvement continue. Et ce matin, c’est un réveil chaotique et un petit peu surréaliste pour Hong Kong qui n’est pas du tout habituée à ce genre de désordre. Il y a encore plusieurs grands axes de la ville qui sont fermés et qui sont inaccessibles. Le trafic est évidemment interrompu. Il y a 200 bus dont la voie est suspendue. Plusieurs dizaines d’écoles sont fermées, les banques aussi. » L’intervention de la police, le dimanche 28 septembre, n’a pas abouti. Ce qui est à la fois un signe que des négociations ont lieu mais que l’option policière de l’exécutif de la Région administrative, et donc de Pékin, est pour l’heure vacillante, ce qui n’est pas un élément à négliger dans une région même spéciale de la Chine quand on connaît la détermination présente de Xi Jinping et sa campagne de propagande à la Mao (voir à ce sujet l’article de Frédéric Koller, bon connaisseur de la Chine, en page 2 du quotidien Le Temps du 27-28 septembre 2014). Dans tous les cas, il est plus qu’improbable que l’Assemblée populaire de Chine recule après la décision prise publiquement fin août quant aux modalités d’élection du gouvernement de la région administrative spéciale de Hong Kong.

Le retrait de la police antiémeute, le dimanche soir et le lundi matin (28-29 septembre), était accompagné d’une exigence explicite : « libérer les routes occupées dès que possible pour laisser le passage aux véhicules d’urgence et rétablir les transports publics ». Au sein de cercles relativement influents – soit des élus de la région, des professeurs connus, des représentants d’Eglises – un soutien à la mobilisation s’est manifesté depuis dimanche, entre autres sous l’effet des offensives de la police antiémeute. Ce qui valide l’analyse faite par la presse économique de Hong Kong (telle que cela est rapporté dans l’article publié sur ce site en date du 23 septembre) : Pékin et ses représentants, bien implantés, à Hong Kong, anticipant certains ralliements au mouvement démocratique étudiant, exerçaient pression et cooptation en direction des milieux d’affaires de ce centre financier, ce d’autant plus que se mettent en place des opérations de change du yuan avec d’autres monnaies, dépassant le stade actuel. Or Hong Kong joue un rôle dans ces « mécanismes financiers et monétaires d’ouverture ».

La tactique des étudiants, rappelant en cela Tiananmen, a consisté à éviter tout heurt dimanche avec la police. Pour l’essentiel, les étudiants faisaient bloc et se protégeaient avec des parapluies et d’autres moyens des jets de gaz lacrymogènes. Ils levaient les bras pour indiquer qu’ils refusaient l’affrontement, une image que l’on a vue à Ferguson. La symbolique se mondialise, à l’époque d’Internet, qui n’est pas soumis aux mêmes restrictions à Hong Kong qu’à Pékin.

Après un répit, au milieu de la matinée du lundi 29, la police est à nouveau entrée en action. Diverses firmes financières telles que Standard Chartered ou Bank of China ont suspendu leur activité « étant donné la situation dans certaines régions de Hong Kong ». Certaines firmes financières ont demandé à leur personnel de travailler chez eux (télétravail) ou de rejoindre d’autres bureaux, éloignés des centres occupés. Tout est fait en Chine continentale, par les autorités, pour présenter la mobilisation démocratique comme une opération quasi terroriste.

L’intervention policière, avec tirs de gaz lacrymogènes, n’avait plus existé depuis 2005. Certains porte-parole du mouvement étudiant et du mouvement pro-démocratie disent craindre que la police, ce lundi en fin de matinée, utilise des balles en caoutchouc, en fait très dangereuses. Des secteurs étudiants se sont déplacés dans les centres commerciaux de Causeway Bay et ont rejoint Mong Kok. Ce qui rend plus difficile le contrôle de l’espace par la police. Quel que soit le résultat immédiat de cette mobilisation – qu’il est difficile de prévoir selon des termes précis –, une césure s’est installée au plan politique à Hong Kong, avec diverses expressions, comme nous l’avions indiqué dès le 23 septembre. Dans tous les cas de figure, cette mobilisation joue un rôle d’éducation politique d’une nouvelle génération qui est marquée par une spécificité hongkongaise. Mais qui aura certaines répercussions en Chine.

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