Cette magistrate qui tint tête à l’ex-président Ben Ali est la seule femme, parmi 27 candidats, à briguer la présidence de la République tunisienne le 23 novembre prochain.
Ne dites pas à Kalthoum Kennou que le futur président de la Tunisie n’aura pas de pouvoir. La magistrate de la Cour de cassation, candidate à l’élection présidentielle du 23 novembre prochain, esquisse un sourire amusé.
Dans son spartiate QG de campagne tunisois, Kalthoum Kennou se voit telle la reine Elissa. À partir d’un terrain pas plus grand qu’une peau de bœuf, la fondatrice de Carthage ne fut-elle pas en mesure de délimiter les contours de la célèbre cité antique en découpant la peau de bête en fines lanières ?
« Veiller à la bonne exécution de la Constitution »
Si les Tunisiens lui permettent d’accéder à la magistrature suprême, Kalthoum Kennou promet de tirer le meilleur de la nouvelle Constitution adoptée en janvier dernier. « En juriste, je mesure l’importance de la première des prérogatives présidentielles, celle de veiller à la bonne exécution de la Constitution ».
Tout en saluant le caractère progressiste de cette dernière, la magistrate estime toutefois que celle-ci « est minée de plein de petites bombes qui pourraient exploser ». Elle décoche au passage quelques flèches à ses adversaires. « Tous les autres candidats ont des choses à se reprocher ». Elle pointe notamment du doigt ceux qui ont frayé avec l’ancien président Ben Ali. « Légalement, ils ont le droit de se présenter ; moralement c’est nettement plus discutable ».
Active pendant la révolution, et « irréprochable »
Sur ce terrain-là, elle est irréprochable. Si l’on retient les « considérations ’’révolutionnaires’’, celle qui correspond le plus aux critères, c’est Kennou », twittait le 5 novembre dernier la journaliste animatrice de télévision Emna Ben Jemaa. À savoir si cela suffira à rivaliser avec les poids lourds, à commencer par le favori Beji Caid Essebsi dont le parti Nidaa Tounes qui s’opposait aux islamistes est arrivé en tête aux législatives, le 26 octobre dernier.
Kalthoum Kennou a payé cher d’avoir tenu tête à l’ancien président. La magistrate fut mutée juge d’instruction à Kairouan, puis plus au Sud, à Tozeur, pour l’éloigner le plus possible de sa vie tunisoise. En 2005, ils furent une soixantaine de juges à être ainsi sanctionnés pour avoir contesté la mainmise du pouvoir sur la justice. Ils ne restèrent plus qu’une dizaine à se rebeller encore lorsqu’un putsch fut mené contre l’association des magistrats pour mettre cette dernière au pas.
Elle est alors secrétaire générale de l’association et continue dans l’ombre à faire fonctionner le bureau légitime, en parallèle du nouveau bureau officiel. Deux jours avant la fuite du président le 14 janvier 2011, elle dénonce dans un communiqué également signé par trois autres juges, les massacres de citoyens qui se sont révoltés pour la dignité et le travail.
« Je sais le poids de l’injustice »
Kalthoum Kennou a du sang de militante dans ses veines. « Ma famille est originaire de Kerkennah, un terreau de syndicalistes ». Mabrouk, le père de Kalthoum récemment décédé a payé de plusieurs séjours en prison ses engagements militants. « Je sais le poids de l’injustice pour une famille ».
Son deuxième mari, médecin, a lui aussi été condamné à treize années de prison. Après une première condamnation et une année de détention, il s’est réfugié en France où il exerce depuis lors, le couple et leurs trois enfants vivant entre Tunis et Lyon.
C’est pour satisfaire ce père admiré que Kalthoum Kennou se tourne vers la magistrature. « Je me rêvais journaliste ou musicienne ». Connue comme activiste par-delà les frontières dans les milieux de défense des droits humains, le grand public tunisien la découvre à la faveur du soulèvement de 2011.
Elle fait partie de ces femmes courage qui sont invitées sur les plateaux de télévision. On loue ses exploits passés, tel un mandat d’amener contre un des neveux du président Ben Ali.
Menacée de mort pendant les troubles extrémistes
La magistrate devient incontournable. Élue présidente de l’association des magistrats, après dissolution du bureau « benaliste », elle participe à la première haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution. L’an dernier au plus fort des troubles islamistes extrémistes, elle est aussi menacée de mort, comme plusieurs personnalités indépendantes.
« Les partis politiques ont échoué. De la société civile renaîtra l’espoir », souligne Kalthoum Kennou, mettant en avant son parcours comme gage d’intégrité, son sexe comme atout de modernité. « Yes we Kannou », veulent croire ceux qui ont créé un mouvement de soutien à la candidate.