L’oligarchie, qu’est-ce donc ?
L’oligarchie, écrit-il ce n’est pas la dictature, c’est le gouvernement par le petit nombre des puissants. Entre eux, il discutent, réfléchissent, s’opposent, rivalisent. Ils font « démocratie », mais entre eux, sans le peuple. Et quand la décision est prise, elle s’impose, même si l’on y met les formes en habillant avec un art consommé la procédure électorale et la discussion publique... L’oligarchie, elle, a une conscience de classe aiguisée, une cohérence idéologique sans faille, un comportement sociologique parfaitement solidaire » [1] Il illustre son propos par une déclaration du milliardaire Warren Buffet : « Il y a lutte des classes, tout à fait, mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène la guerre, et nous la gagnons [2].
Ce système de domination n’est pas totalement installé. Il y a un glissement de toutes les sociétés vers l’oligarchie qui fait qu’on peut déjà affirmer que nous ne sommes déjà plus en démocratie. Est-ce que l’État est au service du peuple et que les gouvernements mettent en oeuvre sa volonté ? Tout au contraire, l’État est là pour soutenir les entreprises et veiller au maintien de leurs profits. C’est l’oligarchie qui forme les gouvernements. Le gouvernement britannique dirigé en 2010 par M. Cameron, il compte 18 millionnaires sur 23 membres. [3] Ces derniers n’ont pas hésité dans les dernières décennies à privatiser les biens publics dans les intérêts des puissants. L’oligarchie des différents pays a diminué les dépenses sociales, détériorant les services publics, pour préparer le terrain des privatisations, de la mise en place de partenariats public-privé. Tout cela, car l’oligarchie visait à ouvrir de nouveaux espaces aux affairistes avides de nouveaux gains.
Avec le renforcement de son pouvoir au sommet de la société, l’oligarchie mène son jeu de plus en plus ouvertement donnant au peuple l’impression d’une corruption généralisée. En fait, les membres de l’oligarchie occupent tant les postes importants en politique qu’au niveau des directions des grandes entreprises. Il y a une véritable circulation des élites du terrain politique au terrain économique et inversement. Au Québec, nous avons eu nombre d’exemples de ce fait récemment. Hervé Kempf donne l’exemple de l’administration Obama qui est particulièrement éclairant. (voir la boîte au bas de l’article)
C’est pourquoi le peuple est de moins en moins souverain. Il est souverain sauf quand l’oligarchie en décide autrement. Et, la démocratie est de plus en plus un manteau jeté sur l’intransigeance de l’oligarchie. Les peuples s’en rendent bien compte qui se détournent des mécanismes électoraux qui apparaissent truqués, tombés qu’ils sont sous le contrôle des plus riches.
Le défi de la démocratie planétaire face à l’oligarchie
Hervé Kempf rejette sans hésitation les thèses de certains écologistes qui tendent à s’éloigner de la démocratie sous prétexte d’efficacité. On ne pourra faire face aux défis écologiques comme le basculement climatique que la planète connaît que si on sait créer un front antioligarchique cohérent. L’oligarchie n’a qu’une seule ambition : se faire l’apôtre de la relance et de la croissance de la production au prix d’une inégalité massive, d’une crise écologique géante et d’une répression violente des rébellions. Soit, elle refoule la problématique écologique en cherchant à développer un climatoscepticisme qu’animent aujourd’hui les lobbies pétroliers étatsuniens. Soit, elle trouve dans les problèmes écologiques, une nouvelle occasion d’investir et de développer un capitalisme vert. Les solutions avancées par ce capitalisme vert ne font qu’approfondir la crise écologique (agrocaburants, commerce des droits de polluer, enfouissement de CO2, relance de la filière nucléaire, voitures électriques...) La gauche productiviste n’est pas une alternative véritable, car tout ce qu’elle propose c’est la diminution de l’inégalité sociale à la marge de façon à ne pas heurter l’oligarchie.
Pour Hervé Kempf, il faut, adopter une approche écologiste qui pose la nécessité d’en finir avec la démesure et de repenser la production sous un mode démocratique car seule une gestion commune et démocratique de la planète peut nous permettre de dépasser la crise écologique actuelle.
Pour Kempf comprendre l’oligarchie n’est pas un luxe terminologique. Les citoyens perdent des batailles, souligne-t-il, parce qu’ils ne mesurent pas la détermination et le cynisme de ceux à qui ils confient le pouvoir, les croyant soucieux du bien public.
On doit donc en finir avec la confiance envers l’oligarchie et utiliser ce qui reste de démocratie pour refuser la servitude.
Les dimensions stratégiques avancées restent mal définies. Mais Hervé Kempf trace tout de même de grands éléments de programmes qui nous semblent aujourd’hui incontournables :
– instaurer une véritable démocratie économique et sociale qui implique l’éviction des grandes féodalités économiques et financières à la direction de l’économie
– redonner à la nation les grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun, sources d’énergies, richesses du sous-sol, compagnies d’assurances et grandes banques
– manifester une solidarité sociale agissante en assurant à tous les citoyennes et citoyens les moyens d’existence
– En finir avec la pensée unique, et donner les moyens de la liberté de parole et de presse au plus grand nombre.
Ce livre de Kempf est à lire avec le plus grand soin... Il dresse un portrait éclairant de l’oligarchie. Ses pistes stratégiques restent par contre sous-dimensionnées. La lecture du livre « Jalons vers un monde possible » de Thomas Coutrot [4] le complète bien à cet égard.
[La circulation des élites]
M. Obama, qui avait collecté deux fois plus de fonds pour financer sa campagne présidentielle en 2008 que son rival McCain (745 millions de dollars contre 368) , a intégré dans son équipe gouvernementale des personnalités venues du monde financier comme Lawrence Summers, Timothy Geithner et Peter Orszag, tous trois très liés avec Robert Rubin, ex-président de Goldman Sachs et artisan, sous Bill Clinton dont il était le secrétaire au Trésor, d’une accélération de la dérégulation financière. Le ministre de la Justice, Eric Holden, a quant à lui travaillé chez Covington & Burting, un cabinet juridique défendant les intérêts des grandes entreprises, tandis que Dennis Blair, directeur jusqu’en mai 2010 des services d’espionnage, le National Intelligence, était auparavant membre du conseil d’administration d’une compagnie de matériel militaire, EDO Corp. James Jones, conseiller pour la Sécurité nationale, était pour sa part l’un des directeurs de Boeing et de Chevron. D’autres représentants des corporations ont été nommés par la nouvelle administration à des postes moins visibles, tels Isi Siddiqui, ancien vice-président de Croplife, association des entreprises de pesticides et de biotechnologies végétales, comme négociateur pour les questions agricoles, Michael Taylor, ancien vice-président de Mansanto, comme commissaire adjoint à l’Agence de l’alimentation et des médicaments (FDA), ou William Lynn, ancien lobbyiste pour la firme d’électronique militaire Raytheon, au poste de ministre adjoint à la défense. Au total, le journaliste Timothy Carney a recensé 45 ex-lobbyistes à des positions importantes de l’administration Obama. Et moins de deux ans après l’entrée en fonction du Président, certains commençaient à quitter le gouvernement, pour rejoindre.... des cabinets de lobbying. C’est le cas de Darnon Munchus, un adjoint de Timothy Geithner, reparti au printemps 2010 vers Cypress Group, qui défend les intérêts des hedge funds et autres gérants de produits dérivés. (pp.53-54)