Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

Le double standard

On a déjà commencé à nous casser les oreilles avec la commémoration du vingtième anniversaire de l’opération du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles (le "World Trade Center") de New-York et l’attaque plus ou moins réussie contre l’édifice du Pentagone.

Ces agressions ont fait 2996 morts au total (en comptant les militants islamistes auteurs de l’attentat). On les présente comme l’exemple achevé du "terrorisme" hideux qui menacerait l’Occident. Ce sombre portrait contribue a renforcer l’image du Moyen-Oriental fanatique religieux, barbare et violent.

On peut comprendre le bouleversement des Américains devant cet acte d’une ampleur jusqu’alors inégalée, générateur d’un traumatisme profond. On ne peut approuver bien sûr ce genre d’initiative. Toutefois, les cibles visées par Al-Qaïda n’étaient pas aussi innocentes qu’on le prétend. Le président George Bush a condamné la destruction des tours jumelles comme une agression contre "la réussite à l’américaine". Traduisons : contre le capitalisme financier des États-Unis et une certaine ascension professionnelle qui en découle pour des catégories limitées de travailleurs et de travailleuses.

Le Pentagone constituait pour sa part une cible encore moins innocente : il s’agissait depuis des lustres et encore maintenant d’un haut lieu de complots à l’encontre de mouvements révolutionnaires et de peuples qui luttent contre l’hégémonie américaine, laquelle s’exerce par dictatures interposées et États-clients.

On insiste toujours sur le grand nombre de victimes innocentes provoquées par les opérations du 11 septembre, et à juste titre. Mais les guerres et les opérations de déstabilisation de la Maison-Blanche à l’encontre de régimes qui contestent les intérêts américains dans le monde ont aussi entraîné leur ample lot de civils tués, sans même parler des deux bombes atomiques larguées en 1945 sur Hiroshima et Nagasaki et pour lesquelles le Japon n’a jamais reçu d’excuses officielles de Washington.

Par ailleurs, à quand un monument aux Vietnamiens et Vietnamiennes tombés au combat ou victimes de bombardements aériens lors de l’intervention américaine de la décennie 1960 et au début de la suivante ? Sans doute jamais. Pareil pour les dizaines de milliers d’ Afghans et Afghanes et les Irakiens et Irakiennes victimes collatérales de "la guerre au terrorisme" menée par les États-Unis et certains de leurs alliés de 2001 à 2021.

J’anticipe, mais comment ne pas évoquer par la même occasion les massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila entre le jeudi 16 septembre et le samedi 18 septembre 1982 ? Ces tueries, qui faisaient suite à l’invasion du Liban par Israël visait à éliminer l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) ont été commises avec la complicité de l’armée israélienne et de son ministre de la défense, Ariel Sharon, lequel a du démissionner de son poste en 1983 à la suite de ces événements tragiques. Il avait en effet autorisé l’entrée des milices de droite phalangistes ennemies jurées des Palestiniens dans les camps, au mépris de la prudence la plus élémentaire. Au "mieux", il a fait preuve de négligence criminelle, au pire, de complicité avec les alliés phalangistes d’Israël.

Le nombre précis de victimes palestiniennes n’est pas connu, et ne le sera sans doute jamais. Les diverses évaluations se situent entre 460 et 3,500, des civils pour la plupart. Beaucoup de fedayins (combattants palestiniens) avaient déjà perdu la vie quand l’armée israélienne a envahi le Sud-Liban en juin 1982. On parle ici de massacres froidement commis par des Phalangistes libanais (d’obédience chrétienne), sans que les militaires israéliens déjà présents à Beyrouth-Ouest et près des camps n’interviennent pour sauver les réfugiés, et ce en dépit de rapports alarmants faits par des miliaires israéliens à leurs supérieurs, qui leur ont ordonné de ne pas intervenir.

Le gouvernement américain ne s’attendait pas à ce dérapage dans lequel il n’eut aucune responsabilité directe (sauf d’avoir appuyé l’invasion du Sud-Liban par l’armée israélienne), mais il n’en a pas moins continué à soutenir indéfectiblement son protégé israélien par la suite.

L’année prochaine, presque à la même date, les médias occidentaux évoqueront-ils le quarantième anniversaire ces événements tragiques ? On peut en douter puisque la politique américaine (comme canadienne) repose sur le postulat implicite qu’une vie occidentale vaut mieux que son équivalente palestinienne ou arabe. Il y a de ces sujets délicats (car révélateurs) que la plupart des politiciens préfèrent tenir dans l’ombre et ne pas évoquer en public. Ça s’appelle regarder délibérément ailleurs.
Évidemment, en général, on n’aime pas s’identifier à des réfugiés palestiniens, vus comme de continuels perdants et culturellement éloignés de nous, mais plutôt aux victimes américaines du 11 septembre 2001.

Toutefois, l’image de marque de la "réussite à l’américaine" a été sérieusement altérée en ce fatidique mois de septembre...

Jean-François Delisle

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