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La fachosphère délaisse Marine Le Pen pour se ranger derrière Zemmour

Déçus de Marine Le Pen, éloignés du Rassemblement national, partisans de « l’union des droites », figures néonazies, identitaires ou royalistes : la fachosphère est désormais en ordre de marche derrière la candidature d’Éric Zemmour, qui les accueille à bras ouverts, assumant de « se foutre de la diabolisation ».

21 octobre 2021 | tiré de mediapart.fr

Elle l’attendait depuis des années. Déçue par le Rassemblement national (RN), toute une frange de l’ultradroite accueille aujourd’hui la future candidature d’Éric Zemmour comme une bénédiction. Une chance, se dit cette nébuleuse, de voir ses idées accéder au pouvoir. Alors que le parti d’extrême droite tente, depuis dix ans, de nettoyer sa vitrine en faisant disparaître les éléments les plus gênants, l’amertume des personnes mises sous le boisseau lui revient aujourd’hui comme un boomerang.

Priés de se faire discrets, les néonazis, les identitaires, les royalistes ou encore les catholiques intégristes ont trouvé en Éric Zemmour un candidat qui les accueille à bras ouverts, assumant même de « se foutre de la diabolisation ». Grâce à lui, mais aussi grâce à son incroyable surface médiatique, cette « dissidence », comme ils aiment souvent à se qualifier, longtemps cantonnée aux marges, relève la tête, pensant son heure arrivée.

La récente soirée du nouveau média Livre noir, lancé par deux proches de Marion Maréchal pour accompagner la candidature du polémiste d’extrême droite, donne un bon aperçu de ce que ses soutiens appellent « l’union des droites ». Un agglomérat hétéroclite de tous les groupes radicaux que le RN a exclus ou qu’il n’attire plus, certains jugeant le parti de Marine Le Pen trop « républicain », d’autres l’estimant trop complexé vis-à-vis du racisme.

Toutes les figures de la fachosphère – dont les youtubeurs Papacito, Julien Rochedy, Baptiste Marchais – sont ainsi venues trinquer le 6 octobre, sur une péniche du XVe arrondissement de Paris, avec Marion Maréchal et l’ex-porte-parole de Génération identitaire (GI), Thaïs d’Escufon, dont l’organisation a été dissoute, en mars dernier, en raison de ses activités factieuses et de son « idéologie xénophobe ».

« Éric Zemmour, pour moi, c’est la panacée, c’est ce qui va guérir la France », clamait Papacito dans l’entretien accordé ce soir-là à Livre noir. Revenant sur son récit mythique de l’histoire de France, de Du Guesclin à Charles Martel, en passant par le chevalier des croisades Godefroy de Bouillon, le youtubeur, dont nombre de vidéos atteignent le million de « vues », enchaîne :

« Ces mecs-là, ils ont défendu un truc : c’est la France. [... ] C’est pour cela que je suis très perméable aux discours d’Éric Zemmour, parce que je sens qu’il a aussi ce poids-là. Je sens qu’il a aussi, d’une manière différente, hérité de toute cette tension française, de cette soif de renaître, de redevenir éclatant. Je sens en lui ce projet-là et il y a plein de gens qui sentent en lui ce projet-là [... ]. Cette dynamique fait qu’on a rendez-vous avec l’histoire en 2022. Il faut que les Français ne se trompent pas. Éric Zemmour peut être le vecteur du retour de la France. »

À force d’avoir mis de l’eau dans son encre, Marine Le Pen n’imprime plus

Jean-Yves Le Gallou

En dehors de ces nouvelles figures très populaires auprès d’un public jeune, la candidature de l’ancien chroniqueur de CNews et du Figaro met aussi d’accord les historiques de l’extrême droite nationale et xénophobe. Du côté des intellectuels, Renaud Camus, dont la rhétorique raciste du « grand remplacement » a envahi les plateaux des chaînes d’information en continu, soutient désormais pleinement la candidature d’Éric Zemmour. Tout comme Jean-Yves Le Gallou, autre figure de cette nébuleuse.

« À force d’avoir mis de l’eau dans son encre, Marine Le Pen n’imprime plus, détaille-t-il sur le site d’extrême droite Breizh-info. La stratégie de la “dédiabolisation” a triplement échoué : Marine Le Pen a réussi à démobiliser ses électeurs sans pour autant rassurer l’opinion ni devenir crédible ! Elle a vidé les idées, vidé les cadres, vidé les caisses et maintenant les urnes. [...] En clivant, Zemmour mobilise (comme Sarkozy l’avait fait en 2007) et réunit. »

Au mois de juin, Jean-Yves Le Gallou avait déjà exposé sur Twitter les ingrédients d’une possible victoire électorale d’Éric Zemmour, qui occupe, selon lui, un « triple espace » : « Les LR [Les Républicains – ndlr] bafoués par leur appareil et les médias, les identitaires méprisés et négligés par l’appareil mariniste, beaucoup d’abstentionnistes insatisfaits de l’offre politique. »

Autre figure influente de la fachosphère, Daniel Conversano, qui se définit comme « ethno-différentialiste » ou suprémaciste blanc, a lui aussi affiché son soutien à Éric Zemmour, dans un récent « live ». « Éric Zemmour tient les discours que nous tenons sur Internet dans le camp national depuis des années… Il a fini par le dire à la télévision. [...] Quand Z parle, je suis d’accord avec lui à 100 %... [...] C’est un régal. Il est scintillant », s’est enthousiasmé celui qui a édité les œuvres du théoricien d’extrême droite Guillaume Faye et projetait de faire de même avec le négationniste Robert Faurisson, avant sa mort.

Daniel Conversano raconte avoir longtemps voté pour Marine Le Pen, mais n’avoir pas digéré ses déclarations sur l’islam « compatible avec la République ». Une trahison à ses yeux. Au sein de cette ultradroite habitée par l’antisémitisme, la judéité d’Éric Zemmour est évidemment un obstacle à surmonter. « La raison pour laquelle je voterai pour lui et pas pour Marine Le Pen… Pour gagner !, poursuit-il. Si on parle de race [...] je préférerais que Marine Le Pen ait le talent d’Éric Zemmour parce que Marine Le Pen, elle est vraiment française [...]. Vous connaissez mes idées... Vous savez ce que je pense du sujet tabou avec un grand R… je préfèrerais que Marine Le Pen soit performante. »

Les transgressions racistes et xénophobes de l’ancien chroniqueur de CNews et du Figaro sont une incroyable opportunité à saisir, plaide encore Daniel Conversano : « On a Zemmour qui assume l’héritage de Pétain, déjeune avec la fille de Ribbentrop [ministre des affaires étrangères du IIIe Reich, pendu à Nuremberg – ndlr], c’est un vent de liberté. »

Les antisémites avec Zemmour

Le multi-condamné Hervé Ryssen, figure avec Alain Soral de l’antisémitisme le plus virulent en France, s’est lui aussi, à peine sorti de prison, rallié au panache brun du polémiste d’extrême droite. Après une nouvelle condamnation en mai dernier pour contestation de crime contre l’humanité et injure antisémite, il s’est lancé dans le dernier numéro de la revue Civitas, intitulé « Zemmour – salut ou arnaque ? », dans un long et tortueux développement pour expliquer, en substance, comment, lui, l’antisémite, peut se ranger derrière un juif…

« Maintenant, il y a une petite poignée de puristes qui considéreront toujours Zemmour comme un ennemi du fait de ses origines juives séfarades, quoi qu’il dise, quoi qu’il fasse. Je ne méconnais pas la capacité de certains membres du “peuple élu” à se transformer en tout et n’importe quoi pour absorber une opposition politique, circonvenir leurs adversaires et enjôler les plus rétifs. [...] Mais je sais aussi que dans l’histoire, de nombreux juifs sont sortis du judaïsme ; et certains se sont convertis sincèrement au christianisme. Vous me direz que Zemmour ne s’est pas converti ! Mais ce n’est pas en lui crachant dessus qu’il va franchir le pas vers nous. »

Chroniqueur pour l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles et auteur de plusieurs pamphlets sur l’immigration et l’islam, Gregory Roose soutient lui aussi le polémiste. Cet ancien secrétaire départemental du FN dans les Alpes-de-Haute-Provence, qui a quitté le parti en 2018, a récemment publié Journal d’un remplacé, à l’usage des esclaves des grands et petits remplacements (Ad Gloriam). Il y écrit notamment que « la France a le droit et le devoir de retrouver son unité, son homogénéité ethnique ».

Le 23 août, dans Valeurs actuelles, il écrivait encore : « En 2022, Marine le Pen pourrait disposer de deux options : perdre dans le déshonneur ou se sacrifier pour la France. »

Sans structure partisane, Éric Zemmour peut compter sur cette nébuleuse pour se constituer un inquiétant vivier.

Dans la galaxie de l’extrême droite qui s’est rangée derrière Éric Zemmour, on trouve également Thomas Joly, président du Parti de la France, un microparti créé par l’ancien eurodéputé frontiste Carl Lang en 2009. C’est lors de sa « fête du cochon grillé » qu’il a annoncé son soutien, en cohérence avec les tee-shirts à la gloire du maréchal Pétain qu’il aime porter (voir photo). Autre exemple : Thomas Ferrier, dirigeant du Parti des Européens, un groupuscule identitaire et raciste se réclamant du « polythéisme aryaque de nos ancêtres ».

Sur Twitter, Thomas Ferrier a récemment estimé que « Le Pen [était] inintéressante ». « Elle va se prendre une branlée électorale mémorable, a-t-il écrit. Et on applaudira tous. Zemmour désigne et nomme le véritable péril. Il faut que toute l’Europe s’unisse pour y faire face. L’Europe unie est notre forteresse. » Dans son programme, Thomas Ferrier propose une citoyenneté européenne définie par le sang et le « principe d’ascendance patrilinéaire et matrilinéaire ».

Auteur, sous pseudonyme, d’une brochure intitulée Fascisme, fascismes, national-socialisme, où il ne propose rien de moins que la réhabilitation de cette idéologie « en ce qui concerne ses valeurs si cela ne peut être son nom », Thomas Ferrier a proposé ses services à Éric Zemmour pour être candidat aux législatives de 2022. Sans structure partisane, le polémiste d’extrême droite peut compter sur cette nébuleuse pour se constituer un vivier.

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