Édition du 23 avril 2024

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Afrique

La force de la classe ouvrière mise au service du nationalisme et de la bourgeoisie

Au temps de l’apartheid, l’ANC camouflait sa politique de défense des intérêts de la bourgeoisie derrière les mots de liberté et de suffrage universel, mais son but était de gérer les affaires de celle-ci au gouvernement, et rien d’autre

. Au bout du compte les luttes de la classe ouvrière noire dans les années 1970 et 1980 n’ont abouti qu’à changer la couleur de peau du personnel politique au service de l’exploitation capitaliste, et encore pas de tous. Et les hommes qui composent les rouages de l’appareil d’État sont resté en partie les mêmes, au service d’une bourgeoisie, toujours blanche dans sa grande majorité. Ce que les nationalistes noirs ont changé, c’est très peu de choses. En tout cas, la classe exploiteuse s’y est très bien adaptée.

Pourtant en Afrique du Sud des militants se sont lancé à chaque génération dans la lutte pour bouleverser cette société injuste. Des intellectuels blancs et noirs ont été capables de rompre avec le conformisme raciste et social et ont réussi à trouver le lien avec les travailleurs noirs opprimés. Et surtout la classe ouvrière sud-africaine a fait surgir des militants noirs en quantité. Ensemble ils ont affronté courageusement la répression quasi permanente tout au long du 20ème siècle. Mais ils se sont rangés pour la plupart derrière la politique des dirigeants staliniens. Le parti communiste a fait le choix de mettre ses militants et leur influence sur la classe ouvrière au service des nationalistes noirs.

Sous l’apartheid, le PC a cantonné la combativité des travailleurs, dès qu’elle débouchait sur des revendications politiques, sur un terrain exclusivement nationaliste. Il a freiné les luttes à partir du moment où l’ANC est arrivée au pouvoir. Il a fourni des ministres aux gouvernements anti-ouvriers depuis 1994, et a même contribué, par l’intermédiaire de ses cadres qui jouaient un grand rôle dans la bureaucratie syndicale, à la création d’une couche de parasites bourgeois, noirs de peau.

Le parti communiste a une grande responsabilité dans la situation politique actuelle en Afrique du Sud. D’autant plus grande qu’il aurait pu choisir de mener une politique bien différente s’il n’avait pas substitué le stalinisme au marxisme, troqué l’internationalisme pour le nationalisme, et préféré la construction du parti bourgeois qu’est l’ANC à la perspective de la révolution prolétarienne.

Sans le dévouement des militants communistes, il n’est pas sûr que l’ANC aurait survécu en tant qu’organisation à la répression sous l’apartheid. Et lors de la mobilisation des masses, et particulièrement de la classe ouvrière, pendant plus d’une décennie à partir des années 1970, il n’était pas écrit d’avance que cette énergie militante soit canalisée derrière l’ANC, en bonne partie grâce aux efforts du PC. Le PC a délibérément entravé toute possibilité de développement de la conscience de classe qui aurait pu permettre aux travailleurs de comprendre que l’ANC défendait le pouvoir de la bourgeoisie blanche tout autant que les tenants de l’apartheid. Et alors que les travailleurs se heurtaient au cours de chacune des vagues de mobilisation à l’appareil d’État, le PC a mis tout son poids pour que les masses ne se donnent pas comme but le renversement de cet État.

Pourtant dans les townships en rébellion, les travailleurs s’étaient débarrassés de la présence quotidienne de la police blanche et de ses supplétifs noirs. Ils n’étaient à la merci des raids meurtriers des forces de répression que parce qu’ils n’avaient pas les armes qu’ils réclamaient en vain au PC et à l’ANC. Ayant repoussé l’État hors de leurs townships, les travailleurs contestaient beaucoup d’aspects de la société bourgeoise au travers des comités qui fleurissaient. Il n’était pas hors de leur portée de se gouverner eux-mêmes.

Il est évidemment impossible de savoir si sous la direction d’un parti révolutionnaire prolétarien réellement communiste, les luttes de la classe ouvrière auraient pu déboucher sur une révolution. Mais il est certain que tous les appareils politiques ayant eu de l’influence sur le prolétariat ont pesé pour que le mouvement n’aille pas jusqu’au bout de ses possibilités.

L’enjeu était d’autant plus important que la lutte du prolétariat sud-africain bénéficiait d’une large sympathie parmi les opprimés du monde entier. Pendant une dizaine d’année il symbolisa pour beaucoup la lutte déterminée et courageuse contre l’oppression. Et dans toute une partie du continent africain, cette lutte était palpable aussi bien au travers des militants sud-africains en exil que par le biais des travailleurs africains immigrés en Afrique du Sud. Dans les pays limitrophes les pauvres étaient opposés dans leur lutte pour l’indépendance nationale à l’État sud-africain également, ennemi qu’ils partageaient avec leurs frères des townships de Soweto et d’ailleurs.

Aujourd’hui la classe ouvrière sud-africaine est bien moins politisée. Et elle est absorbée par les problèmes quotidiens que pose sa survie matérielle. Mais elle reste toujours la classe ouvrière la plus nombreuse d’Afrique et la plus organisée. L’année 2009 a été marquée par un regain des luttes grévistes contre les licenciements, mais aussi pour l’augmentation des salaires dans les mines, les transports et la construction. Alors ce que nous espérons, c’est que le rôle moteur dans la lutte de classe contre la bourgeoisie qu’elle n’a pas pu jouer dans le passé, la classe ouvrière puisse le tenir à l’avenir, et s’en servir pour le renversement de l’ordre capitaliste.

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