Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Le Parti Québécois et Québec solidaire : des frères ennemis ?

Dans le texte publié la semaine dernière et intitulé : "Les solidaires à la croisée des chemins", Balint Demers reprend le même vieux thème du lien entre indépendance et socialisme démocratique (ou social-démocratie).

Il propose une alliance informelle et ponctuelle, bref un rapprochement entre le Parti québécois et Québec solidaire. Selon lui, seule cette entente sur une base souverainiste et social-démocrate serait susceptible de redonner de la vigueur à Québec solidaire qui formerait une sorte de front commun avec le Parti québécois.

À première vue, cette stratégie est logique et pourrait porter ses fruits. Mais l’auteur prend pour acquis la vérité du virage "social-démocrate et écologique entamé sous Jean-François Lisée puis confirmé et clarifié sous PSPP".

Il n’entre pas dans mes intentions de commenter en détails toutes les propositions et suggestions de Balint Demers. Il me paraît avoir raison sur un certain nombre de critiques comme l’adoption par la direction du parti des thèses de la gauche libérale américaine et son opposition à la loi 21 et se tromper sur d’autres. Je vais plutôt me livrer à une remise en perspective historique de l’évolution du Parti québécois et du Québec solidaire.

Il faut d’abord corriger une erreur de sa part. Contrairement à ce qu’il affirme, le Parti québécois ne s’est pas rallié au néolibéralisme à partir de Lucien Bouchard, premier ministre de 1996 à 2001. L’adhésion du cabinet péquiste à ce courant idéologique et aux politiques sociales restrictives qui en découlent remonte au second et dernier mandat de Lévesque (1981-1985). Elle est donc ancienne. Pour résumer, René Lévesque avait donné le pouvoir aux éléments conservateurs du parti après le scrutin d’avril 1981. Son gouvernement a par conséquent coupé massivement et arbitrairement dans les dépenses publiques pour compenser la baisse des paiements de transfert fédéraux et affronter la récession de 1982-1984. Il s’est mis à tenir un discours néoconservateur pour justifier ce changement de cap dont l’ampleur et la brutalité ont surpris bien des gens. À partir de 1982, il n’a plus défendu la social-démocratie que du bout des lèvres. Il en a résulté une impopularité croissante du gouvernement péquiste. Il a rompu avec ses alliés traditionnels (les centrales syndicales et les groupes communautaires) pour tenter de se rallier le monde des affaires, un vieux rêve de Lévesque et d’une partie de sa garde rapprochée. S’il a bien réussi la première partie de l’opération, la seconde connut un échec monumental.

À la suite de ce qu’on a appelé "le rapatriement de la constitution" en 1982 par le gouvernement libéral fédéral de Pierre-Elliott Trudeau malgré l’opposition du Québec et surtout du marasme économique qui sévissait, Lévesque a du démissionner en 1985 dans le discrédit général. Il avait perdu la confiance de plusieurs de ses députés, qui sentaient leur réélection menacée. Pierre-Marc Johnson l’a remplacé au pied levé, ce qui n’épargna pas la défaite du gouvernement péquiste au scrutin tenu cette année-là. Les libéraux de Robert Bourassa le remplacèrent.

Les gouvernements du Québec qui se sont par la suite succédé ont tous plus ou moins suivi la même voie socio-économique, reprenant les thèmes néolibéraux comme l’avait déjà fait René Lévesque : austérité, équilibre à tout prix des finances publiques, survalorisation du privé dans l’économie, précarisation croissante du marché de l’emploi et j’en passe. Lucien Bouchard n’a fait que continuer dans cette veine.

C’est en réaction contre cette orientation néo-conservatrice que la gauche sociale s’est regroupée pour former d’abord l’Union des forces populaires (l’UFP) en 2002 et ensuite Option citoyenne en 2004. Les deux ont fusionné en 2006 pour donner Québec solidaire.
Ayant participé à la mise sur pied de l’UFP je me souviens que l’objectif premier du parti n’était pas l’indépendance mais une forme de socialisme démocratique. Québec solidaire une fois mis au monde a immédiatement fait sien l’objectif souverainiste. C’est en 2011 que fut intégré un projet d’assemblée constituante, ouvert à toutes les tendances (y compris fédéralistes), qui devait rédiger une constitution pour le Québec, laquelle serait soumise à la population par voie de référendum et qui servirait éventuellement de base de discussion avec Ottawa. Cette décision me semblait plus rassembleuse que l’adoption d’une orientation indépendantiste. En mai 2017, le parti a décidé de ne soumettre à la population qu’un projet indépendantiste (sous l’influence d’Option nationale dont les militants avaient "pacté" l’assemblée qui devait décider de la nature du projet à proposer aux gens).

Mais selon les sondages, une majorité de membres de QS ne sont pas souverainistes, ou du moins n’accordent pas la priorité à cet objectif, ce qui explique les contorsions de sa direction sur ce sujet.

Sur ce plan, le Parti québécois présente l’avantage de la clarté. Par contre, pour ce qui regarde son "virage social-démocrate et écologique", il faut se rappeler qu’il a l’habitude de jouer sur les mots. Il s’est toujours prétendu progressiste tout en justifiant des politiques rétrogrades par les présumés nécessaires sacrifices que travailleurs et travailleuses devaient accepter afin de sauvegarder la capacité de redistribution de l’État... Présentement, sous PSPP, le Parti québécois tente de revamper son image de parti de gauche. Mais dans quelle mesure peut-on prendre ce virage au sérieux ? Ça reste à voir.

Un examen rétrospectif s’impose à ce point de mon exposé au sujet de ce qu’on appelle "la gauche". Il faudrait plutôt parler "des gauches". On en distingue trois au Québec.

1- Une gauche nationaliste, indépendantiste mais dont tous les membres ne sont pas à gauche sur le front social ;
2- Une gauche sociale, surtout syndicale et communautaire mais dont tous ne sont pas indépendantistes ;
3- Une gauche culturelle (artistes, chansonniers, comédiens, etc)..

Fin des années 1960 et début de la décennie suivante, à la faveur de la fièvre souverainiste alors montante, l’ensemble des deux dernières gauches a rejoint le camp souverainiste, non sans esprit critique vis-à-vis de la direction péquiste, ce qui explique les tiraillements qui ont marqué l’histoire de cette formation politique. Mais elles ont fortement contribué à la doter d’un programme très social-démocrate, plus que ne l’aurait souhaité Lévesque. Si celui-ci était un grand réformateur d’État, c’était moins le cas sur le plan social. Là-dessus, il nichait plutôt au centre-droit.

Ces trois gauches ont donc toujours malaisément cohabité au sein du Parti québécois. Notoirement, durant la décennie 1970, la plupart des artistes étaient indépendantistes mais pas forcément péquistes, en dépit du charisme que dégageait René Lévesque.

Au cours de la décennie suivante, ce front souverainiste a éclaté vu le virage à droite imprévu de la direction péquiste. La quasi victoire du OUI à la souveraineté-association lors du référendum d’octobre 1995 n’a pas changé grand chose à cette perte de confiance de plusieurs alliés du Parti québécois. La désillusion de plusieurs militants communautaires et syndicaux à l’endroit du gouvernement péquiste mené par Lucien Bouchard a été le déclencheur du processus qui a mené à la fondation de Québec solidaire. Quant aux artistes, ils se sont peu à peu éloignés de l’idéal indépendantiste et du parti qui l’incarnait, d’autant plus que celui-ci a pratiquement cessé d’en parler après l’arrivée au pouvoir de Lucien Bouchard en 1996. Ancien ministre fédéral dans le cabinet conservateur de Brian Mulroney, il a beaucoup plus traité d’équilibre des finances publiques que d’émancipation nationale...

Donc, les groupes de gauche se sont éloignés du PQ pour l’évident motif d’une confiance trahie à plusieurs reprises par ce dernier. Sous le leadership de Paul Saint-Pierre Plamondon (PSPP), il a recouvré de la force il faut l’admettre, mais même une victoire électorale en 2026 ne constituerait pas le gage de celle du OUI à la souveraineté lors d’un hypothétique troisième référendum.

J’en arrive au coeur de ma démonstration, si je puis m’exprimer ainsi. Contrairement à l’idée courante qui prévaut dans les milieux indépendantistes, souveraineté et progrès social ne vont pas automatiquement de pair.

Tout débat majeur sur l’indépendance reléguerait au second plan celui du type de société que nous voulons. Il s’agit là de deux discussions distinctes. Si une majorité de Québécois et de Québécoises apportait son appui à la souveraineté lors d’un autre référendum, une crise majeure éclaterait nécessairement entre Québec et Ottawa. En effet, Ottawa, le Canada anglais (et indirectement Washington) ont des intérêts énormes à défendre au Québec ; la classe politique et bureaucratique fédérale (francophone comme anglophone), sauf le Bloc québécois bien sûr ne lâcherait pas le morceau facilement. S’ouvrirait alors une longue et cahoteuse période de transition marquée par des négociations corsées entre délégués québécois et fédéraux ; on remarquerait toutes sortes de pressions, de manoeuvres d’intimidation et de chantage d’Ottawa à l’égard de Québec, car l’accession du Québec à la souveraineté signifierait la reconfiguration en profondeur des arrangements constitutionnels, politiques et commerciaux qui encadrent le fonctionnement du Canada ; elle entraînerait aussi son affaiblissement marqué sur la scène internationale. Paul Saint-Pierre Plamondon et Gabriel Nadeau-Dubois (comme avant eux René Lévesque) misent beaucoup sur "l’esprit démocratique" d’Ottawa pour mener à bien, sans trop de secousses, les négociations sur le rapatriement des pouvoirs à Québec. Mais l’importance des enjeux en cause amènerait le gouvernement fédéral à mettre pas mal d’eau dans son "vin démocratique". Il n’est pas certain que ces deux leaders indépendantistes ont l’étoffe nécessaire pour gagner une lutte serrée qui s’annonce intense.

Pour préserver les équilibres budgétaires et financiers élémentaires, un gouvernement indépendantiste quel qu’il soit devrait couper dans les dépenses publiques à un degré encore inégalé. Affirmer cela n’équivaut pas à pratiquer le terrorisme psychologique, mais à regarder la réalité bien en face. Réaliser la souveraineté-association exigerait beaucoup de la part des Québécois et Québécoises.

Certes, un Québec plus ou moins indépendant émergerait de cette difficile période de transition, si la majorité de sa population tenait le coup. À court terme, il serait exsangue sur le plan financier. Les beaux projets de justice redistributive se trouveraient remis à un avenir assez lointain.

Associer étroitement indépendance, justice sociale et protection de l’environnement ne va pas de soi. Il faut cesser de rêver en couleurs.

On peut choisir de mousser l’indépendance, mais comme le disait le défunt Pierre Bourgault : "Le Parti québécois a le devoir de ne rien cacher à la population."

Il est impossible pour un parti politique qui se veut important de ne pas prendre en compte la question nationale. La position de 2011 avancée par Québec solidaire d’une assemblée constituante ouverte à toutes les tendances me semble plus porteuse que son indépendantisme ambigu et hésitant actuel.

Lorsqu’une majorité de membres ne partage pas l’orientation officielle de la direction, des louvoiements de sa part sont inévitables et nuisent à la limpidité de sa démarche. Qui en profite alors ? La Coalition avenir Québec perd beaucoup de membres par les temps qui courent, mais ils rejoignent en grande majorité le Parti québécois. Québec solidaire n’en profite guère, ce qui augure mal pour son avenir. Il devrait demeurer fidèle à sa vocation initiale : réinventer la social-démocratie, sans pour autant balancer ce qu’on nomme la question nationale. Exactement l’inverse de la démarche péquiste actuelle. Ses chances de succès augmenteraient s’il acceptait de corriger des erreurs de parcours comme celles identifiées par Balint Demers. Il serait alors en meilleure posture pour faire des alliances formelles ou informelles avec le Parti québécois. Si la réalisation de la souveraineté constitue la raison d’être du Parti québécois, celle de réinventer la social-démocratie justifie l’existence de Québec solidaire. Si ce dernier décide de s’allier au PQ, dans les conditions actuelles, il n’est pas certain qu’il aurait la force de le tasser. Il serait peut-être réduit au rôle de petit frère de l’aîné souverainiste...

Jean-François Delisle

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