Édition du 5 novembre 2024

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Québec

La souveraineté : derniers éclats ou nouvel élan ?

Les deux partis officiellement souverainistes, le Parti québécois (PQ) et Québec solidaire (QS) totalisaient selon le sondage Léger du 1er mars dernier, 35% des intentions de vote : 18% pour le PQ et 17% pour QS.

Le même sondage révélait qu’en cas de référendum sur le sujet, 51% des gens voteraient contre l’indépendance, 38% en faveur et 10% refusaient de répondre ou s’avouaient indécis.

Les formations fédéralistes, la Coalition avenir Québec (la CAQ) avec 40% d’intentions de vote, le Parti libéral du Québec (14%) et le Parti conservateur avec 9% raflaient le gros lot avec 63% des intentions de vote.

Les partis souverainistes recueillent donc environ 35% d’appuis. Cette situation fait penser que si un référendum avait lieu maintenant ou dans un avenir rapproché, son résultat ressemblerait à celui de mai 1980 : 40% en faveur de la souveraineté-association et 60% contre. Chez les francophones, il serait plus serré, mais l’importante minorité anglophone (20% de la population), presque entièrement et inconditionnellement fédéraliste couplée à une substantielle minorité de francophones tout aussi acquise au système actuel bloque la route vers l’accomplissement indépendantiste. De plus, selon les plus récents sondages, l’adhésion à la souveraineté est minoritaire chez les 18-34 ans, un état de choses peut-être temporaire mais quand même préoccupant.

La remontée du Parti québécois dans l’électorat, sous le leadership de Paul Saint-Pierre Plamondon lors du scrutin provincial de septembre 2022 qui, contre toute attente, a atteint un score remarquable (de 9% des intentions de vote au début de la campagne, il l’a terminée à 14.6%) a surpris beaucoup d’observateurs alors que plusieurs d’entre eux le donnaient auparavant comme agonisant.

Le PQ a continué son ascension, atteignant aux dernières nouvelles 22% des intentions de vote, devançant désormais Québec solidaire (qui fait du sur-place avec 16% ou 17%). La direction du PQ a assumé sa vocation souverainiste, ce qui l’a aidée à progresser. Mais est-ce suffisant pour que le chef Plamondon puisse aspirer au poste de premier ministre et être en mesure d’organiser un troisième référendum avec une chance de succès ? Il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Bien des obstacles se dressent sur la route du Parti québécois, en premier lieu la division des forces souverainistes.

Si le Parti québécois devance Québec solidaire, la différence en sa faveur demeure quand même modeste et pas nécessairement significative. Toute une partie de la gauche continue à soutenir Québec solidaire, ce qui constitue une sérieuse entrave à l’éventualité de la conquête du pouvoir par le PQ. De plus ,l’indépendantisme des solidaires est plutôt vacillant, une partie importante de ses membres déclarant qu’ils voteraient NON à la souveraineté en cas de nouveau référendum, malgré l’orientation du chef Nadeau-Dubois et le ralliement formel du parti à cette option sur le tard (2019).

On peut aussi épiloguer tant qu’on voudra sur le possible ralliement de jeunes à la cause indépendantiste dans l’éventualité où se tiendrait un troisième référendum, c’est de la spéculation ; ce tournant est très hypothétique.

Rappelons que la raison d’être principale de Québec solidaire est la lutte contre les inégalités sociales et le rétrolibéralisme et non la lutte nationaliste pour l’indépendance. Lors de sa fondation, le parti ne pouvait ignorer la question nationale bien sûr, mais sa position initiale à ce sujet était plus rassembleuse et n’encombrait pas sa vocation socialiste : elle consistait à réunir en cas d’arrivée au pouvoir une assemblée constituante de la société civile où toutes les tendances idéologiques auraient été représentées. Cette assemblée aurait été chargée de formuler une option destinée à être soumise au vote populaire. Cette position garantissait certes des débats corsés mais elle avait le mérite de ne pas imposer d’avance une orientation constitutionnelle précise. En cas d’impasse, la majorité de cette assemblée aurait formulé la question dont la population disposerait. Mais cette manière de procéder a été abandonnée sous l’influence d’Option nationale et du nouveau co porte-parole, Gabriel Nadeau-Dubois, un indépendantiste convaincu. Il a été élu à ce poste en mai 2017.

La direction du parti doit cependant tenir compte des réticences d’une partie de sa base vis-à-vis de l’indépendance, cette portion des militants et militantes solidaires qui continue à donner priorité aux objectifs de justice sociale plus qu’à la lutte nationaliste, ce qui rend compte de l’indépendantisme mou de Québec solidaire, au contraire du Parti québécois.
La crédibilité de celui-ci est plombée par les mauvais souvenirs liés à son second mandat (1981-1985) et son troisième (1994-2003) tous deux marqués par le ralliement de facto de la direction péquiste au rétrolibéralisme. Cela s’est traduit par des politiques économiques et sociales très restrictives. Les choses n’ont guère changé lors du bref mandat de Pauline Marois (2012-2014).

On répliquera que l’option souverainiste a failli l’emporter lors du référendum d’octobre 1995 tenu sous le leadership de Jacques Parizeau. Mais les circonstances expliquent en bonne partie cette performance. Parizeau s’était fait élire en portant simultanément les chapeaux de la social-démocratie et de l’indépendantisme. Pour ménager les électeurs et électrices, il a évité d’imposer des compressions budgétaires draconiennes avant le référendum (ce dont son successeur Lucien Bouchard allait se charger à partir de février 1996). Les crises constitutionnelles du Lac Meech (1990) et l’échec de l’Accord de Charlottetown (1992) avaient indigné une forte proportion de l’électorat québécois, y compris les nationalistes autonomistes, ce qui explique leur ralliement à "l’option".

La conjoncture est très différente de nos jours. À l’époque, il n’existait qu’une formation souverainiste, le Parti québécois. On en compte deux aujourd’hui dont l’un, Québec solidaire est plus socialiste que nationaliste, à l’inverse de son rival péquiste. Le Parti québécois essaie de prendre une avance décisive sur Québec solidaire, tentant de le marginaliser, mais c’est un pari risqué à l’issue très incertaine.

De plus, l’opposition parlementaire est divisée en trois partis, un élément qui favorise le gouvernement en place, surtout qu’il bénéficie encore de la faveur populaire. François Legault peut donc jouer sur leur division comme sur du velours pour pérenniser son pouvoir. La nationalisme autonomiste qu’il a adopté, s’il déplaît à l’intelligentsia nationaliste, convient de toute évidence à une majorité de l’électorat.

Dans ce contexte, ni le Parti québécois ni Québec solidaire ne peuvent espérer culbuter le gouvernement Legault, à moins que l’un d’entre eux n’arrive à éliminer son rival. Mais c’est une mission impossible, du moins dans un avenir prévisible. Si un autre référendum sur l’indépendance était organisé, la victoire de l’option souverainiste serait loin d’être acquise. La population dans son ensemble n’en ressent pas l’urgence.

Au-delà de la question du jeu des partis, une question fondamentale reste posée : l’évolution de la société québécoise favorise-t-elle l’option indépendantiste ? On ne remarque plus le même enthousiasme qu’elle suscitait de 1968 à 1980, en particulier chez les jeunes. Ce genre de grand mouvement historique repose sur l’adhésion de portions importantes de la société au cours d’une période historique donnée. Des échecs à répétition finissent par l’émousser et le marginaliser avant qu’il ne disparaisse, au-delà des stratégies mises au point par ses animateurs. Ils ne peuvent faire durer indéfiniment ni artificiellement le momentum.
L’espoir demeure certes, et le courant indépendantiste n’est pas mort. Des surprises demeurent possibles. Assistons-nous à sa renaissance ou à un ultime spasme ?

Personnellement, je pencherais plutôt pour la seconde hypothèse, mais je peux me tromper. Suis-je victime de cette forme de basse incrédulité qui empêche de discerner un mouvement profond à long terme, destiné à bouleverser l’ordre politique dominant ? Ou ferais-je preuve au contraire d’un certain bon sens ?

Quelle que soit la réponse, une chose est certaine ; le mouvement indépendantiste aura marqué le Québec et sa culture politique pour longtemps et il est possible qu’il ressuscite un jour avec force lors d’une conjoncture favorable que nous ne pouvons pas prévoir en ce moment. Il restera en réserve longtemps dans la mémoire collective.

Jean-François Delisle

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