L’immigration (source de tous les maux), la référence à la « Loi et l’ordre » (accompagnée, comme il se doit, d’une « nécessaire » répression à venir), la « purge » dans la classe des fonctionnaires (en guise de compensation pour la mauvaise gestion des fonds publics par le gouvernement en place), le soulagement du « terrible » fardeau fiscal qui pèse sur les plus hauts revenus (justifié, comme de raison, par le mythe tenace du « ruissellement » qui, comme la potion magique du sage et prévenant Panoramix, va redonner vigueur à la vie économique par l’entremise d’un réinvestissement « massif », rendu possible par les marges financières ainsi dégagées, dans les infrastructures de production, encourageant ainsi l’économie « réelle » et non le recours aux paradis fiscaux, aux abris fiscaux, à l’évasion fiscale pour se soustraite à l’impôt).
La CAQ est passée maître dans l’art du « paradoxe » (pour ne pas dire de l’« incohérence ») : réduire (une fois de plus) les subsides à la fonction publique sans que les services aux citoyens en soient affectés ; raffermir le tissu social tout en bonifiant la Loi 21 dont le caractère discriminatoire est dénoncé à l’International par des ONG spécialisées dans la défense des droits de la personne ; s’enorgueillir de « nos » valeurs communes (soi-disant menacées) tout en rappelant constamment notre « honteuse » infériorité économique face à l’Ontario (comme une épine dans le pied qu’on arrive pas à extirper), « […] notre mentalité d’extrême prudence [qu]’ Il faut changer [...] » quand il s’agit de prendre des risques (environnementaux) pour faire du Québec « […] une des nations les plus prospères des Amériques [...] »1, notre attachement « archaïque » au modèle québécois social-démocrate qui serait passé date à l’heure de la mondialisation des marchés et de la toute puissance des multinationales capables de dicter leurs lois à tous les gouvernements de la planète.
Parlant de « valeurs communes », quelles sont-elles exactement ? Mise à part la « Laïcité » (qui n’est pas une valeur en soi mais un principe républicain de séparation des pouvoirs entre l’Église et l’État), Legault (et son troupeau de moutons qui lui sert d’aile parlementaire) est avare de commentaires. Il y a, bien sûr, l’égalité homme/femme qu’on brandit fièrement comme faisant partie de l’ADN du peuple québécois. À cette exception près que, comme pour tous les principes « vertueux » défendus par la CAQ, ils évoluent dans une couche de l’atmosphère tellement élevée en altitude que les retombées terrestres tardent toujours à se fraie sentir. Ce parti imbu de « valeurs » entrepreneuriales n’a que « mépris » pour tout ce qui relève de l’« État » (considéré ici comme l’Institution centrale représentative de la volonté générale, donc du Bien commun nourri par des valeurs communes, dans une démocratie libérale de type parlementaire). Qui dit « État » dit « services aux citoyens » libérés des lois implacables du marché capitaliste auxquelles notre François 1er voue un culte. Et qui dit « services aux citoyens » (santé, éducation, garderies, services sociaux) dit omniprésence des femmes comme employées de cet État, pressées comme des citrons pour répondre aux exigences d’un travail taylorisé, donc déshumanisé parce qu’en bout de ligne, une automobile, un ordinateur, une « canne de bines » et un corps humain, c’est la même chose : une « marchandise » qui doit prendre sa place et remplir sa fonction à l’intérieur d’une économie globalisée.
Bref, il est plus facile d’adorer la Femme éternelle (égale en droit au Mâle éternel) que d’être solidaire de la condition féminine au jour le jour sans porter de jugement sur la façon dont chaque « femme » perçoit sa propre identité de « femme » au point de vue religieux, sexuel, familial, professionnel, maternel et citoyen en général. Comme il est plus facile de « vanter » l’ouverture d’esprit de Québécois que d’accepter d’être confronté à des pratiques culturelles hors normes (port du voile islamique pour les employées de l’État, prières de rue, éthique vestimentaire, rapport au corps, à la sexualité, relations homme/femme) qui nous déstabilisent de par leur caractère inédit, qu’on a du mal à comprendre et qu’on a tendance, de fait, à mal interpréter.
Avec la rentrée parlementaire, Legault (chef incontesté parce qu’incontestable) franchi une nouvelle étape dans sa droitisation, voire son extrême-droitisation. Il ne mâche pas ses mots, tout simplement parce qu’il n’a pus rien à perdre (chute des intentions de vote dans les sondages, discrédit généralisé de sa gouvernance dans la population, éventuel effacement du parti aux prochaine sélections) : assauts des islamistes (« radicaux »), renforcement de l’État policier, référence au mythe « masculiniste » de la force brute qui gravit tous les échelons à force de volonté et d’abnégation, retour aux sources « aliénantes » du culte de l’argent et de la personnalité. En d’autres mots : « fuite en avant », telle une sorte de politique de la « terre brûlée » appliquée à la vie parlementaire qui consiste à ne rien laisser de substantiellement constructif en héritage au prochain gouvernement qui lui permettrait de rebâtir sur des bases solides et ne pas avoir à repartir à zéro à chaque changement d’administration. Autant la fin de sa carrière politique s’annonce humiliante pour Legault, autant il anticipe sa vengeance selon l’intensité du ressentiment qui l’habitera d’ici là.
L’image de Rocky Balboa utilisée à escient pour nous présenter un Premier Ministre prêt à se battre jusqu’à son dernier souffle pour rester au pouvoir n’est pas anodine. Elle est construite de façon délibérée et envoie un message qui nous en dit long sur l’esprit « jusqu’au-boutiste » qui habite un politicien de carrière comme François Legault : la vie politique, du moins dans son acception « parlementaire » dans le contexte d’une démocratie libérale, est comme une arène de boxe, il faut apprendre à donner des coups et être capable d’en encaisser sans vaciller, tout est une question de « stratégie », d’endurance, de tactique car l’objectif ultime est la « victoire » (par « K.O. » préférablement). Ce faisant, ce pourquoi l’on se bat est relégué au second plan, étant donné qu’il est préférable de « gagner » pour une mauvaise cause que de « perdre » pour une bonne.
Il faut espérer que le naufrage annoncé de la CAQ entraînera avec lui, à plus ou moins long terme, celui de cette vision « machiste » de l’exercice du pouvoir en démocratie parlementaire qui éloigne toujours un peu plus, en corps et en esprit, les citoyens ordinaires des instances de décision et transforme leur potentiel engagement et intérêt pour la politique en cynisme et désintérêt patent. Ce n’est pas pour demain car le prochain gouvernement, formé vraisemblablement par le PQ de Paul St-Pierre Plamondon (PSPP), s’aligne déjà sur les mêmes thèmes démagogiques et chauvins de l’immigration « massive » comme menace à notre « identité » nationale (figée dans le béton si on comprend bien le discours des nationalistes conservateurs), des manifestations publiques d’appartenance religieuse comme prélude à une éventuelle révolution islamique au Québec (!), des demandeurs d’asile, résidents non-permanents, étudiants étrangers comme responsables des diverses crises que traverse le Québec depuis plusieurs années (logement, engorgement des hôpitaux, manque de places en garderie, criminalité juvénile en hausse, recul du français). Alors que l’essentiel de ces problèmes, devenus « chroniques » à force de déni sur leurs véritables causes, est dû à la perversion du rôle de l’État comme instance régulatrice de l’économie de marché, des rapports sociaux de production, des tensions entre classes sociales pour l’accaparement des richesses produites en amont de la croissance du PIB et comme garant d’une justice redistributive à la base même de la confiance des citoyens dans la démocratie « représentative ».
Sur le plan strictement « économique », il ne faut pas s’attendre à des miracles de la part de ce « vieux » parti de gouvernement dans les veines duquel coule le sang du déficit zéro élevé au rang de projet de société par cet ancien conservateur converti sur le tard au souverainisme et à qui revient le mérite d’avoir ouvert la voie au rétrécissement de l’intervention de l’État pour laisser à Québec inc, plus efficace parce que « privé », toute la latitude nécessaire afin de nous assurer d’une prospérité sans limites qui, comme par magie, va profiter également à tout le monde. On connaît la suite. D’autant plus qu’avec Éric Duhaime et son PCQ imbibé d’idéologie libertarienne qui va bien finir par mettre le pied dans la porte de l’Assemblée Nationale, PSPP ne vas pas hésiter à séduire son potentiel électorat en stigmatisant à qui mieux mieux la gauche, associée pour l’occasion à l’islamisme radical, dans un beau mélange « islamo-gauchiste » qui va faire les délices des chroniqueurs du Journal de Montréal !
Parlant de « gauche », la seule chance, dans l’état actuel des choses, de pouvoir nous extraire de ce cirque ambulant avec ses clowneries qui finissent par ne plus être drôles, nous est donné par Québec Solidaire (QS) et son leitmotiv d’origine : « faire de la politique “autrement” ». S’étant autoproclamé dès le départ « parti des “urnes” et de la “rue” », avec son récent « recentrement » pour plaire aux médias, calmer les angoisse du citoyen lambda (elles-mêmes nourries par des scénarios catastrophes élaborés par ces mêmes médias dans l’éventualité d’’un gouvernement solidaire) et rassurer les électeurs de la CAQ qu’une politique environnementale digne de ce nom ne les empêchera pas de continuer à polluer l’atmosphère avec leurs gros VUS énergivores, on a l’impression que, finalement, l’« Urne » a fini par bouffer la « Rue ». Avec les résultats électoraux et intentions de vote conséquents à cette soi-disant « modernisation » du programme. QS doit revenir aux « fondamentaux » s’il ne veut pas subir le même sort que le NPD de Jagmeet Singh aux dernières élections fédérales...
Mario Charland
Shawinigan
Note
1.Le Devoir, 30 septembre 2025, « Legault enfile les gants pour lutter contre la “paperasse” et les “islamistes radicaux” ».
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