Édition du 23 avril 2024

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Premières Nations

Le combat de Don Saganash

Sur invitation des Cris de Waswanipi, Émile Duchesne a passé cinq jours sur le territoire d’Eeyou-Istchee en compagnie d’une délégation de Cris. Il a documenté pour Ricochet les ravages des coupes forestières sur le territoire cri, mais aussi la beauté de la rivière Broadback, l’un des derniers segments de forêt boréale vierge au Québec. Durant ces cinq jours, Émile Duchesne a aussi été témoin du mode de vie des Cris et de leur détermination à sauver ce qu’il reste d’intact sur leur territoire.

Deuxième d’une série de trois, cet article raconte l’histoire de Don Saganash, un trappeur qui refuse de laisser les compagnies forestières pénétrer sur son territoire. Ce qui était autrefois la bataille d’un seul homme est maintenant celle de toute une nation.

« Un jour, mon père m’a raconté une histoire. Alors qu’il marchait dans une tourbière, il a remarqué quelque chose d’étrange. Il s’est mis à creuser, et à 30 cm de profondeur, il a trouvé un vieux canot d’écorce. C’est certain que cela faisait très longtemps qu’il y était enfoui. Mon grand-père lui a alors dit de garder secret son emplacement. C’est un site sacré pour nous, un endroit où nos ancêtres enterraient leurs morts. Ce canot, c’est l’histoire vivante de notre territoire. Il est la preuve que nous étions là bien avant. »


— Don Saganash, trappeur de Waswanipi.
Don Saganash
Émile Duchesne

Don Saganash a hérité de son père son territoire de chasse. Chez les Cris, c’est de père en fils que les territoires familiaux sont légués. C’est généralement le fils aîné, sinon celui qui possède la plus grande connaissance de la forêt, qui reçoit la responsabilité du territoire. Il devient alors tallyman. Avant l’implantation des conseils de bandes par le gouvernement fédéral, le statut de tallyman était l’une des seules formes d’autorité chez les Cris. Le tallyman a pour mission de gérer le territoire qu’il a reçu en héritage et y assure le respect du traitement des animaux. Il décide aussi qui peut entrer et chasser sur son territoire.

Aujourd’hui, les tallyman exercent encore une forte autorité dans les communautés Cris. À Waswanipi, on compte 52 tallymans, chacun étant responsable de sa propre terre. Ces derniers sont continuellement appelés à travailler de concert avec le Conseil des Cris de Waswanipi dans la gestion des affaires de la communauté. C’est généralement avec eux que les compagnies forestières négocient les compensations pour les coupes ayant lieu en territoire cri.
La désolation

« Personne ne peut marcher ici, pas même les animaux » s’indigne Don Saganash en montrant une coupe à blanc aux portes de sa ligne de trappe. « Au sud, toutes les lignes de trappes sont comme ça. Les animaux n’y viennent plus. Les lièvres et les orignaux ne peuvent pas vivre dans des secteurs comme celui-ci » poursuit-il. Le territoire de Don est situé sur la rive nord de la rivière Broadback. Pour l’instant, les coupes ont eu lieu sont aux abords de la rive sud de la Broadback. Les compagnies forestières envisagent de construire un pont sur la rivière, ce qui ouvrirait grand la porte à l’exploitation du territoire de Don Saganash.

« Les compagnies forestières ne viendront pas ramasser les dégâts qu’ils ont faits », explique Don en pointant les débris des coupes. « Comment te sentirais-tu si je venais détruire ton jardin en ville ? Pourtant, c’est exactement ce qui se passe ici… » poursuit-il. En tant que tallyman, Don est responsable de son territoire et son autorité est reconnue dans la communauté. Mais les compagnies forestières ne voient pas les choses de la même façon. Face à ces dernières, les tallymans ne disposent d’aucun véritable pouvoir mis à part celui de négocier des accommodements. La seule façon d’empêcher la destruction de leur territoire est de résister.
La figure de la résistance

C’est à peu près seul que Don Saganash a commencé son combat. « Mon territoire est en plein dans les secteurs prévus de coupes forestières. Je ne demande pas grand-chose, je veux juste préserver le dernier 10 % de territoire vierge qu’il nous reste » explique Don Saganash. « Ma terre n’est pas à vendre. Tout ce qu’on veut, c’est garder notre territoire à l’état naturel et pouvoir ainsi protéger la forêt boréale et le caribou forestier » ajoute-t-il.

Greenpeace aura été un allié de la première heure pour Don Saganash. En 2010, Don et Greenpeace ont bloqué symboliquement un chemin forestier s’approchant de la rivière Broadback. Depuis, ils maintiennent la pression pour sa protection. Cet été, ils ont déployé ensemble une bannière géante en pleine forêt boréale. « Au départ, mes amis étaient sceptiques envers Greenpeace. Après tout, nous sommes des trappeurs. Nous vendons de la fourrure. On sait que les gens de Greenpeace n’aiment pas trop ça. Mais on a su passer par dessus nos divergences. » explique Don Saganash en riant.

Une banderole vue du ciel pour la préservation de la rivière Broadback
Émile Duchesne

Après avoir convaincu les trappeurs et la communauté de Waswanipi, Don a a également réussi à entraîner deux autres communautés de se joindre à lui dans le combat pour la préservation de la Broadback. En 2013, c’est le Grand Conseil des Cris, et donc toute la nation, qui s’est finalement rangée du côté de Don Saganash. Avec l’entente Baril-Moses signée en juillet dernier, le gouvernement du Québec concède aux Cris une parcelle de terrain protégé, même si ce dernier est loin de refléter les revendications des Cris. La très grande majorité de l’aire protégée prévue par le gouvernement de Philippe Couillard se retrouve au nord de la limite d’attribution forestière.

Le territoire de Don Saganash n’est donc toujours pas à l’abri des coupes forestières. Le trappeur poursuit ainsi son combat. Les appuis se multiplient autour de sa cause et il a bon espoir de rallier toutes les communautés autochtones du Québec et du Canada à son projet de préserver la vallée de la rivière Broadback.

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