Édition du 26 mars 2024

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États-Unis

Le royaume secret de Karl Rove vu de l'intérieur

Le vol de votes, les attaques politiques et les liens avec les multimilliardaires tels que décris par Craig Unger,
Democracynow.org, 22 août 2012,

Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr,

Introduction,

Dans son dernier livre, Craig Unger examine le retour de Karl Rove, le cerveau de la montée de G. W. Bush depuis le poste de gouverneur du Texas jusqu’à ses deux mandats à la présidence. Il a été son conseiller au cours des deux guerres d’Irak et d’Afghanistan et au centre des deux pires scandales de cette administration : l’affaire Valerie Plame et le scandale des procureurEs publics fédéraux. Il a failli être condamné dans l’affaire Plame mais il a réussi à se réinventer une virginité et il est devenu l’intervenant politique le plus puissant des Etats-Unis. Il est à la tête du Super Pac American Crossroads et de son affiliée, l’organisation sans but lucratif Crossroads GPS. Il a bâtit là un outil qui a apporté un avantage financier indéniable à Mitt Romney face au président Obama. Dans « Boss Rove : Inside Karl Rove’s Secret Kingdom of Power », C. Unger démontre que « les ambitions de K. Rove ne se limitent pas à la victoire électorale de cette année mais sont une entreprise pour transformer profondément le paysage politique américain, de faire passer les Etats-Unis à une société d’un seul parti ».

Amy Goodman : (…) C. Hunger (…) parlant de Karl Rove dans son livre, écrit : « Il est clair qu’il est là de nouveau. Il s’est réinventé. Il a dépassé le statut de cerveau de G.W. Bush, il a fini par avaler le parti républicain. Avec son habileté à jouer des ses Super Pacs il a convaincu les plus riches de la droite du pays de s’impliquer financièrement et il est vraisemblable qu’il réussira à accumuler un milliard de dollars cette année. Il s’est ainsi installé dans une position de non élu avec un pouvoir incomparable qui n’est pas près de s’éteindre. Karl Rove est devenu le super patron du parti ». Craig Unger, décrivez-nous son ascension vers le pouvoir, sa dégringolade et son retour actuel.

Craig Unger  : D’accord. Je pense que beaucoup sont sous l’impression qu’il est une création de la famille Bush. Et de fait, cette conviction a duré jusqu’au départ de départ de G.W. Bush de la Maison blanche en 2008. Mais ce n’était pas la vérité du tout.

Il est intéressant de remonter jusqu’aux années quatre-vingt. À l’époque, le parti républicain du Texas n’était pas grand-chose principalement parce que la scène politique était occupée par des Démocrates puissants comme John Connolly et Lloyd Bentsen. Alors, les plus riches qui voulaient faire des dons aux Républicains finissaient par se demander pourquoi le faire s’ils arrivaient à leurs fins en donnant à Connolly et Bentson. Rove s’est impliqué à ce moment-là. Il a créé des comités d’action politique, a introduit dans le débat des thèmes qui paraissaient obscurs baptisés « réformes frisant l’illégalité ». (…). Il a approché Phillip Morris, des grandes pharmaceutiques et d’autre compagnies de la sorte et leur à dit : « Écoutez vous tous. Vous avez risqué des milliards et des milliards sur des prêts douteux. Donnez quelques millions à mes candidats pour que nous prenions le pouvoir à la Cour suprême de l’État et à la législature. Nous allons faire élire G.W. Bush au poste de gouverneur et nous allons vous faire épargner des milliards ». Et c’est exactement ce qu’il a fait : il a complètement renversé la composition de la Cour suprême texane de démocrate à républicaine. Il a réussi à fidéliser des contributeurs milliardaires texans comme Bob Perry (sans rapport avec Rick Perry) Harold Simmons et autres. Ils sont restés attachés à K. Rove depuis 30 ans. C’était sa première période.

Son moment significatif est arrivé en 2010. Le parti républicain était alors en crise comme il semble l’être encore maintenant. Michael Steele était le président de son comité national. Vous vous rappelez sans doute que certains donateurs du parti ont été impliqués dans un scandale en allant fêter dans un club streep-tease pour lesbiennes. (…) en Californie. Ces genres d’incidents ont poussé les grands financiers à cesser leurs dons.

A.G. : C’est à ce moment là que le Comité national du parti s’est retrouvé à sec.

C.U. Exactement, absolument. Et c’est arrivé juste après la fameuse décision de la Cour Suprême en faveur de Citizen United, qui a ouvert la porte aux dons illimités dans les Super Pacs. Karl Rove a alors diné avec une douzaine de personnes à Washington, des personnes bien influentes. Le diner était payé par Ed Gillespie un ancien président du comité national républicain. K. Rove en est sorti avec des millions et des millions de dollars. C’était la naissance concrète du super pac American Crossroads et de Crossroads GPS etc. etc.

A.G. : Avant que nous poursuivions dans le temps, je veux que nous retournions en arrière pour illustrer le niveau de pouvoir de Karl Rove durant les années Bush à partir de 2000.Vous consacrez un chapitre complet sur ce qui s’est produit en 2004 en Ohio. Probablement que peu se souviennent de ce moment ou n’en n’ont peut-être même pas eu connaissance.

C.U. : D’accord. K. Rove a fait beaucoup de choses qui sont passées inaperçues et qui ont des conséquences qui se font encore sentir qui, sont de véritables attaques contre la démocratie. Parmi celles-là le scandale des procureurs publics qui, je pense, a été largement incompris. La situation a été plus publicisée quand huit procureurEs ont été licenciéEs pour, d’une certaine façon, n’avoir pas suivi les positions du parti républicain. Pour moi, le véritable problème n’est pas de constater l’injustice faite à ces procureurEs mais, qu’en est-il des autres procureurEs qui ont été nommés par l’administration Bush et qui appliquaient la ligne politique du parti ? Qu’est-ce qu’elles étaient leurs pratiques au juste ? Et nous découvrons qu’il n’y avait de poursuites que contre les Démocrates essentiellement. … Le plus énorme de ces cas s’est produit en Alabama ; l’ancien gouverneur démocrate, Don Siegelman qui va probablement, en septembre, faire face à huit ans de prison. Je pense que c’est l’exemple le plus fameux qu’ait mené le département de la justice.

Nermeen Shaikh (dn) : Je veux que nous nous arrêtions sur ce cas de l’ancien gouverneur de l’Alabama, Don Siegelman qui a été trouvé coupable dans un cas de corruption en 2006. Les critiques disent qu’il a été l’objet d’une chasse aux sorcières orchestrée par l’administration Bush et son délégué D. Rove. (…) D. Siegelman (l’a lui-même déclaré). Il en appelle maintenant de sa condamnation, trois semaines avant son emprisonnement pour compléter sa sentence de six ans.

C.U.  : Exact. Je pense que M. Siegelman a absolument raison. Ce n’est pas la face la plus jolie de notre système politique mais il existe une sorte de procédure standard qui fait que de temps en temps, les contributeurs aux campagnes électorales interviennent en politique. Et c’est le cas de Siegelman. Personnellement, il n’a pas reçu un sous. Il a utilisé son pouvoir pour donner un poste non rémunéré à un contributeur. S’il va en prison pour ça….George W. Bush en a fait autant pour au moins une centaine de contributeurs à sa campagne et n’a jamais été poursuivi pour autant. Des centaines d’ambassadeurs à travers le temps, sous quelque administration que ce soit, étaient des contributeurs.

Ce que nous avons vu là, c’était vraiment l’œuvre de K. Rove, c’est une poursuite ciblée. Et je pense qu’il n’y a pas pire dommage à la démocratie que quand les lois ne s’appliquent qu’à un seul groupe. En faisant ma recherche à ce sujet, j’ai observé que le maire d’Alabama a été accusé et a subit une investigation, le maire d’Honolulu également juste avant une élection, le maire de Miami, celui de San Francisco. Au total j’en ai trouvé douze à la tête des plus grandes villes. (…) Qu’ont-ils en commun ? Ils sont tous démocrates. Il y a aussi eu des gouverneurs et lieutenants gouverneurs de cinq États : Alabama, Hawaï, Michigan, New-Jersey et Maryland. En tout, plus de 200 politicienNEs dont 85% de démocrates. Et je ne crois pas qu’il y ait des données attestant que le parti démocrate soit sept fois plus corrompu que le républicain.

A.M. : Mais qu’est-ce qui vous fait relier tout ça à Karl Rove ?

C.U. : Comme M. Siegelman l’a dit, il y a le témoignage d’une ancienne employée du parti républicain, Mme Jill Simpson qui a témoigné devant le House Judiciary Committee. Dans le GQ magazine, Karl Rove déclare qu’elle n’a jamais mentionné son nom. Pas une seule fois dit-il, pas une seule fois. Je revu ce témoignage. En fait elle le nomme au moins cinquante fois et il n’y a aucun doute qu’elle déclare qu’il est impliqué dans cette affaire. En Alabama, un collègue de K. Rove nommé Bill Canary agissait en son nom. Il s’occupait des candidatures au poste de gouverneur et de celles au Sénat pour les Républicains. Et qui a été nommée procureurE fédérale en Alabama ? L’épouse de M. Canary. Il était donc dans cette merveilleuse position qui faisait que quand il dirigeait une campagne, son épouse pouvait poursuivre les opposants démocrates. C’est exactement ce qui s’est passé.

A.G. : Tournons-nous maintenant vers l’Ohio et en fait l’Ohio et SMARTech. Vous avez eu cette chance unique de questionner K.Rove à ce sujet.

C.U.  : Exactement. J’ai rencontré K. Rove en Alabama et je lui ai posé la question. Il m’a dit : « SMARTech ? Qu’est-ce que c’est que ça ? Je n’ai jamais entendu parler de ça ».

Alors, SMARTech est une compagnie de haute technologie installée à Chattanooga. La méthode Rove est de changer les choses en sa faveur sans laisser de traces. J’ai retracé l’histoire de SMARTech depuis son origine. La compagnie à l’origine a été fondée par deux Républicains, Bill DeWitt et Mercer Reynolds. Ce dernier était le président des finances du parti républicain. En 2004, il a collecté un quart de milliard de dollars pour la campagne Bush-Cheney. Déjà, en 1980 ces deux personnages avaient secouru G.W.Bush dans sa gestion pétrolière. Ils étaient donc très, très près de lui.

Cette compagnie de haute technologie a débuté de manière très légitime durant le boom électronique. Elle était installée à Chattanooga. Elle a ensuite subit de multiples transformations, changement de nom, de propriétaires. Dans le processus, elle était devenue un outil politique. C’était une compagnie très, très partisane en faveur du parti républicain. Ses clients les plus importants étaient la campagne Bush-Cheney et le Comité républicain national. Elle a diffusé en direct leur Convention.

En 2004, en Ohio qui était l’État crucial dans l’élection, le secrétaire d’État, Ken Blackwell, dont la responsabilité au moment des élections est d’assurer la justice et la neutralité du processus de vote, était en même temps un des co-présidents de la campagne Bush. Personne n’a jamais soulevé le problème. Il a donné le contrat de surveillance des erreurs dans le vote, par le parti républicain, pour l’élection de 2004, à nulle autre que SMARTech. C’est là que les choses deviennent un peu folles.

N.S. : Mais comment cela a-t-il pu se produire ? (…)

C.U. : Je pense qu’il s’agit d’un énorme conflit d’intérêt. Quand le secrétaire d’État est affilié à un parti pour une campagne…. Et nous avons vu la même chose se produire en Floride en 2000 avec Mme Katherine Harris.

A.G. : Racontez-nous la soirée électorale de 2004.

C.U.  : O.K. Aux environs de onze heures et quart, les événements ont commencé ; exactement à onze heures et quart. Au fur et à mesure que les résultats rentraient il est devenu clair que la soirée serait longue. À onze heures Bush était déclaré gagnant en Floride. Cela voulait dire que le résultat final reposait sur ceux de l’Ohio. Et tout-à-coup, les ordinateurs du secrétaire d’État ont été inondés de questions. (…) Il fallait consulter les vérifications des erreurs dans le vote chez SMARTech à Chattanooga. À partir de ce moment là les résultats n’avaient plus de sens. Soudainement une énorme quantité de votes erronés ont été acceptés et le résultat a basculé. Les sondages à la sortie des bureaux de vote donnaient Kerry gagnant en Ohio. Et il semblait bien qu’il allait gagner la présidence. Je m’en rappelle précisément parce que je consultais les sondages après vote et j’ai dis à mon entourage que Kerry avait gagné. Mais il y avait une différence de 6,7% entre les sondages et les résultats annoncés. Et finalement Bush a été déclaré gagnant. C’est cela l’histoire complète.

N.S. : Dans votre récit de ce qui est arrivé en Ohio et en Alabama, vous dites à propos de K. Rove, entre autre, que depuis trois décennies il a systématiquement essayé de tricher avec les lois électorales par tous les moyens. Qu’elle est sa vision du parti républicain et des politiques américaines ?

C.U.  : (…) Je ne crois pas qu’il soit un idéologue. Je pense qu’il est en train de gagner. On l’a souvent comparé à Mark Hanna qui, il y a un siècle était l’éminence grise derrière le président William McKinley. Il avait été sénateur de l’Ohio mais il était également un engagé politique et il a fait entrer McKinley à la Maison Blanche où il a opéré un réalignement. L’objectif d’arriver à une majorité républicaine permanente a toujours été au programme. K. Rove essaie d’y arriver ; il voit la nation entière adhérer au programme républicain. Et je suis convaincu que Rove travaille ardemment pour cela et je ne suis pas d’accord.

L’augmentation de la population d’origine hispanique pose un réel défi à K. Rove et au parti républicain. On en compte maintenant cinquante millions. En 2020, si la tendance se maintient, ils seront soixante-dix millions. Et s’ils commencent à voter (en masse)… ils ont tendance à voter majoritairement démocrate ! Nous verrons alors des États comme le Texas et l’Arizona changer d’allégeance. K. Rove tente d’empêcher cela. Mais, comme le dit le Brennan Center à l’école de droit de l’Université de New-York, la fraude des électeurs-trices est une véritable fraude. Or, on n’a recensé que dix cas d’électeur-trice ayant utilisé un faux nom pour voter. Alors, en réaction à ce petit nombre, des campagnes ont lieu, en ce moment dans au moins trente États (surtout dirigés par des Républicains, n.d.t.) pour exiger des électeurs-trices, des cartes d’identité et autres documents (pour pouvoir voter). Cela va empêcher les nouveaux immigrantEs, les membres de minorités, des personnes âgées d’exercer leur droit de vote. Ce sont des gens qui votent majoritairement pour les démocrates.

A.G. : Je voudrais que nous retournions une fois de plus vers l’Ohio parce que vous y consacrez une bonne partie de votre livre. (Vous parlez) de Michael Connell. Qui était-il et que signifie son décès ?

C.U.  : Il était en quelque sorte le cyber gourou de K. Rove. Il était propriétaire d’une compagnie, New Media qui était hébergée chez SMARTech dont j’ai parlé plus tôt. Et encore une fois, il s’agit d’un acteur hautement partisan en faveur des Républicains qui est impliqué dans ce qui est supposé être des activités non partisanes. Il se passait bien des choses là-bas. La première qui m’a surpris, c’est le fait qu’il ait décroché des contrats de la part du House Judiciary Committee, du House Inteligence Commettee, de beaucoup de comités gouvernementaux qui portaient sur des transmissions de courriels et autres activités de la sorte ; le tout venant des Démocrates. Le Watergate m’est venu à l’esprit bien sûr, quand les Républicains ont espionné les démocrates pour avoir accès à des dossiers dans ses bureaux. Dans le cas présent ils avaient accès à des milliers et des milliers de dossiers pendant plusieurs années. Est-ce qu’ils s’en sont servis ? Je n’en ai pas idée.

Ce qui est devenu très intéressant, c’est que les preuves, dans cette affaire, n’ont cessé de disparaitre. Et dans l’examen de tous ces scandales, que ce soit celui de procureurs fédéraux, de Valerie Plame, les courriels envoyés par K. Rove ont été mis sous saisie par la justice. Ils étaient gardés chez SMARTech. Et voilà que des millions sont mystérieusement disparu. Ils étaient sensés être protégés par le Presidential Recordings and Materials Preservation Act. La destruction de documents gouvernementaux est un crime très sérieux. Mais toute tentative d’investigation dans ce cas ont fait long feu. Mike Connell était ainsi devenu un témoin de plus en plus important. On lui a assigné un subpoena à un moment donné. Il y avait aussi une enquête sur l’élection de 2004. Il devait témoigner là aussi. Et finalement, avant qu’il ait pu témoigner, il est mort dans un écrasement d’avion, un mono place privé.

N.S. : Je veux vous demander de nous parler de Stephen Spoonamore, un ancien partisan de John McCain et un expert de haut niveau dans la détection des fraudes par ordinateur qui connait beaucoup de succès. En 2008, il a parlé de Mike Connell et sa compagnie, GovTech Solutions en disant qu’il avait joué un rôle critique dans la fraude électorale en Ohio en 2004. (…) En 2008, nous avions interviewé Mark Crispin Miller professeur expert des médias, juste après l’accident d’avion où Mike Connell est décédé. Il nous a dit que Connell avait demandé à Spoonamore comment il serait possible de détruire des courriels de la Maison Blanche. (…) (Il nous a expliqué) qu’il était un témoin vedette de la poursuite en Ohio dans laquelle M. Connell était impliqué. Il a fait beaucoup de travaux de ce genre qui portent sur la sécurité des communications électroniques et qu’il avait travaillé avec M. Connell, qu’il le connaissait personnellement et qu’il connaissait beaucoup de gens impliqués dans ces questions de cyber sécurité liées à G.W. Bush. Mark Miller nous aussi dit que malgré son conservatisme, S. Spoonamore semblait avoir des principes et croire en la Constitution. Il croit aussi dans des élections honnêtes. C’est lui qui a dénoncé M. Connell. M. Miller a vu les notes d’une conversation entre les deux hommes où M. Connell demandait effectivement comment faire pour détruire des courriels de la Maison Blanche. Il s’est fait répondre qu’étant donné la nature illégale de l’opération, il n’aurait pas ces informations. (…)

Pensez-vous que l’élection de 2004 en Ohio a été volée ? Et croyez-vous que quelque chose de semblable puisse se produire en 2012 ?

C.U. : La question ne se pose pas, c’était une fraude massive. Il est impossible de reprendre le décompte maintenant, tant les preuves ont été détruites. C’est dans ce contexte que Mike Connell était un témoin si important. (…)Selon sa sœur, à qui j’ai parlé, il y a deux hypothèses : soit il s’agit d’un meurtre (je n’ai aucune preuve allant dans ce sens) ou c’est bel et bien un accident. Dans ce cas, K. Rove est l’homme le plus chanceux de la terre.

Est-ce que cela peut se reproduire ? Je pense que le vote électronique est très, très dangereux. Il est très facilement manipulable. Mais j’ai aussi trouvé en Ohio des preuves de manières extraordinaires de frauder qui peuvent arriver avec les cartes perforées et des manières très élaborées et byzantines de le faire par ce qu’on appelle le « cross-voting ».

(…)

A.G. : (…) Nous allons maintenant nous arrêter sur un autre scandale dans lequel K. Rove est impliqué : le dévoilement de l’appartenance de Valerie Plame à la CIA. L’administration Bush a dévoilé ce fait comme une vengeance contre son mari, l’ambassadeur Joe Wilson qui avait accusé le président Bush de mentir en prétendant, avant la guerre en Irak, que ce pays tentait d’acheter de l’uranium du Niger. C’était au moment de la supercherie sur les armes de destruction massive. Voici le commentaire de Joe Wilson en 2003, (après le dévoilement).

J.W. : « En fin de compte, j’ai le plus haut intérêt à tenter de voir si nous ne pouvons pas faire sortir Karl Rove de force de la Maison Blanche les menottes aux poignets ».

A.G. : (…) Craig Unger, expliquez-nous ce qu’a été le scandale Valerie Plame et ce que Karl Rove avait à y faire et pourquoi il a presque été mis en accusation.

C.U. : …Le scandale Valerie Plame…, Joe Wilson était ambassadeur dans des pays africains. Il a été envoyé pour vérifier des allégations voulant que le Niger ait vendu, ou ait tenté de vendre de l’uranium à Saddam Hussein. C’est devenu une partie des seize mots du discours sur l’état de l’Union de G.W.Bush où il appelait à la guerre contre l’Irak, et où il a effectivement déclenché la guerre contre ce pays. Ces allégations étaient vraiment fausses ; elles étaient basées sur des documents trafiqués. Et pire encore, la falsification avait été révélée. J’en ai observé la mention quatorze fois dans les documents de l’administration Bush datant d’avant le discours en question. Mais ils ont continué à soutenir cette fausseté et ils ont déclaré la guerre grâce à cela (aussi).

Wilson avait donc découvert la fausseté de ces allégations. Il a écrit un billet devenu fameux, dans le New-York Times intitulé : « Ce que je n’ai pas trouvé en Afrique », et il a révélé la vérité. Cela venait défaire la construction narrative de Rove et de l’administration Bush. Alors, comme vengeance, ils ont dévoilé le statut de sa femme, Valerie Plame comme agente de la CIA et l’ont ainsi « exposée ». (…)C’était une façon de montrer qu’ils pouvaient faire n’importe quoi pour maintenir leur version des faits. Ils ont voulu discréditer Joe Wilson. J’ai l’impression qu’ils ne se sont pas rendu compte jusqu’où ils poussaient la chose. C’était potentiellement criminel. C’est ainsi qu’a commencé l’enquête dans cette affaire.

G.W.Bush a déclaré qu’il congédierait qui que ce soit qui ait été à l’origine de cette fuite. Chose absolument certaine, K. Rove, même s’il n’était pas seul, (Scooter Libby a été accusé et condamné plus tard), a joué un rôle très, très majeur dans tout cela. C’est lui qui était responsable de la fuite, à savoir du nom de Valerie Plame, ce qui dévoilait qu’elle était l’épouse de J. Wilson. À un moment donné, il a déclaré : « Je n’ai pas dis son nom ». En fait il a dit : « il s’agit de l’épouse de Joe Wilson qui est agente de la CIA. Elle a tout organisé ». Il a déclaré cela à Matt Cooper du Time Magazine. Et il a continué à répéter le mensonge (sur l’uranium du Niger) encore et encore.

Je pense que ce serait suffisamment dégoutant de voir K. Rove se jouant de Joe Wilson et de la presse mais, ce qui est aussi important ici, c’est la complicité de la presse justement. Quand Karl Rove devient votre source, vous en êtes captif-ive. J’ai lu les mémoires de Bob Novak, l’ancien chroniqueur qui a été le premier à écrire le nom de Valerie Plame. Il dit, de façon assez éclairante : « Karl Rove était ma source première pendant plusieurs années ». En quelque sorte il alimentait B. Novak qui ajoute : « Quand vous êtes dans cette position, bien sûr vous n’écrivez jamais un mot de critique à son sujet ». Une grande partie de la presse se comporte ainsi.

A.G. : Comment Karl Rove a-t-il échappé aux accusations ? Scott Libby a été condamné, Judith Miller… ( à dû quitter son poste de journaliste. N.d.t.)

C.U. : Je pense qu’il a été éminemment chanceux. Au Time magazine il y avait une journaliste du nom de Viveca Novak. (Aucun lien avec Bob Novak). Elle connaissait l’avocat de Karl Rove, Bob Luskin. Au cours d’une conversation il lui a mentionné qu’il pensait que son client était en difficulté à cause de ce qu’il avait dit à Matt Cooper. Elle a approuvé. À ce moment là, K. Rove a été cité devant un grand jury cinq fois. Et il a répété qu’il n’avait jamais cité le nom de qui que ce soit. Il a même dit qu’il ne se souvenait pas d’aucune conversation avec le journaliste. C’était un flagrant mensonge. Il l’avait dit à l’attaché de presse de la Maison Blanche et au président Bush. Il l’avait répété à satiété. Son avocat s’est rendu compte qu’il était enfermé dans son mensonge. Bien volontairement il a demandé à être entendu à nouveau par le grand jury et a corrigé l’information. Je pense que cela a suffit pour qu’il évite l’accusation de parjure.

N.S. : Dans votre livre, vous parlez aussi des rapports de K. Rove avec le monde de la justice. Vous dites qu’aucun autre stratège politique dans l’histoire n’a été aussi redevable à la Cour Suprême des Etats-Unis. Vous parlez de quelques jugements clés qui sont survenus grâce au lobbyisme de K. Rove.

C.U.  : Exact. Il y a deux décisions de cette cour qui sont parmi les plus controversées de l’histoire. Bien sûr, celle à cinq votes pour et quatre contre de 2000 qui a donné la présidence à G.W. Bush le poulain de K. Rove contre Al Gore. Et aussi celle de 2010, par la même marge de votes, en faveur de Citizen United qui a ouvert la porte aux super Pacs et aux milliards de dollars que Rove y contrôle maintenant.

Je pense que K. Rove a toujours eu ce genre de rapport avec le système de justice. Au Texas, dans les années quatre-vingt, il a pris en main la Cour suprême de l’État et l’a fait basculer de démocrate à républicaine. Il a fait la même chose en Alabama. Et il a joué un rôle clé dans la nomination des procureurs fédéraux. Il a fait nommer « attorney general » des Etats-Unis, un de ses clients, John Ashcroft du Missouri.

A.G. : Son nom a été mentionné parmi d’autres dans les pressions pour que T. Adkin (dans l’affaire de la redéfinition du viol n.d.t.) revienne sur ses déclarations.

C.U. : Exact.

A.G. : (…) Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans le travail que vous avez fait pour écrire ce livre ? Qu’est-ce qui vous apparaît le plus important de comprendre de cet homme qui est en train de probablement devenir le politicien le plus puissant du pays ?

C.U.  : C’est la durée impliquée dans les changements qu’il introduit. On peut le voir dans l’affaire Siegelman. Cet homme ira probablement en prison pour huit ans, dix ans plus tard. Je suis convaincu qu’il s’agit d’un véritable travestissement. Et ce n’est là qu’un exemple parmi des douzaines et des douzaines. Vous avez là de véritables menaces à la démocratie qui s’incrustent. La course au retrait du droit de vote en ce moment en est un autre exemple. Beaucoup de ces affaires sont de réelles menaces à la démocratie.

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