Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le seul vote stratégique possible , c'est un vote pour Québec solidaire

Les diatribes contre Québec solidaire atteignent cette semaine des sommets de mauvaise foi. Québec solidaire serait devenu un allié objectif de la CAQ. Québec solidaire serait sous l’emprise d’une aile fédéraliste existant en son sein. Il ne serait pas indépendantiste. C’est maintenant la pertinence de l’existence même de Québec solidaire qui est remise en question.

Pourtant, l’apparition et le développement de Québec solidaire ont été une réponse de la gauche des différents mouvements sociaux aux politiques néolibérales qui ont été menées par le gouvernement péquiste entre 1994 à 2003. De plus, au niveau de la souveraineté, le Parti Québécois n’a eu cesse de reporter à un avenir indéfini la lutte pour l’indépendance du Québec. La crise stratégique du Parti québécois tant sur le terrain social et sur le terrain national, explique l’existence de Québec solidaire comme d’Option nationale. Il vaut la peine de revenir sur cette histoire pour comprendre, aujourd’hui, le sens du combat de Québec solidaire et la nécessité de continuer le combat pour sa construction...

1994 à 2003, le gouvernement péquiste mène des politiques néolibérales

Après la défaite au référendum de 1995 et le départ de Jacques Parizeau, le PQ, sous la direction de Lucien Bouchard, a approfondi son ralliement au néolibéralisme. Les politiques menées alors s’inscrivent dans un virage à droite des élites péquistes.

 Déjà, le PQ s’était fait le zélateur du libre-échange. Ce ralliement au libre-échange en a fait un allié objectif de Parti conservateur aux élections fédérales de 1988 qui devaient porter Mulroney au pouvoir. Au gouvernement, le Parti québécois soutiendra la ZLEA malgré l’opposition des peuples latino-américains.

 Le gouvernement péquiste met en œuvre une politique fiscale régressive (réduction du nombre de paliers d’imposition et renforcement d’une fiscalité indirecte et par la défiscalisation des hauts revenus et du capital). Tout cela se fit au nom du développement d’une fiscalité concurrentielle. Bernard Landry se déclara particulièrement fier de cette fiscalité concurrentielle qui faisait des entreprises oeuvrant au Québec parmi les moins taxées en Amérique du Nord.

 Sous le gouvernement péquiste, les augmentations du salaire minimum demeurèrent marginales. Le salaire minimum augmenta de 0,25 $ en 96, 0,10 $ en 1997, 0,10 $ en 98, il fut gelé en 1999 et en 2000. Il connaît une autre augmentation de 0,10 $ en 2002 .... Alors que le réel salaire baisse à cause de l’inflation, le gouvernement péquiste maintient le salaire minimum dans une situation de quasi-stagnation. Et ce sont les femmes qui occupent pour une bonne part les postes au salaire minimum qui écopent. Le PQ laisse donc se détériorer les revenus des plus démuniEs.

 Le gouvernement Bouchard puis le gouvernement de Bernard Landry écartent les politiques d’économie d’énergie alors que ces politiques étaient prioritaires dans le programme de 1994 du Parti québécois. L’Hydro-Québec sous la gouverne du PQ a attribué une part très marginale de ces investissements aux économies d’énergie et a développé une politique d’exportation de l’énergie électrique vers les États-Unis. Le développement de la filière éolienne a été laissé à l’initiative du secteur privé.

 Le gouvernement péquiste a laissé les entreprises forestières faire des coupes à blanc. Richard Desjardins dénonce le saccage de la forêt boréale. Le ministre Brassard nie l’évidence et rejette les revendications d’une large coalition qui s’oppose à la politique forestière du gouvernement péquiste. La gestion intégrée de la forêt et la politique de la forêt habitée promises dans les programmes du PQ ont été complètement ignorées.

 Loin de l’agriculture de proximité et biologique, le gouvernement péquiste met tous ces œufs dans le développement d’une agro-industrie d’exportation destructrice des milieux naturels.

 Ayant oublié la politique du Maître chez nous, le gouvernement du Parti québécois baisse les redevances minières et n’apporte aucun amendement à la loi des mines... Madame Marois nous dit maintenant, qu’il fallait soutenir les minières qui traversaient une conjoncture particulièrement difficile sur la scène internationale. Cela promet avec l’approfondissement de la crise économique qui s’annonce au niveau international.

 Le gouvernement péquiste fait de l’objectif du déficit zéro une priorité. Cela va conduire le gouvernement péquiste a opéré des coupes sombres en éducation et en santé et à mettre à la retraite massivement infirmières et médecins et à réduire les cohortes sortant des facultés de médecine.

 Le gouvernement péquiste refuse également d’instaurer la gratuité scolaire comme l’avaient demandé les États généraux de l’éducation en 1996 – mais il maintient des subventions de centaines de millions de dollars aux écoles privées. Aujourd’hui encore, Pauline Marois proclame contre l’évidence l’impossibilité d’instaurer la gratuité scolaire.

 Alors que le programme péquiste promet d’élargir l’accès à la syndicalisation en instaurant la syndicalisation multipatronale, le gouvernement péquiste refuse de faciliter les conditions de syndicalisation alors que les programmes du parti en faisaient la promesse.

 Le gouvernement péquiste remet sans cesse au lendemain la réforme du mode de scrutin et l’instauration d’un scrutin proportionnel mixte comme le promettait, encore une fois, ses différents programmes depuis 1970. Il choisissait ainsi de maintenir un système électoral qui bloque l’expression démocratique de différents courants politiques de la société québécoise alors que se dégage un courant sur sa gauche... Tout à ses intérêts partisans, le PQ ne voulait surtout pas faciliter l’apparition d’une alternative politique importante sur sa gauche alors que s’imposait, compte tenu de sa gestion néolibérale, la conviction qu’il était désormais impossible de changer quoi que ce soit des choix gouvernementaux du PQ à partir d’un travail au sein même du PQ alors que le gouvernement issu de ce parti, menaient des politiques en rupture complète avec ce qui avait été inscrit par ses militantEs dans le programme.

Expliquer ces grands écarts

Comment comprendre ces grands écarts entre les programmes du Parti québécois et la gestion gouvernementale. On pourrait dire simplement qu’il faut juger un parti sur ses pratiques et non sur ses déclarations surtout quand ce sont des déclarations électorales. Mais cela est plus une invitation à une nécessaire prudence qu’une réelle explication. D’une part, il faut comprendre, que le PQ n’organise pas la défense des intérêts des travailleuses, des travailleurs et de ses organisations. D’autre part, l’essentiel du pouvoir de décision dans nos sociétés capitalistes est aux mains des puissances d’argent... les banques, les grandes industries, les grands commerces. Un parti politique qui ne vise pas à remettre en question ce pouvoir doit composer avec lui. Il est rapidement amené à comprendre qu’il en va même de son maintien au pouvoir de se mettre au service de l’oligarchie. Ces partis, qui ne s’inscrivent pas dans une logique de transformation sociale véritable, sont en rupture avec la majorité de la population. Ils s’éloignent même de leurs propres bases et ils trouvent le personnel politique habile à s’adapter au réalisme que la gestion d’un tel État impose. Voilà comment le PQ est devenu un parti au début des années 80 un parti qui s’est attaqué au mouvement syndical et qui s’est prêté au jeu de la réforme du fédéralisme canadien présenté comme un beau risque. Voilà pourquoi, il a mené des politiques néolibérales au milieu des années 90... et qu’il adopté un autonomisme masqué sous la piteuse étiquette de la gouvernance souverainiste en 2011.

La défaite de 2003 et la migration des couches technocratiques de plus en plus à droite... à l’intérieur comme à l’extérieur du PQ

Le Parti Québécois s’est survécu, au-delà de l’épuisement de forces propulsives qui l’avaient impulsé. La défaite de 2003, le PQ ne peut l’attribuer qu’à sa propre turpitude, qu’à ses propres politiques qui s’attaquaient aux intérêts des classes ouvrières et populaires, aux femmes et aux jeunes...

La direction Bouchard était ouvertement néolibérale... Bernard Landry se revendique de cette orientation dans son texte de la fin 2004, « Regard sur les perspectives économiques du Québec. » La direction Boisclair était de la même eau. On ne s’étonnera pas que Lucien Bouchard se retrouve maintenant président de l’Association pétrolière et gazière du Québec, qu’André Boisclair se retrouve chez Questerre, et que Guy Chevrette, ex-ministre péquiste soit devenu le PDG du conseil de l’industrie forestière du Québec, que Joseph Facal, ex-ministre péquiste soit un « lucide de premier plan », qu’il se soit, à l’invitation de Jean Charest, joint au comité de réflexion sur les tarifs d’électricité (2007). Pierre-Marc Jonhson,ex-chef du Parti québécois, est un négociateur de l’Accord du libre-échange avec l’Europe. Et François Legault, aspirant à la chefferie avant son ralliement à Bernard Landry, a lancé son parti, néolibéral de droite et antisyndical, qui pollue le paysage politique au Québec. Si ce n’est Bernard Landry, tous ces messieurs ont renié leur ralliement à la souveraineté...

Que ces anciens premiers ministres, ministres ou chefs ou aspirants aient connu une telle évolution... ne peut être interprété sur une base purement personnelle. Elle correspond à un virage à droite des élites québécoises... qui a emporté une bonne part de la direction péquiste... Ce virage à droite, a aussi correspondu à un clair recul face au soutien à la souveraineté. Tergiversations, stratagèmes divers, détermination émoussée, on est ici face un phénomène politique soit une scission politique des couches technocratiques entre un secteur qui a renié la souveraineté et rallié les orientations néolibérales et un secteur qui reste à la direction du Parti québécois et qui se définissent par un autonomisme masqué (la gouvernance souverainiste) et un progressisme de période électorale (Marois, Lisée et Cie) tout en demeurant prêt à mener des politiques néolibérales une fois au pouvoir.

La direction Marois... une direction sous influence...

Sur le plan social, après la défaite de 2008, la direction Marois a cherché a opéré un tournant vers la base de l’ADQ. Elle s’est dite favorable à accueillir des députés adéquistes dans ces rangs... Elle a accueilli avec ouverture le Manifeste des Lucides.

Sur le plan national, Pauline Marois a fait du rejet d’un référendum dans un premier mandat adopté dans le congrès de 2005 par le Parti québécois, une condition de son retour à la direction du parti. La crise du PQ peut être dépassée si ce parti limite son ambition à celle d’être une machine électorale visant à arracher un pouvoir provincial, dans une logique d’alternance. Mais le PQ n’a aucune stratégie crédible dans la lutte pour la souveraineté. Les contorsions autour du référendum d’initiative populaire sont révélatrices à cet égard.

Le discours souverainiste est instrumentalisé par les couches ministrables comme un fonds de commerce... pour la prise du pouvoir provincial. C’est faire une grossière erreur d’interprétation que d’attribuer à Madame Marois les erreurs de parcours du Parti québécois dans l’actuelle campagne électorale. Elle doit se faufiler entre les pressions indépendantistes en provenance de son parti et des autres partis indépendantistes et ses intentions réelles relevant d’un autonomisme masqué. Elle doit manifester un progressisme de façade tout en sachant très bien que le renforcement de la crise économique risque de la déporter vers des politiques d’austérité. C’est pourquoi elle rejette la perspective de la gratuité scolaire et laisse ouvert le gel indexé (?) tout en dessinant dans son programme les contours d’une école néolibérale. Elle a esquissé dans son programme de 2011 une perspective de capitalisme vert, mais elle refuse de prendre clairement position sur l’exploitation du pétrole dans le golfe St-Laurent. Il faut se rappeler qu’il n’est pas loin le temps où elle signalait que l’enjeu était moins la répartition de la richesse que sa création et que l’enrichissement de certains était la condition de l’enrichissement de tous et toutes. Pour ce qui est de la réforme des institutions démocratiques, le PQ a rejoint les partisans du statu quo en rejetant toute véritable réforme du mode de scrutin qui introduirait un véritable système proportionnel. Le Parti Québécois est un parti ouvert aux pressions de l’oligarchie. C’est ce qu’il peine à cacher dans le cadre de ces élections sous ses déclarations « progressistes ».

Québec solidaire n’est pas proche du PQ, il présente plutôt une véritable alternative.

Nous sommes entrés dans une période où la majorité populaire subira un approfondissement de l’offensive néolibérale. Les classes dominantes mèneront des politiques de plus en plus dures pour faire payer les coûts de la crise à la majorité de la population. C’est pourquoi on assiste à une polarisation gauche-droite de plus en plus importante. Les batailles seront de plus en plus dures. Les mobilisations seront plus amples. Le mouvement étudiant du printemps québécois laisse présager de nouveaux combats.
Seul un parti capable de confronter la domination de l’oligarchie (le 1%), ses privilèges et sa volonté est capable d’opérer une véritable transformation sociale et de remettre en question la démocratie restreinte que cette oligarchie veut imposer à la population du Québec. Un tel parti expliquera que sa force lui vient essentiellement de la mobilisation populaire et que c’est cette mobilisation qui lui permettra de défendre jusqu’au bout son programme. Un tel parti refusera de séparer le projet de société égalitaire, féministe et écologique du projet de pays que le peuple du Québec aspire à construire.

Aujourd’hui, la lutte pour l’indépendance ne peut se distinguer du projet de reprendre en mains nos richesses naturelles, d’en contrôler démocratiquement l’usage dans une perspective écologiste. Elle ne peut se distinguer de la perspective de refonder notre société dans une logique qui refuse la concentration de la richesse aux mains d’une minorité ; elle ne peut se distinguer de la perspective de fonder une société refusant la domination patriarcale et sexiste. La perspective d’indépendance ne peut se distinguer surtout de la nécessité de refonder la démocratie que nous voulons dans une perspective de véritable démocratie citoyenne, participative tant au niveau politique qu’au niveau d’une véritable démocratie économique.

Voilà en quoi Québec solidaire a été construit en rupture avec le Parti québécois, qu’il assume cette rupture... et qu’il considère que le seul vote stratégique possible, qui dépasse les manœuvres tacticiennes, c’est un vote pour Québec solidaire. Le bilan de son passé gouvernemental nous montre que le PQ, lui, n’offre que la perspective de l’alternance provincialiste... Un Québec traversé par d’importants mouvements sociaux n’en est déjà plus là !

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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