Sur les 195 Etats-membres de l’ONU, 150 ont désormais fait connaître leur contribution à la lutte contre les dérèglements climatiques (INDC dans le jargon de l’ONU). Ces contributions nationales, volontaires et non contraignantes, comportent notamment des objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre pour la période postérieure à 2020. Ces 150 pays représentent environ 90 % des émissions mondiales, soit un seuil suffisant pour avoir une idée de l’ampleur du réchauffement climatique qui découle de ces propositions.
2,7°C de réchauffement maximal ? Une tromperie !
Dans la presse, un chiffre a été repris par de nombreux négociateurs et commentateurs (voir ici sur FranceTVInfo, ici sur le site de l’Obs ou encore ici dans le Guardian) : la lutte contre les dérèglements climatiques serait sur la bonne voie car les engagements des Etats permettraient de maintenir le réchauffement climatique aux alentours de 2,7°C par rapport à l’ère pré-industrielle. Ce serait un premier pas avant d’aller plus loin, et pouvoir revenir sur une trajectoire de réchauffement maximal de 2°C d’ici à la fin du siècle.
Cette présentation est trompeuse. L’étude d’où est issu ce chiffre donne une fourchette allant de 2,2°C à 3,4°C. Soit un écart incroyable de 1,2°C, supérieur au réchauffement climatique actuel : bref, l’incertitude règne ! Il n’est d’ailleurs jamais rappelé que 2,7°C de réchauffement serait un réchauffement trois fois supérieur au réchauffement actuel (0,85°C) qui génère déjà de graves conséquences aux quatre coins de la planète. Plus important, ces contributions volontaires conduisent à un accroissement continu des émissions jusqu’en 2030, pour atteindre 53-55 gigatonnes de CO2e en 2030, soit un écart de 15-17 Gt CO2e par rapport à la limite maximale d’émissions que recommande le GIEC pour rester en deça des 2°C.
Plus important, de tels niveaux d’émissions en 2030 pourraient rendre impossible un retour sur une trajectoire de réchauffement maximal de 2°C, plus encore pour rester en deçà de 1,5°C. L’étude explique que pour revenir sur une trajectoire de 2°C, il faudrait passer à des taux de réduction d’émission annuels de 3 ou 4% - là où les Etats se sont engagés à des objectifs maximums de 1,5% par an d’ici 2030. Soit des objectifs annuels qui pourraient "ne pas être techniquement possibles" et qui seront en tout cas très "coûteux". Il faut donc comprendre que le calcul conduisant à un réchauffement maximum de 2,7°C d’ici la fin du siècle est établi sur la base de ces taux de réduction de 3 à 4% par anartir de 2030. Cette hypothèse est peu fondée et laisse croire qu’on pourrait attendre quelques années supplémentaires avant de s’engager pleinement dans la réduction des émissions. Ce n’est bien-évidemment pas le cas puisqu’en matière de climat, tout retard pris n’est pas rattrapable : les émissions s’accumulent au cours des années dans l’atmosphère et c’est bien le stock qui détermine le réchauffement climatique, plus que le flux d’une année donnée.
Une nouvelle étude, menée par la société civile
Les ONG, associations et syndicats internationaux (voir liste ci-dessous) ont décidé de réaliser leur propre évaluation des contributions volontaires des Etats. L’étude a été rendue publique ce mardi 20 octobre à Bonn, en Allemagne, à l’occasion de la dernière semaine de négociation intermédiaire avant la conférence de Paris – Le Bourget. Les résultats sont sans équivoque : les contributions volontaires des Etats sont inacceptables car elles préparent un réchauffement climatique supérieur à 2°C et elles ne sont absolument pas équitables. C’est un des points saillants de cette étude que de prendre en compte la responsabilité historique des Etats et leur inégale capacité à agir pour analyser leurs contributions initiales. La société civile appelle donc les Etats à revoir leur copie. Un verdict bien éloigné de tous ces négociateurs et commentateurs qui laissent entendre que les Etats seraient sur la bonne voie en matière de lutte contre les dérèglements climatiques.
Voici les principaux résultats de l’étude (résumé en anglais - et démarche présentée sur ce site) :
1. Pris conjointement, les engagements des Etats ne permettent pas de rester en deçà des 2°C, et encore moins 1,5°C. Même dans le cas (hypothétique) où tous les Etats réalisaient effectivement leurs promesses, le réchauffement climatique pourrait être supérieur à 3°C, soit une très forte probabilité d’embarquer sur un scénario d’emballement climatique dangereux et non maîtrisable ;
2. Les contributions des Etats représentent moins de la moitié des réductions d’émission qu’il faudrait réaliser pour 2030 ; les engagements actuels représentent donc une très faible part de ce qui devrait être fait (voir le schéma ci-dessous) ;
3. Si l’on tient compte de leurs engagements financiers, les contributions de la majorité des pays développés sont très éloignées de la juste part qu’ils devraient réaliser : la contribution du Japon représente 10% de ce qu’il devrait mettre sur la table en terme de réduction d’émissions et de financement, les Etats-Unis 20% et l’Union européenne un peu plus de 20%.
4. La majorité des pays en développement ont mis sur la table des objectifs de réduction d’émission qui sont compatibles avec leur juste part, ou qui s’en rapprochent, tout en ayant un potentiel de réduction d ’émissions supérieur à leurs engagements actuels ;
5. Alors que les financements climat sont absolument clefs pour que les pays développés prennent leur juste part dans l’effort global, il y a clairement un manque de moyens mis à disposition pour faire face aux coûts de l’adaptation et aux pertes et dommages que subissent notamment les pays les plus vulnérables face aux dérèglements climatiques.
Les exigences :
1. l’accord de Paris devrait se baser sur une approche en terme de budget carbone afin de déterminer les objectifs des pays, à la fois en terme de réduction d’émission et de financement. Sur cette base, des objectifs agrégés devraient être adoptés pour 2020, 2025, 2030, 2040 et 2050, afin de fournir une feuille de route permettant de conserver une chance raisonnable de rester en deçà de 1,5°C ou, au pire, 2°C de réchauffement. L’objectif de décarbonisation totale de l’économie mondiale doit-être fixé à 2050 et non à la fin du siècle.
2. L’accord de Paris doit inclure un mécanisme efficace afin que les engagements des Etats soient revus à la hausse à chaque échéance, sur la base des recommandations scientifiques et des exigences d’équité, sans possibilité de revenir en arrière.
3. De substantiels engagements supplémentaires doivent être pris en terme de financements publics pour des politiques efficaces de réduction d’émission et d’adaptation dans les pays qui en ont besoin.
4. Les Etats doivent revoir à la hausse leurs politiques nationales de transition énergétique afin de sortir de l’âge des énergies sales.
Si l’on écoute les commentateurs - et notamment les négociateurs français - le processus de récolte des contributions nationales volontaires serait un immense succès, compte tenu que la majorité des pays ont rendu leur copie et qu’elles seraient une base pour aller plus loin. Cette étude - dont il se dit qu’elle ne plait pas vraiment à la présidence française de la COP21 - montre que ces commentaires sont bien trop optimistes et qu’ils ne sauraient cacher le manque d’ambition de ces contributions volontaires nationales.
Complèments
parmi les organisations à l’initiative de cette évaluation : Action Aid International, Climate Action Network, CARE international, Christian Aid, CIDSE, Friends of the Earth International, Iternational Trade Union Confederation, Oxfam, Third World Network, WWF International, etc.
Ce travail d’évaluation a été réalisé sur la base d’un budget carbone offrant une faible probabilité de rester en deçà de 1,5°C de réchauffement climatique, et 66 % de chance de rester en deçà de 2°C. C’est un budget carbone très risqué et relativement peu ambitieux : les résultats de l’évaluation n’est que plus frappant. L’évaluation tient compte des responsabilités historiques des différents pays, et des différences dans les capacités à agir.
Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France.
Il publie Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, Seuil, coll. Anthropocène et il a co-coordonné Crime Climatique Stop ! L’appel de la société civile, Seuil, Anthropocène.
@MaximCombes sur twitter