Édition du 23 avril 2024

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Israël - Palestine

Les sondages pratiques quotidiens montrent que les Israéliens continuent à choisir cette guerre, même s’ils ne veulent pas de Netanyahou

La plupart des Israéliens savent que Benyamin Netanyahou leur ment. La plupart soupçonnent que ses choix politiques sont motivés par des intérêts personnels et familiaux. Autrement, le Likoud sous sa direction, selon les sondages, n’obtiendrait pas seulement 18 sièges à la Knesset. Et pourtant, la plupart des Israéliens le soutiennent. Certes, contrairement à ce que nous disent les sondages et les experts.

Tiré d’Europe solidaire sans frontière. Article paru à l’origine dans Haaretz le 2 avril 2024. Traduction À l’encontre.

En effet, le sondage le plus fiable est bien celui de la participation persistante de milliers d’Israéliens à l’offensive militaire impliquant des massacres et une destruction massive à Gaza, ainsi qu’aux opérations d’oppression et d’expulsion qui se déroulent en Cisjordanie.

La volonté inébranlable des parents d’envoyer leurs enfants tuer et être tués, blesser et être blessés – et ensuite souffrir toute leur vie de post-traumatisme – est une réponse constante et invariable dans un sondage de facto réalisé quotidiennement. Le langage édulcoré et le consensus dans les médias, ainsi que l’attachement à la croyance que la guerre est la solution, est une sorte de réponse à une question posée en filigrane : qui soutiennent-ils ?

Les photos TikTok postées par des soldats – indiquant le manque de volonté ou l’incapacité des Forces de défense israéliennes (FDI) à stopper le flux de selfies en provenance de Gaza – montrent une bestialité arrogante dépourvue de toute inhibition de la part des soldats. Elles constituent une sorte de sondage. Les parents qui n’expriment pas de choc ou d’inquiétude sur le fait que leurs enfants, avec leurs propres smartphones, fournissent à la Cour pénale internationale des preuves à charge contre eux-mêmes sont également des sondés qui approuvent Netanyahou et sa politique militaire, même s’ils ne sont pas sondés à ce sujet et même s’ils ne votent pas pour lui.

Les réservistes qui se déplacent entre les manifestations de la rue Kaplan [centre de Tel-Aviv] et les ruines de Gaza ou son ciel parsemé de bombardiers ou de drones prédateurs sont également des personnes interrogées dans le cadre d’un sondage, dont la réponse est sans ambiguïté. Se plaindre continuellement que le monde est antisémite est la réponse souhaitée à un sondage qui fait saliver Netanyahou tous les matins.

Il en va de même du refus de comprendre que, contrairement à nos écrans de télévision, qui restent focalisés sur les horreurs du 7 octobre et les rapports déchirants sur ses victimes, les téléspectateurs des chaînes de télévision étrangères ont vu les horreurs des bombardements et de la famine délibérée dans la bande de Gaza au cours des six derniers mois. Ils connaissent des centaines, voire des milliers, de reportages bouleversants sur les victimes palestiniennes [1].

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De nombreux Israéliens savent que le gouvernement dirigé par Netanyahou laisse sciemment des otages épuisés mourir de faim, de manque de médicaments, d’épuisement, de mauvais traitements ou des suites de frappes aériennes israéliennes. Apparemment, les Israéliens sont plus nombreux que jamais à soutenir cette « directive Hannibal » non déclarée (qui autorise l’armée à mettre en danger la vie d’un soldat pour éviter qu’il ne soit kidnappé) [2]. Tout cela au nom de la victoire absolue.

Beaucoup d’Israéliens savent que les otages, leurs familles et leurs terribles souffrances n’intéressent pas ce gouvernement. Ils ont été choqués par les déclarations publiques de mépris des hommes politiques et par leur manque d’empathie. Beaucoup d’Israéliens savent que les membres du cabinet sont des clowns ineptes dans le meilleur des cas, ou des politiciens rusés qui s’occupent de leur propre portefeuille dans le pire des cas.

Beaucoup d’Israéliens savent que le ministre (Bezalel Smotrich) des Finances et des colonies [dans le cadre du ministère de la Défense] détruit notre économie. Ils savent que la guerre le fait également. Que le ministre de la Sécurité nationale (Itamar Ben-Gvir) donne des instructions pour faire taire les manifestants, tout en démantelant la police. Ils savent que le ministre de l’Education (Yoav Kisch) détruit l’éducation et que le ministre des Communications (Shlomo Karhi) s’oppose à la liberté de la presse. Ils savent que le ministre de la Défense (Yoav Gallant) n’apporte pas la sécurité. Ils savent que l’Etat est sur la corde raide.

Et ils savent que la conception erronée formulée par le premier ministre, en collaboration avec les agences de renseignement et de sécurité, selon laquelle le Hamas à Gaza était contenu, qu’il se comportait comme nous voulions qu’il se comporte, est la raison de la grande catastrophe qui a frappé les plus de 1400 personnes mortes et enlevées, leurs familles et leurs communautés.

Et pourtant, les Israéliens continuent de soutenir ce gouvernement par le simple fait qu’il affirme « faire le travail » (l’euphémisme accepté pour l’invasion et le massacre) à Gaza, et accomplir loyalement la mission de dépossession menée par les forces de défense des colonies en Cisjordanie. Cela se traduit aussi par le fait même que l’Association médicale israélienne n’exprime pas son choc face aux rapports sur la famine à Gaza ; et que les juristes et les organisations de protection de l’enfance ne soulèvent même pas de questions sur le nombre élevé d’enfants palestiniens tués. Le soutien à ce gouvernement s’exprime aussi par le fait que les manifestants [clamant leurs récriminations face à Netanyahou] de la rue Kaplan n’ont pas rejoint en masse les dizaines de courageux activistes qui accompagnent les agriculteurs et les bergers palestiniens afin de les protéger de la violence des colons. Ni avant, ni pendant cette guerre.

***

Cette perception fallacieuse découle d’un objectif qui n’a pas changé : habituer les Palestiniens à l’idée que même leur aspiration minimale d’un petit Etat souverain à côté d’Israël ne sera pas réalisée, sans parler de leur attente qu’Israël reconnaisse en général sa responsabilité pour les expulsions de 1948 et accepte un certain processus de retour des réfugiés, sans parler de leur exigence d’égalité entre « le fleuve et la mer ».

L’objectif est resté le même, y compris lorsqu’un gouvernement israélien a accepté de reconnaître l’OLP lors des accords d’Oslo, mais pas, Dieu nous en préserve, le peuple palestinien. Peu à peu, puisque les Palestiniens refusent de se faire à cette idée et que les organisations de colons sont devenues les dirigeants de facto d’Israël, la réalisation de cet objectif est devenue de plus en plus violente et brutale.

C’est ainsi qu’on en est arrivé au « plan décisif » imaginé par Bezalel Smotrich pour les Palestiniens [voir article publié sur ce site le 13 novembre 2023] : soit accepter un statut inférieur, émigrer et être déraciné soi-disant de son plein gré, soit affronter la défaite et la mort dans une guerre. Tel est le plan actuellement mis en œuvre à Gaza et en Cisjordanie, la plupart des Israéliens étant des complices actifs et enthousiastes, ou acquiesçant passivement à sa réalisation, indépendamment de leur dégoût pour ce gouvernement et ses membres. La grande majorité continue de croire que la guerre est la solution.

Amira Hass

Notes

[1] Selon Le Monde du 1er avril 2024, « le Parlement israélien a adopté lundi 1er avril un projet de loi permettant d’interdire la diffusion de médias étrangers portant atteinte à la sécurité de l’Etat. La chaîne [Al Jazeera] a dénoncé une “campagne frénétique” à son encontre basée sur un “mensonge dangereux et ridicule” ». (Réd.)

[2] Selon l’une de ces règles d’engagement, officieusement nommée ‘procédure Hannibal’, en cas d’incursion ennemie et de capture de civils, les unités israéliennes de combat doivent à tout prix empêcher les ravisseurs de rejoindre leurs bases arrière, quel que soit le prix à payer par les soldats et les captifs. (Réd.)

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Amira Hass

Amira Hass est journaliste pour ce quotidien, elle a longtemps été correspondante à Gaza et dans les territoires occupés. Deux de ses livres ont été traduit en français, aux Editions La Fabrique, retraçant les conditions d’existence et les questions politiques des Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie dans les années 1990 et le début des années 2000 : Boire la mer à Gaza (2001) et Correspondante à Ramallah : 1997-2003 (2004).

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