Édition du 23 avril 2024

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Québec

Les travailleurs agricoles temporaires et la COVID-19

Presse-toi à gauche se questionnait en avril dernier sur les mesures mises en place pour protéger les travailleurs agricoles étrangers de la COVID-19. L’équipe de la Déclaration commune pour le salaire minimum à 15$ l’heure a regroupé des intervenant.e.s de première ligne le 5 septembre dernier pour faire le point sur la situation qui prévaut dans les fermes du Québec et de l‘Ontario.

Le témoignage de Joni Ismael Valasquez (travailleur agricole) est des plus percutant. Ce travailleur agricole mexicain a dû quitter la ferme en Beauce où il travaillait pour abus et mauvaises conditions de travail. Il n’avait pas régulièrement son salaire. Sa semaine de travail était de 65 h à 70 h par semaine, les heures de travail brisées, sans journée de congé. Il n’avait pas accès à du transport pour aller s’approvisionner au village le plus près et acheminer à sa famille au Mexique l’argent nécessaire à leur survie.

Son travail à effectuer auprès des vaches de la ferme lui a occasionné des blessures aux jambes et il a eu des hématomes au bras et des douleurs au dos qui durent encore. Toutefois son employeur ne se préoccupait pas de ces questions. Ce n’est donc pas la covid-19 qui lui a causé le plus de problèmes. C’est son statut d’immigrant temporaire relié à un employeur spécifique négligeant qui met en péril sa capacité à quitter un emploi où abus et exploitation sont le lot quotidien.

Le Centre des travailleuses et travailleurs immigrants (CTI) a pris fait et cause pour Joni Ismael Valasquez et demandé tel que l’indiquait Viviana Medina, organisatrice communautaire au CTI, que son permis de travail soit modifié en un permis de travail ouvert. Cette possibilité offerte depuis 2019 à des travailleurs temporaires vulnérables n’avait toutefois jamais été encore accordée aux travailleurs agricoles temporaires.

Kid Andres du “Migrant Workers Alliance for Change” en Ontario indique que cette situation prévaut aussi dans la province voisine. Elle confirme que le problème principal de ces travailleurs est le statut temporaire qu’ils détiennent. Cela crée une atmosphère menaçante, de la peur, un risque de renvoi sans cause et d’être retourné dans leur pays et mis sur une liste noire. Le travailleur migrant temporaire aux prises avec un employeur malveillant voit les droits du travail en vigueur pour les autres salariés inaccessibles : un hébergement offert par l’employeur souvent déplorable, une durée de la journée de travail illimitée, un salaire qui ne respecte pas les normes canadiennes, sans les protections de santé-sécurité au travail, sans droit à la syndicalisation. À cela s’ajoute l’incapacité pour bon nombre de ces travailleurs d’avoir accès à de la traduction pour savoir ce qui est attendu d’eux et faire connaître leurs besoins.

Manque de nourriture, d’eau chaude, de repos et d’équipement de protection individuelle : la liste des mauvais traitements signalés par la Migrant Workers Alliance for Change (MWAC) est longue.

La covid-19 a aggravé cette situation explique Kid Andres. Plus de 1000 travailleurs immigrants temporaires ont été victimes de la pandémie et en Ontario, 3 en sont morts.

Le statut temporaire qui est conféré à ces travailleurs fait en sorte qu’ils ne peuvent se plaindre et avoir les mêmes droits que les salariés de l’Ontario. Cette approche est confortée par le gouvernement canadien explique Kid Andres qui a octroyé 1 milliard $ aux entrepreneurs mais refuse de donner des conditions exemptes de covid et un statut permanent aux travailleurs agricoles temporaires.

Pour les soutenir en temps de covid, le « Migrant Workers Alliance for Change » a dû changer d’approche. Ils prennent contact avec les travailleurs agricoles dans les épiceries où ils vont s’approvisionner. À cela s’ajoute le « bouche à oreille » car plusieurs ont été mis en contacts avec eux dans le passé et ils transmettent les informations pertinentes aux autres avec qui ils travaillent. Ils ont aussi organisé une distribution de nourriture là où seule cette livraison d’urgence permettait de les approvisionner alors que leur employeur ne les soutenait pas. Des tracts explicitant leurs droits ainsi qu’un numéro de téléphone pour joindre leur organisme leur a été transmis.

Leur cible : que les travailleurs partagent l’information, qu’ils identifient un leader dans leur équipe de travail. « Migrant Workers Alliance for Change » travaille à les aider dans cette démarche. Le message est de s’organiser là où on est et voir comment améliorer ce qui existe, trouver des alliés, gagner des droits.

Michel Pilon du Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec (RATTMAQ) décrit l’approche très semblable à celle du « Migrant Workers Alliance for Change » faite par son équipe au Québec. Dès l’arrivée des travailleurs agricoles à l’aéroport Trudeau, leur équipe est sur place pour leur donner un dépliant qui indique la marche à suivre pour la quarantaine qui les attend à leur arrivée dans les fermes qui les ont embauchés, un numéro de téléphone sans frais « whatsup » y est indiqué et des liens à des vidéos en espagnol produits à leur intention.

Ces travailleurs ont très peur de déposer des plaintes aux normes du travail et à la CNESST. Et ils ont raison d’avoir peur, soutient Michel Pilon. Ceux qui ont osé déposer des plaintes ont souvent été mis sur des listes noires et ne sont pas rappelés. À cela s’ajoute le fait que ce sont les employeurs qui la plupart du temps amènent les travailleurs jusque dans le cabinet du médecin et servent de traducteur. La confidentialité patient-médecin alors n’est pas respectée.

Le mandat communautaire du RATTMAQ reconnu tant par les organisations patronales telle FERME que par le ministère du Travail leur a permis d’établir un contact avec quelques 9000 travailleurs agricoles temporaires. Leur travail supplée à l’absence de droit à la syndicalisation de ces travailleurs qui leur a été refusé en 2012.

Ces salariés jetables se retrouvent avec des conditions de travail assimilables à celles qui prévalaient au siècle dernier, Des chèques de paie de 80 h, 85 h, voire 92h de travail par semaine, le RATTMAQ en voit. Même la 7e journée de la semaine est travaillée. À cela s’ajoute le paiement au noir ou par des bons d’achat dans des épiceries Provigo, ou Métro.

Malgré des dénonciations, cette surutilisation des travailleurs agricoles migrants continue. Les propriétaires des fermes ont des capitaines en charge de 20 à 30 travailleurs qui les poussent à ce que le rythme de travail augmente.
Si les travailleurs agricoles étrangers sont essentiels à la production agricole et à la sécurité alimentaire du pays, il faudrait saisir l’occasion de dire Michel Pilon pour faire valoir les droits de ces travailleurs agricoles en leur permettant notamment d’avoir des contrats ouverts.

La Fédération du Commerce de la CSN est très sensible à ces enjeux. David Bergeron-Cyr (FC-CSN) qui en est le président et animait la rencontre, milite au sein de cette fédération qui compte 30 000 travailleuses et travailleurs dans les secteurs de la transformation, de l’alimentation et des abattoirs. Il a associé les piètres conditions de travail dans les fermes du Québec à celles qui sévissent en restauration. Dans les cuisines affirme-t-il. se retrouvent très souvent des immigrants légaux et illégaux, mis sous pression avec de très faibles salaires et à l’avant, les non immigrants, généralement blancs qui ont droit aux pourboires. On ne saurait accepter, nous a-t-il confié, que les travailleurs agricoles temporaires n’aient pas les mêmes droits que les autres travailleurs.

Vivement que le droit à des contrats ouverts soit accessible à tous les travailleurs agricoles étrangers temporaires !

2020/09/14

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