Édition du 26 mars 2024

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Libre-échange avec l’Europe : à quel prix ?

Négocier en position de faiblesse conduit presque toujours à un désastre. C’est pourtant ce que fait le Canada en négociant un accord de libre-échange avec l’Union européenne (UE).

Les négociateurs canadiens et européens se sont rencontrés cet été à Bruxelles pour la quatrième ronde de négociations de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AÉCG). La prochaine est prévue en octobre, à Ottawa, en vue d’une conclusion de l’entente d’ici l’année prochaine. Les enjeux sont majeurs et, comme à l’habitude, le processus avance sans débat public, avec l’implication des seules élites d’affaires.

Incontestablement, la priorité de l’UE est de sécuriser un accès aux contrats publics lucratifs de nos villes et provinces, d’une valeur estimée à plus de 100 milliards annuellement. Les multinationales européennes, telles les géants de l’eau Suez et Veolia, se montrent agressives pour accroître leur part de marché en éliminant les monopoles publics et en poussant à la privatisation de services essentiels. L’AÉCG rendrait plus difficile le maintien dans le secteur public des services de l’eau potable, du traitement des déchets, de l’électricité et des transports en commun. L’UE s’attaque frontalement aux politiques progressistes d’achat gouvernementales afin de faire tomber les exigences de contenu local pour la construction d’équipements de transport en commun, par exemple, ou encore les mesures favorisant le développement régional dans les contrats d’Hydro-Québec liés à l’éolien.

L’UE vise aussi d’importants changements au régime canadien de propriété intellectuelle à une refonte qui ferait augmenter le coût des médicaments et renforcerait les droits des détenteurs de brevets au détriment des consommateurs.

En tant qu’importatrice majeure d’énergie et de ressources, l’UE veut, de plus, éliminer ce qui reste des restrictions canadiennes concernant l’exportation des ressources naturelles, incluant l’interdiction d’exporter le bois brut et le poisson frais convoité par ses énormes flottes de pêche. Concernant le sujet épineux de l’agriculture, alors qu’elle n’a aucune intention de limiter ses propres subventions à l’exportation, l’UE insiste pour gagner un meilleur accès aux secteurs agricoles canadiens sous gestion de l’offre. Avec l’appui des transformateurs alimentaires canadiens et de l’industrie de la malbouffe, elle veut, par exemple, pouvoir exporter des mélanges à base de beurre, d’huile et de sucre et des protéines de lait concentré des produits industriels utilisés à la place du lait frais.

Ce ne sont là que quelques exemples montrant que les principaux objectifs de l’UE sont clairs. On ne peut en dire autant de ceux du Canada. Il a beau prétendre qu’il s’agit de réduire les barrières traditionnelles au commerce entre l’Europe et le Canada, le fait est qu’elles sont déjà basses, avec des tarifs douaniers moyens de moins de 3 % pour les principaux produits. Lorsqu’on insiste, les négociateurs canadiens identifient bien que c’est la réduction des barrières non tarifaires, notamment les règlementations européennes concernant la vente d’organismes génétiquement modifiés, le boeuf aux hormones, les substances chimiques telles que les perturbateurs endocriniens, les peaux de phoques à qui les intéressent. Or, les chances que l’UE accepte de laisser tomber ces règlementations sous la pression du Canada sont nulles. L’UE ne risque pas d’abandonner son propre droit de réglementer ni de nous « contaminer » positivement avec certaines des protections environnementales exemplaires que nous pouvons lui envier. Il s’agit bien davantage pour elle de voir l’AÉCG diluer le pouvoir règlementaire de nos gouvernements, en particulier aux paliers provincial et municipal, au profit de ses multinationales. À sa demande, les provinces sont, pour la première fois, présentes à la table de négociations et devront mettre en oeuuvre pleinement cet accord.

Les mesures concernant la protection des investisseurs pourraient aussi causer des regrets aux citoyens européens. Le Canada propose l’inclusion d’un chapitre sur l’investissement comme le fameux chapitre 11 de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), incluant le controversé mécanisme de règlement des différends que les grandes corporations nord-américaines ont utilisé pour contester des règlementations d’intérêt public. Mentionnons Dow Chemical, qui poursuit le Canada au sujet de l’interdiction, au Québec, des pesticides à des fins cosmétiques. Favorables à ce modèle, les négociateurs européens pourraient profiter du manque de vigilance de la population pour l’imposer.

Si les Canadiens et les Québécois admirent plusieurs aspects de l’histoire, du mode de vie et de la riche culture de l’Europe, ce serait une erreur de présumer que ces négociations peuvent conduire à un nouveau style d’accord commercial bénéfique pour les populations. Citoyens et représentants élus doivent se mobiliser rapidement, à l’instar des membres du nouveau Réseau pour le commerce juste (<www.tradejustice.ca/fr> ) qui, grâce à une fuite, a rendu publique l’ébauche de l’accord en avril dernier. Sans quoi l’AÉCG posera un risque sérieux à plusieurs de nos plus importants outils en matière de programmes et de politiques publiques.

• L’auteur, directeur de recherche sénior au Centre canadien des politiques alternatives, y dirige le Trade and Investment Research Project

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