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Mexique : le vieux PRI s'apprête à retrouver le pouvoir

Avec 38% des voix, Enrique Peña Nieto, candidat du Parti révolutionnaire institutionnel, a remporté l’élection présidentielle mexicaine face au candidat de gauche et ancien maire de Mexico Andres Manuel Lopez Obrador (31%) et à celle du gouvernement conservateur, Josefina Vazquez Mota, du Parti action nationale (25%). Le PRI revient ainsi au pouvoir après douze années d’opposition. Ci-dessous, le reportage de notre envoyé spécial au Mexique sur la campagne électorale.

30 juin 2012 | mediapart.fr

Le sourire est éclatant. La raie sur le côté est impeccable. Chemise blanche, pantalon sombre. À 45 ans, Enrique Peña Nieto, le candidat du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) à la présidence du Mexique, s’offre une demi-heure d’accolades et de poignées de main avant de monter à la tribune installée sur le terrain de sport de la ville dortoir de Tecámac, au nord de Mexico. C’est l’un de ses derniers meetings avant l’élection présidentielle qui se tient ce dimanche 1er juillet.

Avec une nette avance sur le candidat de la gauche Andrés Manuel López Obrador – à en croire les sondages –, Enrique Peña Nieto serait donc le visage du « nouveau PRI ». C’est ce que répètent les dirigeants d’un parti qui a régné sans partage sur le Mexique de 1929 à 2000. D’abord héritier de la révolution mexicaine de 1910, le PRI s’est illustré par la mise en marche de grands projets nationaux, comme la réforme agraire ou la nationalisation du pétrole, avant de faire du Mexique un laboratoire des politiques ultralibérales en dépouillant par centaines l’État de ses entreprises publiques dans les années 1980.

De quel pédigree idéologique est aujourd’hui fait ce parti ? Il est difficile de le savoir tant le favori de l’élection du 1er juillet, Enrique Peña Nieto, a privilégié le marketing politique sur l’exposition d’un programme.

Nouveau PRI ou pas, les vieille pratiques de clientélisme, de corruption, voire de répression, sont toujours en vigueur dans les rangs du parti. Douze ans après l’élection de Vicente Fox issu des rangs du Parti Action nationale (PAN, droite conservatrice), les espoirs d’alternance semblent loin. Le candidat de la gauche et ancien maire de Mexico, Andrés Manuel López Obrador, malgré une solide assise électorale, peine à faire oublier l’occupation du centre de Mexico lors du conflit qui avait suivi l’élection présidentielle de 2006 : il avait alors contesté sa défaite et organisé le blocage de la capitale, ce que l’opinion avait alors sévèrement jugé.

Au fil du désastreux mandat de Felipe Calderón (droite), un mandat qui s’achève marqué par les 60 000 morts des guerres de la drogue et l’appauvrissement généralisé du pays (voir notre article), le PRI a opéré un spectaculaire retour en force en trois temps. Au point de reprendre le contrôle de la chambre des députés où il jouit d’une majorité relative. Il conserve surtout le pouvoir dans la majorité des États, échelon déterminant dans un Mexique fédéral.

Premier temps de la reconquête :

C’est la consolidation de bastions électoraux comme l’État de Mexico. La région qui entoure la capitale est la plus peuplée du pays et ses quinze millions d’habitants sont gouvernés par le PRI depuis un siècle ! À quelques jours du scrutin, Peña y a réuni environ 20 000 personnes dans la ville de Tecámac sous des tentes géantes. Le candidat est ici en terrain conquis. Un centre commercial, des alignements infinis de pavillons aux couleurs délavées et des routes tracées à la va-vite, Tecámac est l’emblème de la cité dortoir de l’État de Mexico.

María Guadalupe habite cette cité artificiellement agrandie par les stratèges électoraux du parti pour se constituer des armées d’électeurs. Rencontrée au hasard dans la foule, elle raconte : « On nous a fait venir de Mexico pour emménager dans une maison Géo, il y a quelques années ». Elle est sans emploi et constate bien « qu’ici, il n’y a pas d’activité économique ». Mais cela n’affecte pas son enthousiasme pour le PRI. Avec quatre amies, elle est venue applaudir Peña.

Après une demi-heure de discours centrée sur le pouvoir d’achat, Enrique Peña Nieto clôt son meeting par sa désormais traditionnelle « signature d’engagements devant notaire ». Un geste imparable pour redorer le blason des hommes politiques mexicains. Sur la tribune, l’équipe installe des panneaux en carton à la va-vite. À l’aide d’un gros feutre, le candidat lit puis signe les cinq promesses qu’il s’engage à tenir en cas de victoire : « la création d’une université du troisième âge, d’un centre pour malvoyants, la rénovation des infrastructures d’accès à l’eau, la construction d’un pont et d’un centre sportif pour la ville ». La mise en scène semble marcher auprès de María Guadalupe : « le PRI, c’est le changement. Le PAN ne nous a apporté que du chômage tandis que Peña lui, tient ses promesses ».

Un peu plus loin, nous croisons un autre groupe de femmes – majoritaires dans l’assistance – qui tirent un bilan positif du mandat de Peña comme gouverneur local. « Il a soutenu les femmes en nous offrant régulièrement des denrées alimentaires de base, des aides aux personnes âgées. » Verónica Martínez apprécie les 2 500 pesos (138 euros) que les autorités locales lui versent en 5 fois au titre « d’appui à l’économie familiale ».

Pour mobiliser ses armées d’électeurs, les camions du PRI distribuent également des bibelots à l’approche de l’élection. Employée à Mexico, mais habitante de la périphérie de la ville sous contrôle du PRI, Araceli a eu droit à « un panier garni avec de l’huile, des haricots, du riz ; un sac à main, des verres et des t-shirts », se réjouit-elle, tout en assurant qu’elle n’ira pas voter car « ce sont tous les mêmes ».

Si les distributions de cadeaux sont monnaie courante à l’approche des élections, les partis de droite et de gauche ont déposé une série de plaintes contre le Parti révolutionnaire institutionnel pour utilisation des ressources publiques à des fins de propagandes électorale. Exemple à Veracruz où une vidéo amateur a révélé le stockage de milliers de paquets de vivres estampillés aux couleurs du PRI dans un entrepôt du ministère de l’Éducation du gouvernement de l’État. Pire, les autorités électorales enquêtent sur une éventuelle répartition de 70 millions de pesos (3,9 millions d’euros) par le PRI via des porte-monnaie électroniques le jour de l’élection. Mais la consolidation électorale du PRI ne tient pas seulement à quelques cadeaux distribués de-ci de-là.

Le deuxième temps de la reconquête électorale :

C’est celui de la mobilisation de réseaux tentaculaires tissés dans les différents corps de métiers durant les 71 années de pouvoir. Jenaro Villamil, journaliste d’investigation et auteur de Si yo fuera presidente, une enquête sur le candidat du PRI, rappelle que « le nouveau PRI n’existe pas, car le parti ne s’est jamais refondé. C’est toujours le même parti corporatiste, qui a recours au clientélisme électorale et à un militantisme bien peu spontané ».

Vieille pratique du pouvoir mexicain visant à canaliser les velléités insurrectionnelles, la confusion totale entre certains syndicats et les partis politiques, bien connue des Mexicains sous l’expression charrismo sindical, est encore observable. Les pancartes d’organisations comme la Confederación nacional campesina où la Confederación nacional de trabajadores sont présentes dans les meetings du Parti. À ce titre, la rencontre entre le candidat du PRI et le syndicat des travailleurs du métro à Mexico, le 20 juin, a donné à voir ce que furent les grandes heures du parti unique. Réunis en meeting dans la salle de spectacle du syndicat, les employés du métro de Mexico l’affirment sans honte : « Ici, nous sommes tous rouges », en référence à la couleur souvent arborée par les membres du Parti révolutionnaire institutionnel.

La veille, Peña Nieto était le seul candidat à avoir refusé de participer au débat présidentiel organisé par les étudiants mexicains indignés. Fuyant des contradicteurs qui l’ont mis plusieurs fois en difficulté, le candidat a préféré un confortable meeting avec des organisations amies. Avec le syndicat des employés du métro, pas de risque : le dirigeant de la corporation, Fernando Espino est également député du Parti révolutionnaire institutionnel.

Après une heure de vivas patriotiques assourdissants et d’appels à voter pour le candidat du PRI qualifié de « d’homme intègre, au service de la patrie », le candidat arrive enfin. Sur la tribune, aux côtés d’une quinzaine d’autres dirigeants de « syndicats », il répète les mesures qu’il a déclinées tout au long de sa campagne. Baisse du prix de l’énergie, création d’un système de sécurité sociale à 4 branches, augmentation de la couverture éducative, ouverture des écoles à temps complet, accès gratuit aux médicaments… Les mesures font mouche auprès d’un électorat précarisé. En matière de sécurité, le candidat s’engage à améliorer la formation des policiers, à créer un corps militaire sous contrôle civil (gendarmerie) et à améliorer la situation des prisons, qui protègent et forment les narcotrafiquants plus qu’elles ne les réinsèrent.

Troisième temps de la reconquête :

Le PRI a complèté sa stratégie électorale à grand renfort de publicité. Un rouleau compresseur médiatique a été piloté avec le premier groupe audiovisuel du pays, Televisa. C’est l’originalité de cette campagne, comme l’explique le journaliste Jenaro Villamil à Mediapart : « Peña Nieto et ses conseillers ont jugé que l’investissement millionnaire dans le marketing télévisé, notamment sur les chaînes du groupe Televisa, qui atteint 98 % des foyers mexicains, garantiraient sa popularité. »

La raison de cette entente ? La garantie pour le premier groupe audiovisuel latino-américain de conserver son quasi monopole. Televisa met ses 639 millions de dollars de bénéfices annuels dans la balance pour juger lequel des candidats sera le mieux à même de conserver une loi de régulation des médias qui lui est actuellement favorable. Jenaro Villamil rappelle que « Televisa a été créée la même année que le PRI, en 1946, sous le nom de Telesistema Mexicano. À partir de la crise de ce parti, en 1997, la chaîne a misé sur le candidat de la droite, Vicente Fox, qui a gagné. Résultat : en 12 ans de pouvoir du PAN, le monopole de Televisa est resté inchangé ».

Révélée par l’hebdomadaire d’investigation Proceso et corroborée par le quotidien britannique The Guardian, l’entente entre Televisa et Peña a consisté en un traitement de faveur insidieux dans les journaux télévisés du groupe. Ainsi, entre les talk-shows vulgaires, des programmes sportifs et des séries à l’eau de rose, Televisa a systématiquement présenté le candidat du PRI comme étant le meilleur candidat, à travers des publi-reportages. Coût de l’entente pour le Parti : 36 millions de dollars, selon un document interne révélé par The Guardian.

Ce martèlement médiatique fera-t-il son effet sur les électeurs ? Les stratèges du Parti révolutionnaire institutionnel n’avaient pas prévu l’irruption improvisée des étudiants mexicains ulcérés par la partialité des médias. À quelques jours de l’élection, ils manifestaient encore au pied des studios de Televisa pour réclamer la démocratisation de l’audiovisuel, la généralisation de l’accès à Internet – au contenu par définition plus difficile à contrôler –, et pour rappeler l’inquiétant bilan que traîne Peña en matière droits de l’homme. Il a notamment assumé d’avoir envoyé la troupe pour réprimer un mouvement social à San Salvador Atenco, en 2006. Bilan : des dizaines de femmes violées par la police militarisée et des arrestations arbitraires.

C’est ce bilan qui préoccupe les étudiants politisés et inquiets des risques d’un retour au pouvoir du PRI, comme l’explique ce montage d’archives projeté sur les murs de Televisa, lors d’une manifestation :

La mobilisation étudiante a sérieusement infléchi les courbes des sondages, qui plaçaient Enrique Peña Nieto loin devant la candidate de la droite. À quelques jours de l’élection, Andrés Manuel López Obrador, déclaré perdant en 2006, par moins de 300 000 voix de différence face à Felipe Calderón, reprend également des forces et veut croire en la mobilisation qu’il mène depuis six ans.

« La grande question est de savoir si le mouvement des étudiants qui s’est étendu à tout le pays aura un effet dans les urnes », s’interroge Silvia Bolos, spécialiste des mouvements sociaux à l’Université ibéroaméricaine de Mexico, où a éclaté la contestation. « En Espagne, l’énorme mobilisation sociale du 15 M n’a pas empêché la victoire de la droite », note-t-il. Les jeunes de Yo Soy 132 ont été le seul grain de sable de cette campagne dominée par le PRI. Et ils demeureront sans doute très encombrants pour le PRI si son candidat accède à la présidence.

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