Édition du 23 avril 2024

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Uranium

Moratoire sur l’uranium au Québec : un BAPE mal parti

Suivi et commentaires concernant le rapport commandé par le ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs du Québec et du ministère des Ressources naturelles du Québec : « Étude sur l’état des connaissances, les impacts et les mesures d’atténuation de l’exploration et de l’exploitation des gisements d’uranium sur le territoire québécois ». Les CentricoisES et MauricienNEs pour le déclassement nucléaire considèrent ce rapport incomplet et inquiétant pour entamer un dialogue sur le sort de l’uranium au Québec.

Scientifique et technologique

 On nous présente ce rapport comme des faits alors qu’il aurait dû mettre en lumière d’autres études qui nuancent et même contredisent les propos rapportés par les auteurs de ce rapport.

 Force est d’admettre que la MAÎTRISE scientifique et humaine de l’ensemble de la filière uranifère n’est pas au rendez-vous. Les auteurs semblent se défiler sur ce fait indéniable. Le réacteur Candu cité dans le document, n’est pas sans vice de conception et encore moins exemplaire. Au contraire, certains pays le rejettent dû, entre autres, à ses émissions de tritium trop élevées ainsi qu’à son défaut de conception pouvant mener à l’emballement du cœur du réacteur et à sa fonte. Des fuites et des accidents sérieux sont répertoriés sur une base régulière.

 Il n’y a aucune considération de l’effet Petkau découvert par un scientifique travaillant pour Énergie atomique du Canada ltée. Ni aucune mention de l’académie des sciences des États-Unis en lien avec Bier-VII. Les deux analyse et critique la notion de doses « acceptables » de radiations additionnelles.

 Nous stimons que le mandat et la présentation du rapport sont restreints et biaisés : « (…) vue d’ensemble de l’industrie minérale associées à l’uranium au Québec. La chaine industrielle québécoise associée à l’uranium est ensuite décrite. Par contre, les applications civiles de la filière uranifère, ainsi que le stockage des résidus radioactifs issus de réacteurs destinés à produire de l’énergie ou des radio-isotopes à usages médicaux ou industriels, ne sont pas abordées. »

La gestion des déchets ; sous-développement durable : de l’extraction à la gestion des déchets nucléaires

Dans le rapport on y lit que pour la centrale nucléaire Gentilly-2, « le stockage final des déchets radioactifs de la filière reste à être déterminé. » On ne sait même pas où mettre les déchets actuels de Gentilly-2. Dans les années 2000, un BAPE s’est tenu sur l’entreposage à sec des déchets radioactifs, sur le site de la centrale nucléaire Gentilly-2. Le BAPE a demandé que l’on trouve une solution à long terme pour leur gestion. Nous sommes en 2014 et la solution se fait toujours attendre.

« Il faut traiter l’eau du site d’exploitation afin d’en retirer les radionucléides » ; existe-t-il une technologie capable de filtrer toute la radiation et les différents radionucléides ?

Pourquoi n’aborde-t-on pas les territoires qui seront condamnés pour des millénaires et l’ampleur des impacts associés aux mines d’uranium. Il n’est toujours pas possible sur une base scientifique et empirique de restaurer une mine d’uranium à son état naturel. Quel montant RÉEL d’argent, une minière devrait-elle mettre en garantie, pour assurer une gestion TOTALE pour des millénaires ? Les auteurs du rapport ne font seulement mention qu’ « un « permis de déclassement » délivré par la CCSN est nécessaire pour fermer une mine d’uranium. » Nous ne sommes même pas en mesure de gérer les dégâts et les différentes catastrophes passées, présentes et à venir causés par l’uranium. Pourquoi en rajouter ?

Il n’y a aucun souci de présenter les alternatives énergétiques, médicales et guerrières à la filière uranifère. Que l’on pense aux cyclotrons pour les isotopes médicaux ou aux bombes biodégradables des Américains. Tant qu’à commettre un massacre, un ethnocide ou un génocide, faisons ça propre et limitons les dégâts futurs.

La notion de MORATOIRE brille par son absence. Le rapport se garde bien d’aborder la question, et la nécessité selon nous, d’un moratoire sur l’uranium pourtant bien réel dans d’autres provinces, états américains et territoires. La Virginie par exemple, a reconduit son moratoire en s’appuyant, entre autre, sur l’Académie des sciences des États-Unis. Le rapport commandé par le BAPE manque de professionnalisme et même de respect en ne soulevant pas l’opposition de municipalités, de premières nations, d’organismes et d’une pluralité de citoyens au travers la province. L’opposition de plus en plus importante de la population et l’absence d’acceptabilité sociale ne sont pas abordées. La question pour une majorité n’est pas de savoir COMMENT exploiter, mais COMMENT faire respecter les moratoires formels et informels déjà en places. Nous pensons entre autre, au moratoire permanent décrété par la nation Cri de la Baie-James en territoire Eeyou Etschee(Baie-James). Les Cris ne sont pas imputables au BAPE. L’État québécois a instauré le COMEX auprès de différentes communautés nordiques. Néanmoins, le COMEX n’est pas au-dessus des droits ancestraux et encore moins du droit à la vie.

Le BAPE est pour nous un outil supplémentaire pour institutionnaliser et actualiser au niveau provincial un moratoire sur l’ensemble de la filière uranifère. La firme que le BAPE a mandatée pour ce rapport « préliminaire » a comme pour objectif « la diversification de l’exploration au Québec ». Nous ne devons pas seulement critiquer DIVEX et ses auteurs, de simples messagers, mais surtout l’agence publique du BAPE et les individus derrière ce choix pour initier le dialogue avec les citoyennes et les citoyens. Les audiences publiques commencent sur bien une mauvaise note.

Le complexe militaro-industriel

Alors qu’on fait référence rapidement aux États-Unis en ce qui concerne l’armement, l’aspect militaire canadien et québécois brille par son absence dans ce rapport. Le Québec et le Canada ont une feuille de route très sombre et cela doit être pris en considération. Que l’on pense au support du Canada dans le développement de la bombe atomique à Montréal et de l’uranium canadien quelle contenait. L’uranium canadien est utilisé par les réacteurs canadiens Candus, réputés d’être la meilleure technologie pour développer l’arsenal militaire nucléaire. Que l’on pense à la bombe nucléaire pakistanaise ou indienne, il y a aussi du Canadien là-dedans. Pourquoi n’aborde-t-on pas l’utilisation massive de l’uranium appauvri et des nombreuses victimes tant au niveau des soldats que des populations locales. Le gouvernement canadien ne nie pas avoir pu transporter de tel armement durant la guerre en Irak. L’armée canadienne admet au moins un cas de soldat qui fut contaminé lors des hostilités de la guerre du Golfe. Le Canada exporte des déchets aux États-Unis pouvant servir à l’armement. L’État canadien a repris ses exportations d’uranium et de technologies nucléaires avec l’Inde et la Chine, délinquants nucléaires notoires. Puisque le rapport n’aborde que les États-Unis, j’aimerais rappeler aux auteurs qu’une bombe nucléaire fut larguée au-dessus du Québec durant la Seconde Guerre mondiale par les forces armées américaines. De la mine à la pluie radioactive, il n’y a qu’un pas que l’« humanerie » franchit trop souvent.

L’indépendance des institutions de régulations et de sécurité

Avant d’introduire la problématique des agences de régulations nucléaires, j’aimerais aborder en premier lieu le Bureau des audiences publiques sur l’environnement. Bien qu’il ne régule rien ; il détient une certaine autorité morale au sein de la culture québécoise et des politiques institutionnelles qui en découlent. Nous considérons amoral et non scientifique que d’entamer un dialogue sur la base d’un document produit par l’industrie. Le réseau d’innovation DIVEX (Diversification de l’exploration au Québec) et ses chercheurs ne sont pas neutres. On est en droit de se demander si le président du BAPE ne cherche pas à se dénicher un futur boulot au sein de l’industrie minière tout comme l’a fait son prédécesseur Pierre Renaud au sein de Mine Arnaud. Présentement l’industrie minière, par l’entremise de Strateco, vient d’investir 30 millions pour poursuivre et poursuivre encore et encore le gouvernement du Québec. Ne s’agit-il pas d’un bâillons institutionnels, une forme de SLAPP (strategic lawsuit against public participation) à l’endroit d’une démocratie représentative ? Les citoyens et contribuables québécois doivent payer en temps et argent cette forme d’acharnement et d’intimidation économique.

Les CentricoisES et MauricienNEs pour le déclassement nucléaire dénoncent depuis quelques années le manque d’impartialité de la Commission canadienne de sureté nucléaire. Le gouvernement conservateur fait la promotion de l’industrie nucléaire, tant au niveau des mines que des réacteurs nucléaires de type Candu. Il s’est ingéré dans la CCSN en renvoyant Lynda Keen, l’ancienne présidente. Lorsque des questions devenaient trop pointues, je pense ici aux échanges entre l’ingénieur Michel Duguay et le président de la CCSN, ce dernier devait se référer non pas à ses spécialistes, mais à SNC-Lavalin, maintenant propriétaire d’Énergie Atomique du Canada. Lynda Keen accuse d’ailleurs SNC-Lavalin d’être l’instigateur de son renvoi. Nous croyons que la vente et la privatisation d’Énergie atomique Canada ltée à la firme SNC-Lavalin renforcera l’insécurité nucléaire tant au niveau local que global. Cette firme, déjà très active au sein de l’industrie militaire, fut accusée à de nombreuses reprises de malversations et de complicités avec des régimes dictatoriaux. Peut-on s’inquiéter qu’elle détienne le brevet de la technologie nucléaire Candu ? La CCSN se targue de respecter les règles de l’Agence d’énergie atomique internationale et de l’Organisation mondiale de la santé. Pourtant l’AEIA est sous le joug de l’industrie et représente un puissant lobby qui a su museler l’OMS quand aux études des impacts du nucléaire sur la santé humaine.

Des suites de la catastrophe nucléaire de Fukushima, la première recommandation et la principale critique relevaient de l’indépendance des institutions. Indépendance des influences politiques et de l’industrie. Le Canada n’a pas encore fait le ménage et il appert davantage qu’il y a régression. Comment alors assurer la sécurité de la population si les diverses agences de régulations sont contaminées par les jeux d’influences ? Les diverses instances de régulations sont-elles indépendantes, impartiales, ont-elles toute l’information et les moyens nécessaires pour assurer une sécurité pleine et entière à l’ensemble de la population ? Nous remettons en cause la légitimité de la CCSN pour surveiller la conformité nucléaire « du berceau au tombeau ».

L’heure n’est pas de légitimer l’ « exploitation uranifère », mais de judiciariser les crimes contre l’humanité et de réparer les torts causés aux nombreuses victimes de l’ère nucléaire. L’exploration, l’exploitation, la transformation, la contamination et l’explosion de l’uranium ne sont pas du développement soutenable pour l’humain et la planète. Les institutions de régulation ; CCSN, AIEA, OMS sont davantage complices de l’industrie que polices.

Conclusion

La première lecture du rapport nous donne l’impression d’une présentation de l’industrie minière au ministre des Finances du Québec. Ce rapport préliminaire afin d’entamer le processus démocratique d’un BAPE n’est pas à la hauteur de nos attentes. S’il a pour but d’éclairer sur la filière uranifère, nous considérons par son silence sur de nombreux faits, qu’il obscurcit davantage l’ensemble de la réalité. Le rapport est beaucoup trop restreint, partial et omet de nombreuses réalités associées à la filière uranifère. Il nous apparaît même inquiétant d’entamer les audiences publiques sur la base d’un tel document. Nous remettons en cause la rigueur et la partialité des audiences à venir.

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