Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Éducation

Montréal, 19 mai 2012

Nous sommes le peuple. Et le peuple s'en souviendra !

Nous ne parlerons pas ici des origines de la rage estudiantine, ni de la colère de la jeunesse québécoise, ni de la violence des non-violents. Parlons plutôt d’individus, de circonstances, de contextes. Parce qu’un zoom avant est nécessaire, parce qu’il faut parfois mettre l’oeil au microscope pour comprendre l’évolution du cancer.

À 00h25, la manifestation nocturne du 16 mai contre la loi spéciale du gouvernement libéral a été déclarée illégale, coin Sainte-Catherine et Drummond. La foule comportant plusieurs milliers de manifestants a été divisée en trois groupes plutôt massifs. Le scindement par intervention policière à grands coups de bombes assourdissantes aura encore une fois créé un fouillis total, un désordre terrible duquel a découlé l’exacerbation des violences.

La manifestation étant devenue illégale, certains contestataires se sont effectivement dispersés, prenant la décision de s’éloigner des attroupements « délictuels ». Le rassemblement principal loin derrière, une mince trainée d’essoufflés s’en allaient sur le trottoir, retournant à leur domicile. Un chasseur déterminé aurait eu du mal à retrouver le troupeau. Nous parlons ici de deux personnes, derrière une personne qui était devant trois personnes, et ainsi de suite, avec plusieurs mètres d’espace entre chacune des unités isolées. À environ 500 mètres des troupes rouges, la « police politique » se plante au coin Sherbrooke et McGill. Simplement, elle bloque le passage. Patiemment, nous attendons. Logiquement, les déserteurs s’agglutinent à l’intersection.

« Où allons-nous ? Comment rejoindre l’autobus de nuit de Saint-Denis si toutes les issues vers l’est sont bloquées par la police qui nous ordonne pourtant de nous disperser ? » Un instant passe. Un jeune homme décide de traverser la rue en direction nord pour contourner le barrage. On entend les cris, les bottes, les matraques, les boucliers, la clôture, les poules. On entend la machine, on entend l’homme, et ça grince. Ça grince des dents. L’arbitre est vendu. Et c’est ainsi que l’escouade antiémeute charge sans raison sur une poignée de marcheurs fatigués tentant de rentrer chez eux à un demi kilomètre de la manifestation.

Pourquoi ? Parce que. Parce qu’il fallait pas manifester. Parce que c’est la loi. Parce que vous êtes violent. Pourquoi ? Parce que vous auriez dû y penser avant. Essaie de sortir voir. Parce qu’on fait notre job. Pour votre sécurité. Envoye, sort voir c’qui arrive. Pourquoi ? Parce qu’on a des menottes à écouler. Parce qu’on a un chiffre à donner à notre chef. Parce que notre chef a un chiffre à donner aux médias. Parce que les médias ont un chiffre à donner à la population. Parce que le gouvernement manipule la population avec des chiffres. Pourquoi ? Pour régner...

Un homme parle dans un haut-parleur. Il nous accuse d’attroupement illégal. Nous l’accusons aujourd’hui d’avoir provoqué cet encombrement. (1) Soit la police ne s’est pas rendu compte que son barrage empêchait les manifestants de rentrer chez eux. (2) Soit tout cela était sciemment orchestré dans le but d’atteindre un quota d’arrestations. À la première hypothèse, nous pouvons dire qu’il est difficile, le travail du policier. De toujours avoir à prendre les bonnes décisions sur le « fly » tout en préservant une image respectable aux yeux de la population est certes très délicat, nous en conviendrons. Mais puisque ce texte est léonin de toute manière, nous répondons que ce n’est pas notre problème. Qu’à faute soit octroyée correction. Le matraquage, l’intimidation et la terreur, même lorsqu’il ne s’agit que d’une erreur, sont lourds de conséquences.

La seconde hypothèse fait office de pointe à l’iceberg. La possibilité d’une telle manipulation laisse poindre l’odeur de pourriture qui émane de nos institutions. Que l’on en vienne à instrumentaliser la violence et la répression dans une campagne médiatique est une chose. Que ce capital médiatique s’acquiert sur le dos de la jeunesse en est une autre. Le lendemain, la centaine d’arrestations annoncée par les médias ont tôt fait d’obscurcir le projet de loi spéciale : pire encore, on s’est même servi du bilan de la soirée à l’Assemblée nationale pour justifier la nécessité de l’adoption du PL78. Inversement, dans les journaux du jeudi 17 mai, pas une crisse de ligne sur la stratégie tout à fait arbitraire déployée par le SPVM avec laquelle une centaine d’innocents pacifiques ont pris le blâme pour le bris de 5 vitrines de banque.

N’étions-nous pas innocents jusqu’à preuve du contraire ? C’est drôle, vos menottes en "tie-wrap" communiquent le contraire à nos poignets, et les numéros d’identification que vous nous attribuez nous font rire. C’est pour défendre l’humanité que vous tentez de nous aliéner en nous traitant comme de vulgaires criminels que nous rions. Malgré tout, le calme et la bonne humeur s’installent rapidement. Nous ne clamons même pas notre innocence, nous n’en parlons même pas. Notre présence dans cet autobus de la STM converti en panier à salade n’est que trop absurde. Seuls nos yeux vitreux trahissent nos pensées. Le débarquement, l’identification, la contravention et les photos coulent sur nous comme de l’eau sur un canard. La rage, par contre, nous la conservons silencieusement pour la prochaine occasion.

Nous en sortons quand même souillés d’avoir été utilisés. Exemplarisés. Instrumentalisés. Nous ne sommes pas des criminels. Nous ne sommes pas des numéros. Nous ne sommes pas les hommes de paille que vous tentez d’agiter au visage du peuple pour justifier la Loi et l’Ordre que vous avez à lui vendre.

Non. Nous sommes le peuple. Et le peuple s’en souviendra.

Pier-Louis Dagenais-Savard, numéro 108

Pier-Philippe Chevigny, numéro 120

membres de l’Association étudiante d’études cinématographiques de l’Université de Montréal (AEECUM).

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