Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le mouvement des femmes dans le monde

On ne nait pas lesbienne, on le devient : La construction d'une sexualité

Interview de Paula Dumont par Francine Sporenda.

Paula Dumont, Docteure ès-Lettres, a été professeure de Lettres. Elle est l’autrice de l’une des rares autobiographies de lesbiennes, « Mauvais genre » et « La Vie dure ». Elle a également publié « Lettre à une amie hétéro, propos sur l’homophobie ordinaire », un essai philosophique « Le Règne des femmes », un essai littéraire « Les convictions de Colette », un recueil de textes brefs « Contes et nouvelles lesbiennes », un roman « Les premiers pas », « Portée disparue, aller simple pour Alzheimer » et « Autobiographie, féminisme, homosexualité, écriture, milieu social, profession ». Enfin, dans « Entre femmes », elle a consacré quatre volumes à la recension de mille œuvres lesbiennes qu’elle a résumées et commentées. Féministe, elle milite pour l’égalité des droits des LGBT.

Tiré de Entre les lignes et les mots
FS : Vous êtes lesbienne exclusive et vous dites avoir écrit votre livre « Mauvais genre » pour comprendre comment votre sexualité s’est construite. En même temps, vous dites avoir toujours été attirée par les femmes. N’y a-t-il pas contradiction ? Certains homosexuels prétendent que l’homosexualité est innée, qu’en pensez-vous (un de mes étudiants américains, Chandler Burr, a écrit un livre soutenant cette thèse) ?

PD : Je dois tout d’abord vous dire que, si « Mauvais Genre » est le premier volume que j’ai publié, je l’ai écrit des années après « Les premiers pas » et « La vie dure » : j’avais rédigé le premier à trente ans et le second une quinzaine d’années plus tard. Autant il m’avait été facile de raconter longuement les débuts chaotiques de ma vie sentimentale, autant je répugnais à réfléchir sur mon enfance et mon adolescence tant ces souvenirs m’étaient douloureux. Encouragée par des amies, j’ai fini par y parvenir au moment où j’ai pris ma retraite, à soixante ans, l’euphorie dans laquelle j’ai vécu ma liberté retrouvée m’ayant facilité la tâche.

Jusque-là, j’avais affirmé que mon homosexualité ne faisait du mal à personne donc que je n’avais pas à m’en justifier et que si je n’avais pas d’enfant comme la plupart des autres femmes, je n’avais pas à m’en inquiéter, la planète n’étant pas en voie de dépeuplement. J’ajoutais même qu’étant donné la surpopulation, c’est aux personnes sans enfant qu’on devrait verser des allocations familiales. Comme quoi j’étais très en avance sur les préoccupations actuelles ! Pour répondre à votre question, c’est l’adverbe toujours qui demande à être nuancé. La première fois que j’ai éprouvé une violente passion pour une femme, mon institutrice de CE2, j’avais sept ans. Dans « Mauvais Genre », j’ai traité de mon homosexualité et de mon genre androgyne en essayant de saisir ce qui pouvait en être la cause. En voici un résumé succinct. Mes parents, qui attendaient un garçon, ont été déçus à ma naissance en découvrant que je n’étais « qu’une fille ». A neuf mois, j’ai été séparée de ma mère, hospitalisée à la suite de graves troubles mentaux, séparation que j’ai vécue vraisemblablement comme un abandon. Par ailleurs, ma mère, qui croyait à l’hérédité et qui craignait de m’avoir transmis sa maladie, m’incitait à m’identifier à mon père. Elle aimait davantage mon père que moi donc il est possible que j’aie voulu prendre une apparence masculine pour me faire aimer d’elle. Je n’ignore pas que des homosexuels sont du même avis que votre étudiant américain. Je pense que c’est pour une raison très simple : si on peut prouver que l’homosexualité est innée, il sera impossible de la décréter hors nature. Pour ma part, je suis persuadée que, dans un monde idéal, où garçons et filles seraient socialisés de la même manière, nous serions toutes et tous bisexuels c’est-à-dire attirés indifféremment par des personnes séduisantes et non limités à l’hétérosexualité ou à l’homosexualité.

FS : Comme Marie-Jo Bonnet, vous refusez la maternité. Pourquoi ?

PD : Mon refus de la maternité est lié étroitement aux causes de mon homosexualité. Quand j’avais quatre ans, ma mère a subi une césarienne pour mettre au monde un petit garçon mort. Je pense avoir vécu ce décès dans la culpabilité car, pendant la grossesse de ma mère, je me suis sans doute sentie menacée de perdre ma position d’enfant unique. En outre, ma mère, après avoir échappé elle-même à la mort, a mis beaucoup de temps à se rétablir. Là encore, j’ai dû vivre dans la culpabilité sa longue hospitalisation et le décès de ce frère qu’il m’a fallu remplacer, d’où mon aspect androgyne. Ce qui me conforte dans cette hypothèse, c’est que mon père m’a acheté un short pendant cette hospitalisation, alors qu’auparavant je n’avais porté que des vêtements féminins.

Cette énorme culpabilité, avoir mis en péril la vie de ma mère et avoir tué mon frère, m’a fait considérer la maternité comme dangereuse, voire mortifère. Après une telle tragédie, il était impensable que je prenne le risque d’être enceinte, donc de mourir à mon tour, alors que mes parents, dont j’étais vouée à être l’unique enfant, craignaient constamment qu’il m’arrive malheur. Quand j’ai lu la biographie de Marguerite Yourcenar, qui a perdu sa mère dix-huit jours après sa naissance, j’ai appris qu’elle avait la maternité en horreur, au point de refuser de s’asseoir auprès d’une femme enceinte. Contrairement à elle, je n’ai rien contre la maternité des autres femmes. J’aurais même pu, si l’occasion s’en était présentée, élever avec bonheur un enfant en compagnie de sa mère biologique. Une de mes amies affirme que j’aime les enfants « tout faits » ! J’ajoute enfin que, quand j’ai présenté mon livre devant des lesbiennes et des gays, certaines et certains d’entre eux m’ont raconté des histoires d’enfants morts semblables à la mienne. Toutefois, il faut se garder de généraliser : de nombreuses lesbiennes veulent être mères. C’est assez dire qu’il y a des homosexualités, comme des hétérosexualités, qui ont sans aucun doute des causes très variées.

FS : Vous racontez que, lorsque vous avez découvert les contes de fées –Blanche Neige, Cendrillon etc. – vous vous êtes identifiée au personnage du prince, et pas à celui de la princesse. Pourquoi ?

PD : Aujourd’hui encore, je me demande vraiment comment des fillettes peuvent s’identifier à Cendrillon, à la Belle au Bois-dormant ou à Grisélidis. Ces histoires mettent au premier plan des personnages féminins qui sont des potiches, des demeurées, des faire-valoir des personnages masculins. Ceux-ci agissent, se démènent, vous font vivre par procuration des épisodes passionnants si bien qu’on suit leurs aventures avec intérêt. La même remarque est valable pour les westerns que j’aimais beaucoup regarder quand j’étais enfant. Je trouve compréhensible cette identification à ces héros tout en n’ayant que mépris pour la godiche qu’ils épousaient à la fin de l’histoire. Conscients de ce regrettable phénomène, des auteurs ont créé, depuis ces temps obscurs, des héroïnes nettement plus positives, de Mimi Cracra, petite fille hardie, curieuse et pleine d’imagination à Mafalda qui rêve de devenir haut fonctionnaire au niveau international afin de changer le monde.

FS : Il vous est arrivé, dites-vous, de ressentir des désirs sexuels envers des hommes – un certain type d’hommes – mais vous n’avez pas donné suite, parce que vous sentiez que vous seriez « baisée » et qu’il vous faudrait donner des signes de soumission. Les rapports sexuels hétéros sont-ils selon vous inséparables d’une situation de soumission pour les femmes ?

PD : Au début de mon adolescence, quelques élèves de ma classe m’ont fait comprendre qu’ils me trouvaient à leur goût. C’étaient des garçons agréables à regarder, sympathiques et cultivés. Mais j’ai très vite été consciente qu’ils ne me traitaient pas en égale. Par ailleurs, j’entendais constamment dans la bouche des tous les hommes de mon entourage des propos d’une telle misogynie que mes velléités d’hétérosexualité, très superficielles, ont été tuées dans l’œuf. Ce n’était qu’une simple attirance physique faite sans doute aussi d’une certaine curiosité, contrairement à ce que j’ai recherché tout au long de mon existence auprès de certaines femmes. J’ai très vite compris, grâce aux confidences de mes amies hétéros que j’avais eu raison de ne pas donner suite à cette impulsion. J’ajoute qu’en 1960, les rapports hétérosexuels étaient à haut risque pour les filles. A cette époque, tomber enceinte, surtout à quatorze ou quinze ans, était dramatique. Une de mes amies qui s’est trouvée dans ce cas, a été emmenée en Suisse par sa mère (catholique pratiquante !) pour subir un avortement. Sa famille, scandalisée par cet événement, l’a ensuite fait interner en hôpital psychiatrique. Pour en revenir à mon cas, j’ai rencontré en première année de faculté, un garçon gay qui m’a proposé de m’épouser. Nous aurions fait un mariage blanc. J’ai refusé sans hésiter parce que je voyais tout ce que j’avais à perdre dans ce type d’association. Je serais devenue la domestique d’un homme comme toutes les femmes mariées de mon entourage, qu’elles aient un métier ou non.

FS : Vous dites que toutes vos histoires avec des femmes ont été des histoires d’amour. Les femmes sont socialisées à ne pas séparer le sexe de l’amour, sauf à être stigmatisées comme « traînées ». Pensez-vous que cette socialisation a pu jouer un rôle dans cette non-séparation amour-sexe chez vous ?

PD : Sans aucun doute. L’éducation que j’ai reçue depuis ma naissance se faisait dans la négation du corps, le sexe étant ignoré ou considéré comme sale et honteux alors qu’on photographiait mes cousins âgés de quelques mois entièrement nus parce que leurs parents étaient très fiers d’avoir mis au monde un petit mâle, comme s’ils avaient un royaume à lui donner en héritage. A la fin de ma « Lettre à une amie hétéro », je compare mon vécu à celui de Didier Eribon que j’ai découvert dans son livre autobiographique, « Retour à Reims ». Nous sommes de la même génération (Eribon à sept ans de moins que moi) et tous deux des enfants de pauvres. Or ce qui nous distingue, c’est qu’Eribon ne ressent son attirance pour un garçon que vers treize ou quatorze ans, attirance sur laquelle il n’arrive pas mettre le mot juste car il lui semble qu’aimer un autre garçon lui fera perdre sa virilité. A dix-sept ans, il découvre l’exutoire des lieux de drague alors qu’à son âge, je vis des amours platoniques avec les refoulements qui les accompagnent. On tolère donc pour les gays des lieux où ils sont réduits à leur sexualité alors que la sexualité des lesbiennes n’existe socialement que dans la pornographie, récupérée pour le plaisir des hommes hétérosexuels. Autant dire que cette sexualité n’existe pas. La majorité des femmes de ma génération, homo et hétérosexuelles, ont vécu cette excision mentale et je ne suis pas certaine qu’il y ait beaucoup d’amélioration dans ce domaine pour les filles de la jeune génération qui couchent plus tôt que leurs mères, non par désir, mais pour faire comme leurs copines. Malgré les progrès en matière de contraception, une femme qui collectionne les amants est toujours aussi mal considérée.

Pour en revenir à mon cas, ce qui était vital pour moi, c’était de trouver une mère de substitution. Si je n’avais jamais entendu parler d’amour, j’aurais pu inventer ce sentiment alors que je ne suis pas certaine que j’aurais inventé la sexualité. Je signale que les lesbiennes me sont restées invisibles jusqu’à mes vingt-six ans et je ne suis pas la seule femme à avoir vécu une telle expérience : une amie de mon âge, née et ayant grandi à Montpellier et ayant continué ses études à Paris, a, elle aussi, rencontré une lesbienne affirmée au même âge que moi. Mon initiation à la sexualité s’est donc faite très tard par la force des choses, ce qui ne peut pas ne pas être sans conséquence. Je suppose que si j’étais adolescente aujourd’hui, je saurais très tôt par les réseaux sociaux que je ne suis pas seule de mon espèce, je me rendrais dans des lieux de drague lesbiens, j’y ferais petit à petit mon apprentissage sensuel et sexuel auprès de plusieurs jeunes femmes au lieu de m’éprendre sottement de la première venue, ce qui m’éviterait bien des souffrances et des déconvenues.

FS : Pour les hommes hétérosexuels lambda, la sexualité lesbienne est incompréhensible : « il n’y a pas de pénis, alors qu’est-ce qu’elles peuvent bien faire entre elles ? » : pas de pénis, pas de sexualité. Vos commentaires ?

PD : J’ai souvent entendu des hommes se poser de telles questions. Je crois d’ailleurs que le film « La Vie d’Adèle » est une méditation sur le plaisir féminin. Tant qu’on élèvera garçons et filles dans l’idée que les deux sexes sont complémentaires, les hommes seront persuadés que, s’ils bandent, ils donneront automatiquement du plaisir à leurs amantes. Et Freud n’a rien arrangé en écrivant d’énormes sottises sur l’orgasme féminin. L’information fournie par l’Education nationale se limite à la contraception et à la lutte contre les maladies vénériennes sans jamais parler du plaisir. De nombreux garçons ignorent tout de la physiologie du sexe féminin, ce qui est regrettable pour leurs amantes. A quatre-vingt-neuf ans, Rosemonde Pujol a publié un manuel de clitologie intitulé « Un petit bout de bonheur » qu’on devrait faire lire aux collégiens pour qu’ils apprennent comment sont faites les femmes. J’ai lu que le vagin est peu innervé. S’il l’était autant que le clitoris, les femmes mourraient de douleur quand elles accouchent. Donc, pour répondre votre question, ce n’est pas la sexualité lesbienne qui est incompréhensible, mais la sexualité féminine qui est méconnue.

FS : Vous dites que l’homosexualité féminine est plus réprimée que l’homosexualité masculine en société patriarcale : elle serait niée, pas prise au sérieux, invisibilisée. Vos commentaires ?

PD : Oui, je l’affirme parce que je le vis tous les jours. L’homosexualité masculine est vécue au grand jour : les gays ont de nombreux lieux de rencontre, des associations, des moyens de pression, des figures célèbres de l’Antiquité à nos jours. Parallèlement, les lesbiennes sont invisibles, se taisent, rasent les murs et ont peu de modèles auxquels s’identifier. Quand j’ai réuni des ouvrages lesbiens écrits par des femmes afin d’élaborer un dictionnaire où figurent mille œuvres lesbiennes, je n’en ai pas trouvé une seule entre les poèmes de Sappho et Claudine à l’école. Vingt-sept siècles de silence, du VIIe siècle avant notre ère jusqu’à 1900 ! La répression contre les amours entre femmes se fait tout d’abord et avant tout dans la famille. Je raconte dans « Mauvais Genre » qu’à seize ans, ma mère a découvert une lettre enamourée que je destinais à une amie, ce qui m’a valu une scène épouvantable où mon père m’a menacée de me faire « soigner » par un médecin adepte des électrochocs. Au début des années 60, ça n’avait rien d’exceptionnel. Au moment des révoltes propres à l’adolescence, j’ai dû faire profil bas, mettre mes désirs les plus profonds entre parenthèses, afin de rester indemne.

Patricia Highsmith, dans sa postface à « Carol », parle fort justement des années terribles des homosexuels, quand ils arrivent à l’adolescence entre quatorze et dix-huit ans. Comme tous les jeunes de ma génération, j’ai dû attendre d’avoir vingt et un ans pour être libre, mais j’ai vécu dans un véritable désert affectif et amoureux le premier quart de mon existence, aucune autre lesbienne ne se profilant à l’horizon ainsi que je vous l’ai dit il y a un instant. J’ai tu mon homosexualité dans ma famille avec qui j’ai pris, dès que j’ai pu, des distances géographiquement, de la Franche-Comté au Languedoc. Je me suis tue à mon travail parce que je n’avais que mon traitement d’enseignante pour vivre. Je n’ai publié des bouquins lesbiens qu’à la retraite. Et quand, enfin retraitée, j’en ai parlé à d’anciennes collègues politiquement très à gauche, elles m’ont affirmé que j’avais eu raison d’agir ainsi. Je n’ai donc pas été celle par qui le scandale arrive et qui aurait été mutée dans le Pas-de-Calais en cas d’entorse à la normalité.

On me rétorquera que l’Education nationale est le dernier des placards. Sans doute, mais même dans les autres professions, je distingue peu de lesbiennes visibles et ceci parce qu’elles ont tout à perdre à la visibilité. C’est déjà si difficile d’être une femme indépendante, faut-il encore ajouter à ce premier handicap le fait d’être lesbienne, c’est-à-dire d’aimer une femme et de vivre avec elle ?

FS : Vous mentionnez que beaucoup de femmes hétérosexuelles, confrontées aux violences et désillusions qu’impliquent leurs rapports avec les hommes, envient les lesbiennes, parce qu’elles pensent que ce genre de relations est moins difficile à vivre. Vos commentaires ?

PD : Je suis consciente d’avoir échappé aux corvées liées au quotidien, à la servitude sexuelle, aux avortements, à la double voire triple journée de travail, à la domination masculine dans la vie privée et aux violences de toutes sortes dont les femmes sont victimes et contre lesquelles luttent les féministes depuis des lustres. Mais ce ne sont que des avantages négatifs : ne pas être battue, ne pas servir de bonne à un homme etc. J’ajoute que de nombreuses lesbiennes n’ont pas découvert ou assumé leur homosexualité aussi tôt que moi, ce qui ne leur a pas simplifié l’existence. Ainsi, l’amie à qui je fais allusion dans « Mauvais Genre », dont je me suis éprise en terminale et dont j’ai été payée de retour pendant quelques mois, m’a quittée pour épouser un homme. Vingt ans plus tard, elle a renoué avec moi en m’assurant qu’elle n’aimait que les femmes, mais qu’elle s’était mariée pour faire ce que sa famille attendait d’elle. C’est là qu’effarée, j’ai entendu, pour la première fois de mon existence, parler de servitude sexuelle, servitude qui a d’ailleurs donné naissance à deux enfants. Ces vocations tardives n’ont rien d’exceptionnel. Quand j’ai adhéré au Collectif contre l’homophobie, j’ai rencontré plusieurs femmes ayant vécu la même expérience. L’une d’entre elles avait mis cinq enfants au monde avant de se rendre compte qu’elle était exclusivement lesbienne !

FS : Comment expliquez-vous la place importante qu’occupent les femmes bisexuelles ou lesbiennes dans la littérature et dans le féminisme ?

PD : Marina Castaneda, psychothérapeute, écrit dans « Comprendre l’homosexualité » qu’il n’y a qu’une seule différence entre les homosexuels et les hétérosexuels : les premiers sont plus diplômés que les seconds. D’après d’autres études, ils seraient aussi plus créatifs. Quant à Alice Coffin, née en 1978, elle souligne dans le chapitre « Les Meilleurs militantes du monde » de son ouvrage « Le Génie lesbien » la place très importante des lesbiennes dans le militantisme. Elle énumère les lesbiennes qui ont lutté non seulement contre la lesbophobie, mais encore contre le racisme, le sexisme, les violences policières, les milices paramilitaires et milité pour les droits des réfugiés, des LGBT et bien sûr des femmes, notamment le droit à la contraception et à l’avortement. Alice Coffin cite la chercheuse Hillary McCallum qui a travaillé sur les Saphic Suffragettes, pour affirmer « le rôle majeur des lesbiennes chez les activistes anglaises du tournant du XXe siècle ». Ce qui l’amène à énumérer les militantes du Mouvement de libération des Femmes qui, en 1970, ont déposé une gerbe sur la tombe du soldat inconnu en brandissant une banderole sur laquelle on pouvait lire que la femme de ce soldat était encore plus inconnue que lui. Or toutes ces militantes ou presque étaient lesbiennes. Comment expliquer un tel phénomène ?

Alice Coffin, citant Ann Northop responsable média d’Act Up New York, dit que c’est parce que « nous sommes plus intelligentes ». Aimée Duc, dans « Sont-elles des femmes ? » un roman sur le troisième sexe publié à Berlin en 1901 (et traduit pour la première fois en français en 2020 !) était déjà de cet avis : les lesbiennes pensaient déjà appartenir « à une élite de l’intelligence ». Aimée Duc et Ann Northop tendent, à mon sens, à essentialiser les lesbiennes. Je n’en ferai rien, ayant rencontré des lesbiennes d’une grande variété, certaines d’une rare intelligence, mais d’autres limitées intellectuellement et qui ne se sentaient solidaires de rien.

A défaut d’hypothèses sur notre intelligence, on peut supposer que non seulement nous sommes plus diplômées, mais encore plus libres de nos allées à venues et plus sensibles aux hypocrisies et aux injustices dont nous sommes victimes. Sans doute aussi parce que, célibataires (beaucoup de lesbiennes vivent seules) ou en couple avec une femme, nous devons nous débrouiller seules, comme la plupart des femmes confinées dans des métiers féminins mal rémunérés. Les couples de gays sont les plus fortunés, bien avant les couples hétérosexuels. Quant aux couples de lesbiennes, ce sont les plus pauvres. Tous ces facteurs peuvent contribuer à nous rendre plus revendicatives que des femmes hétérosexuelles chargées de plusieurs enfants. Permettez-moi d’avoir ici une pensée pour ma grand-mère, qui en a élevé onze, et qui de ce fait n’a pas eu de temps à consacrer à une œuvre littéraire ou à un engagement féministe !

FS : Il y a une tendance récente chez les lesbiennes à se séparer du mouvement LGBT (« get the L out ). Pourquoi, et êtes-vous d’accord avec cette tendance ?

PD : J’ai cru pendant longtemps que j’avais davantage souffert de lesbophobie que de sexisme. Comme je percevais le même traitement que mes collègues masculins, qu’en outre mes parents étaient loin d’être fortunés, j’avais tendance à oublier que le professorat est un métier typiquement féminin, donc rémunéré comme tel. Or, depuis une quinzaine d’années, je me sens nettement plus proche des autres femmes que des gays, et voici pourquoi. Ce que j’ai en commun avec les hommes homosexuels, c’est la lutte contre l’homophobie et la lesbophobie. Ce qui m’oppose à eux, c’est que je suis féministe abolitionniste et universaliste, donc fermement opposée à la gestation pour autrui. Dans les deux cas, prostitution et GPA, le corps des femmes est considéré comme une marchandise. Et qu’on ne vienne me parler de prostitution ou de GPA éthiques !

Par ailleurs, je suis sensible au fait que depuis quelques années, de nombreuses filles, enfants ou adolescentes, veulent changer de sexe, que des médecins leur prescrivent des traitements hormonaux qui bloquent leur évolution, mais qu’arrivées à l’âge adulte, elles veulent revenir en arrière. L’adolescence étant un moment où l’on se cherche, on devrait attendre qu’elles soient adultes pour qu’elles puissent, si elles le désirent encore, effectuer une transition. Ce que j’affirme ici me fera traiter de TERF (féministe radicale excluant les personnes trans), mais je m’en moque. Je suis d’autant plus sensible à ce phénomène que, quand je me remémore l’angoisse dans laquelle j’ai vécu mon adolescence, à un moment de ma vie où je ne connaissais aucune fille éprouvant les mêmes attirances que moi et où je me demandais si je n’étais pas un monstre, j’aurais sans doute été volontaire, si on me l’avait proposé, pour suivre un traitement de ce type. Et moi aussi, je l’aurais regretté dix ans plus tard car la simple éventualité d’une mammectomie me terrorise.

En réalité, je suis persuadée que le patriarcat est protéiforme. En effet, dès que les femmes obtiennent un tout petit avantage, les hommes se défendent en le tournant à leur profit. Sinon, pourquoi toutes ces gamines dont je pourrais être la grand-mère souhaitent-elles devenir des mecs ? Qu’on le veuille ou non, être une femme aujourd’hui n’est pas plus facile qu’hier et quelquefois pire. Je n’en donnerai qu’un seul exemple en comparant ma mère, femme au foyer qui n’accomplissait qu’une seule journée de travail et qui avait donc du temps libre pour soigner ses fleurs avec amour, aux femmes qui actuellement élèvent seules leurs enfants tout en travaillant et qui de ce fait n’ont aucun loisir.

https://revolutionfeministe.wordpress.com/2023/05/07/on-ne-nait-pas-lesbienne-on-le-devient-la-construction-dune-sexualite/

Francine Sporenda

Américaine qui anime le site Révolution féministe.

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