Édition du 3 juin 2025

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« Black Box Diaries », la journaliste courageuse qui a lancé le mouvement #MeToo japonais

Le documentaire de la journaliste qui a initié le mouvement #MeToo au Japon continue de recevoir des prix ; le dernier en date au Fipadoc de Biarritz. Et bien qu’il puisse également remporter un Oscar, il reste censuré dans son pays. La plateforme de streaming Filmin vient de le sortir, et en mars il arrivera dans les salles françaises.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Lauréat le 31 janvier dernier du Grand Prix de la dernière édition du Fipadoc, le prix principal du festival du film documentaire de Biarritz, « Black Box Diaries » est également l’un des documentaires favoris pour remporter un Oscar dans sa catégorie. Après être passé par les principaux festivals spécialisés, on peut maintenant le voir sur Filmin, après que la plateforme de streaming vient de l’inclure dans son catalogue, tandis qu’en France, il sortira dans les salles commerciales le 12 mars.

En France, une pétition est également en cours sur Change.org, exhortant sa sortie au Japon, où il ne trouve toujours pas de distributeur. C’est assez gênant : le documentaire a été distribué dans 58 pays à travers le monde et continue de recevoir des prix. Mais dans son pays d’origine, « Black Box Diaries » reste un sujet inconfortable.

Le début du documentaire, qui se déroule comme un véritable thriller d’investigation, est si direct qu’il est percutant. Regardant la caméra, la journaliste Shiori Ito annonce qu’elle commencera à tout documenter en enregistrant des vidéos sur son iPhone et confesse sa peur de ce qui se passera lorsque le procès contre son agresseur commencera ; c’est-à-dire contre le célèbre journaliste qui l’a violée deux ans plus tôt. Et puis viennent les images réelles des caméras de l’hôtel, prises la nuit où le viol a eu lieu.

Saut dans le temps, deux ans en arrière : mai 2015, après le dîner auquel Shiori Ito, une jeune femme qui veut devenir journaliste, est invitée par Noriyuki Yamaguchi, ancien chef du bureau de Washington du Tokyo Broadcasting System. On les voit arriver à l’hôtel Sheraton de Tokyo en taxi.

Le véhicule est arrêté à la porte de l’hôtel et, tandis que le portier – qui sera un témoin essentiel – tient la porte ouverte, Yamaguchi tire et sort de force Shiori Ito de l’intérieur, qui résiste et chancelle. Il est évident qu’elle ne va pas bien, ne tient pas sur ses jambes, mais il la traîne à l’intérieur de l’hôtel. Le viol n’est pas montré, ce n’est pas non plus nécessaire.

La journaliste et cinéaste Shiori Ito est la réalisatrice et protagoniste de ce documentaire, un travail journalistique de premier ordre dans lequel elle raconte l’enquête courageuse et l’épreuve qu’elle a dû endurer jusqu’à ce qu’elle réussisse à traduire son agresseur en justice, sachant qu’il était peu probable qu’il soit poursuivi.

Car l’homme qui l’a agressée était connu pour être le journaliste le plus proche de l’ancien Premier ministreShinzo Abe, sur qui il a même écrit une biographie. Le même Shinzo Abe qui, en 2022, mourrait sous les balles lors d’un meeting.

«  Je me suis concentrée, en tant que journaliste, sur la recherche de la vérité. Je n’ai pas eu d’autre choix. Mon travail a été la seule façon de me protéger  », confesse Shiori Ito, regardant la caméra. Car ce qui est extraordinaire chez cette femme, c’est qu’elle a tout documenté, avec des vidéos ou des enregistrements secrets des conversations que, pendant les deux années d’enquête précédant le procès, elle a eues avec des procureurs et des enquêteurs. Elle savait que si elle ne conservait pas les preuves, personne ne la croirait.

«  Quand je me suis réveillée, il était en train de me violer », l’entend-on dire en pleurant dans une déclaration. « Il n’y a pas de preuves  », répond froidement le policier.

Les chances qu’une femme policière soit assignée à l’affaire étaient très rares : moins de 8% des forces de police japonaises sont des femmes. De plus, les victimes devaient reconstituer leur incident avec des poupées grandeur nature. Tokyo, une ville de 14 millions d’habitants, ne possédait alors qu’un seul centre d’aide aux victimes de viol et une ligne téléphonique d’assistance. C’est à cette société que Shiori Ito a dû faire face lorsqu’elle a décidé de porter plainte.

Par-dessus tout, il y avait la question culturelle. « Au Japon, où parler de viol reste tabou, seules 4% des victimes signalent leurs cas à la police. Les victimes et leur entourage peuvent être stigmatisés et même exclus de la société. Ma famille était contre mes actions  », reconnaît-elle. Elle a découvert que le viol ne pouvait être prouvé que par une violence physique grave ou des menaces, en raison des systèmes judiciaires obsolètes du pays, où la législation sur les agressions sexuelles datait d’il y a 110 ans.

Le viol était moins punissable que le vol d’un sac à main. Socialement, il était également mal vu de le signaler. La législation devait changer. Et son cas est devenu un cas historique au Japon.

Le documentaire suit le chemin tortueux qu’elle a dû emprunter pour porter l’affaire devant la justice. Même lorsque la police était sur le point d’arrêter le violeur, un ordre est venu d’en haut pour le libérer, et ils ont retiré l’enquêteur principal de l’affaire. Le procès pénal ayant été rejeté, ils ont dû chercher une voie civile. Le dépôt de la plainte a été un choc total au Japon, le début d’un mouvement #MeToo auquel se sont également jointes ses collègues journalistes femmes. « Cela a choqué le public », explique la journaliste. «  Il y a eu une réaction violente de l’extrême droite, avec une campagne en ligne de messages désobligeants et de menaces de mort, en plus des gens dans la rue qui critiquaient tout : mon apparence et mon passé. Pourquoi avais-je le bouton supérieur de mon chemisier déboutonné lors de la conférence de presse ? se demandaient-ils. C’était une preuve que j’étais une prostituée : une vraie Japonaise ne parlerait pas d’une telle honte.  »

D’abord, elle a écrit un livre, intitulé « Black Box », puis ce documentaire, un journal audiovisuel. Pourquoi une boîte noire ? « Une boîte noire est définie comme un système dont le fonctionnement interne est caché ou n’est pas facilement compris », explique-t-elle. «  Le Japon est une terre de boîtes noires, et j’ai appris ce qui se passe dans cette société quand on commence à les ouvrir. »

Shiori Ito a finalement gagné… bien que l’affaire soit actuellement en appel et que son documentaire ne soit toujours pas diffusé au Japon. Mais quelque chose a changé : la loi et, surtout, le soutien social à cette cause. « Plus tard, lorsqu’un changement historique dans la loi japonaise sur le viol a été adopté, j’ai senti que mon objectif principal avait été atteint et que je pouvais revenir à une vie normale  », ajoute-t-elle. «  Mais c’était trop tard. J’étais devenue une héroïne, une méchante, une icône, mais je ne pouvais pas vivre avec moi-même. » La blessure était trop grande. Elle continue de guérir du préjudice subi.

Amaia Ereñaga
https://vientosur.info/black-box-diaries-la-periodista-valiente-que-inicio-el-metoo-japones/
Traduit pour ESSF par Adam Novak
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article75080

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