Édition du 27 mai 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le mouvement des femmes dans le monde

Iran – le mouvement « Femme, Vie, Liberté » continue !

Entrevue réalisée par Tina Mostel, correspondante en stage, avec Mina Fahkavar, doctorante d’origine iranienne.

Tiré du Journal des ALternatives
https://alter.quebec/iran-le-mouvement-femme-vie-liberte-continue/?utm_source=Cyberimpact&utm_medium=email&utm_campaign=JdA-PA-2025-05-22
Par Tina Mostel -19 mai 2025

Photo Manifestation en Iran, 6 Mars 2025 / via Wikimédia

Depuis 1979, la République islamique d’Iran impose le port obligatoire du hijab, fondé sur la charia. Les années 1980 renforcent cette politique : ségrégation hommes-femmes dans l’espace public, licenciements massifs de femmes dans la fonction publique, et durcissement du code vestimentaire. En 2022, le slogan «  Femme, Vie, Liberté  » devient l’emblème de la résistance. Le décès de Jina Mahsa Amini, 22 ans, arrêtée pour un voile jugé mal porté, déclenche une vague de protestations internationales. Elle incarne une lutte collective, bien qu’elle ne soit pas un cas isolé.

Le président Massoud Pezeshkian, élu en juillet 2024, promet des réformes en faveur des femmes, suscitant une attente prudente. Madame Mina Fahkavar, doctorante vivant au Canada, née à Téhéran et formée en France, consacre sa thèse à la condition féminine en Iran. Son expérience personnelle offre un éclairage essentiel sur cette lutte pour les droits et les libertés.

Tina Mostel – D’après vous, aujourd’hui, est-ce que la situation politique du pays joue un rôle dans l’accentuation des répressions envers les femmes ?

Mina Fahkavar – Absolument. En réalité, la situation politique actuelle en Iran joue un rôle majeur dans l’accentuation des répressions envers les femmes, devenues la cible principale et prioritaire d’un système politique aux abois, un régime fragilisé qui cherche désespérément à restaurer son autorité en reprenant le contrôle des corps féminins, là où il l’a le plus spectaculairement perdu.

Depuis la révolte historique de 2022, portée par le slogan subversif « Femme, Vie, Liberté », les femmes iraniennes n’ont cessé de défier l’ordre patriarcal d’État.

En réponse, le gouvernement iranien a enclenché une politique de revanche autoritaire, que l’on pourrait qualifier de contre-insurrection patriarcale, où le corps des femmes est à nouveau érigé en champ de bataille. Le projet « Noor », présenté cyniquement comme un projet de moralisation et de sécurité à partir du mois d’avril 2024, constitue en réalité un projet de surveillance numérique généralisée et de contrôle algorithmique des femmes dans l’espace public.

Mais cette répression d’État s’accompagne d’un phénomène parallèle tout aussi alarmant : l’augmentation vertigineuse des féminicides. En 2024, selon les données du Center for Human Rights in Iran, l’Iran a triplé le nombre d’exécutions de femmes par rapport à la moyenne des deux décennies précédentes. La situation est si alarmante qu’on peut désormais parler d’un féminicide judiciaire d’État. Des femmes sont condamnées à mort dans des procès iniques, souvent fondés sur des aveux extorqués sous la torture, sans défense adéquate ni respect des normes internationales de justice.

TM – Dans un second temps, le président Massoud Pezeshkian, élu en juillet 2024, avait fait des promesses à son peuple avant son élection. Quelles répercussions les actions qu’il a mises en place depuis ont-elles eues sur la situation des femmes ?

MF – Le système politique iranien est théocratique, vertical, patriarcal et profondément autoritaire.

Dès lors, les promesses de Massoud Pezeshkian, qui, durant sa campagne, avait déclaré vouloir «  apaiser les tensions sociales » et «  réduire les discriminations  », n’étaient que des manœuvres discursives visant à recréer une illusion de réforme sans toucher à l’architecture du pouvoir.

Plus encore, le régime, avec Pezeshkian comme façade modérée, tente aujourd’hui de rétablir des canaux de négociation diplomatique avec les États-Unis, les mêmes qu’il a qualifiés de « Grand Satan » pendant des décennies. Cette inflexion stratégique est perçue comme une trahison idéologique, et elle affaiblit encore davantage la légitimité du pouvoir aux yeux de la population.

TM – Enfin, comment se dessine l’avenir du combat des femmes iraniennes ? Quelles seraient les actions à mener localement et à l’international pour envisager une amélioration de leur situation actuelle ?

MF – L’avenir du combat des femmes iraniennes n’est pas une question spéculative : il s’inscrit déjà dans le présent. Il s’écrit, chaque jour, dans l’acte de marcher tête nue dans une rue de Téhéran, de danser dans une voiture, de parler à visage découvert sur les réseaux sociaux. Ce sont des gestes simples, mais extraordinairement politiques.

Elles désobéissent. Et ce refus massif, quotidien, est devenu le front principal de la contestation contre le régime. Il faut comprendre que la République islamique n’a jamais été aussi proche de l’effondrement symbolique que depuis que les femmes iraniennes ont cessé d’avoir peur.

Mais l’histoire iranienne, et plus largement celle de la région, est traversée par l’imprévisible : rapports de force géopolitiques, ingérences, récupérations. Rien ne garantit que la chute du régime mène à une société plus juste. C’est pourquoi il est crucial de renforcer les actions à plusieurs niveaux : localement, transnationalement, juridiquement, politiquement.

Au niveau local :

• Continuer à créer des espaces de désobéissance collective et de soutien mutuel (cafés, salons, cercles de lecture, réseaux numériques féministes).

• Développer une éducation critique, mais aussi diffuser du courage, des outils de résistance et des stratégies de désobéissance sur les réseaux sociaux, notamment auprès des jeunes filles, des femmes des provinces, et des minorités ethniques et religieuses.

C’est précisément grâce à ces actes de parole courageux que des organisations comme Amnesty International ou la mission d’enquête de l’ONU ont pu établir des rapports détaillés sur l’ampleur systémique des violences sexuelles et genrées utilisées par le régime contre les militantes, les dissidentes, les manifestantes.

Témoigner, c’est résister à l’effacement. C’est refuser l’impunité.

À l’international :

• Reconnaître le régime iranien comme un régime d’apartheid de genre, selon les normes du droit international.

• Rompre avec la complaisance diplomatique : arrêter de considérer les violations des droits des femmes comme des « affaires internes », ou comme des expressions culturelles qu’il faudrait tolérer au nom du relativisme.

• Soutenir les exilées, les chercheuses, les artistes, les journalistes iraniennes qui continuent le combat depuis l’extérieur, souvent dans l’isolement et la précarité.

• Exiger que les technologies de surveillance ne soient plus exportées vers des régimes autoritaires, et que les entreprises complices soient poursuivies.

Ce combat est à la fois profondément iranien et universel. Il s’enracine dans l’histoire de l’Iran, dans ses douleurs, ses révoltes, ses espoirs trahis, mais il parle à toutes les femmes qui vivent sous des régimes de contrôle patriarcal. C’est pourquoi la solidarité féministe transnationale ne doit pas être un slogan : elle doit devenir une stratégie.

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