Tiré de Entre les lignes et les mots
Il devra en outre verser des dommages et intérêts aux deux victimes directes, Amélie et Sarah* et à l’AVFT – Libres et Egales qui s’était constituée partie civile à leurs côtés. Enfin, il devra réparer le préjudice né du comportement de son avocat à l’audience et constituant une victimisation secondaire. G. Depardieu a interjeté appel de cette décision de condamnation.
Ce procès a jeté une autre lumière sur l’acteur Gérard Depardieu, ce « monstre sacré du cinéma français » ou, selon les termes du président de la République, cet homme qui « rend fière la France ». Un comédien qui a profité de sa notoriété pour agresser sexuellement des femmes pendant des années sans être arrêté, voire en sachant qu’il pouvait compter sur l’omerta de la « grande famille » du cinéma qui a permis son impunité.
Une stratégie d’agresseur rodée
Lors de son intervention à l’audience, l’AVFT a présenté ses analyses de cette stratégie.
G. Depardieu est un homme de pouvoir. Pouvoir économique tout d’abord car le nom de Depardieu attire les financements et promet le succès d’un film. « On ne va pas arrêter le tournage pour une costumière » avait dit l’une des témoins pendant le procès. Elle aussi dénonçait des violences sexuelles aujourd’hui prescrites.
Pouvoir de faire embaucher qui il veut, acteurs et actrices mais aussi logeman, garde du corps, habilleuse, maquilleuse… qui lui sont redevables. Ces allié·es seront prompt·es à banaliser ses comportements (« il n’est pas méchant », « il est comme un enfant, il cherche à faire des bêtises ») et à le protéger en mettant en cause les victimes.
G. Depardieu choisit ses victimes, des femmes intermittentes du spectacle précaires, qui savent qu’il ne faut pas « faire de vague » si l’on veut conserver son travail ou signer d’autres contrats par la suite dans un secteur compétitif ou le recrutement se fait souvent par cooptation. Des jeunes travailleuses sans réseau de soutien, dont les marges de manœuvre pour s’opposer à G. Depardieu sans risquer des représailles sont très restreintes.
G. Depardieu isole la victime dans le collectif de travail. Celle qui ose dénoncer ses agissements est traitée de « balance ». Le collectif de travail est soit passif, soit complice : c’est la plaignante qui a un problème, qui est « coincée » ou manque d’humour. C’est elle qui n’a pas su réagir, « elle n’avait qu’à… ». Rares sont celles qui ont reçu le soutien de membres de ce collectif.
G. Depardieu, par la voix de son avocat, se fait passer pour la victime. Victime d’un complot, qui serait ici ourdi par Médiapart, victime de manipulation, victime « d’une société dans laquelle on ne peut plus rien dire ». Rappelons que les luttes des travailleuses pour le droit de travailler dignement datent du 19ème siècle.
Un procès qui invite les membres de la « grande famille » à s’interroger sur leur responsabilité dans la perpétuation des agressions sexuelles
Sans la complicité active ou passive des équipes de tournage, des producteurs, des réalisateurs, des autres acteurs et actrices, sans leur aveuglement volontaire, sans leur justification parce que … « c’est Gérard », Gérard Depardieu n’aurait pas pu agresser en toute impunité.
La solitude change de camp
Ce procès s’est tenu grâce à une réaction en chaine de solidarité entre femmes rompant la solitude dans laquelle chacune des victimes était ou avait été enfermée, parfois pendant des décennies. De l’appel lancé par l’actrice Anouk Grinberg, au soutien de Charlotte Arnould qui dénonce les viols de G. Depardieu, lequel a déterminé Amélie à témoigner, puis Sarah, aux quatre femmes qui sont venues exposer ce que l’acteur leur avait imposé et à celles qui ont rapporté ce dont elles avaient été les témoins oculaires lors des tournages. Nous avons entendu des femmes courageuses et solidaires.
La victimisation secondaire reconnue
Lors des 4 jours d’audience, les parties civiles ont été maltraitées par Jérémie Assous, l’avocat de G. Depardieu. Ce dernier n’a cessé d’insulter, de crier, d’humilier, recourant le plus souvent à ce stratagème pour faire diversion lorsque son client était en difficulté face aux questions du tribunal ou des avocates des parties civiles, Mes Carine Durrieu-Diebolt et Claude Vincent.
Dans sa décision, le tribunal rapporte ses propos et attitudes : « Ainsi, le conseil de Gérard DEPARDIEU a pu s’adresser aux conseils de parties civiles en ces termes : « C’est honteux. Arrêter de le cuisiner comme ça. Vous êtes abjecte et stupide. » Ou encore « C’est insupportable de vous entendre, déjà votre voix, c’est dur alors… » (…) Il a également pu déclarer à Amélie (…), partie civile : « Je n’ai jamais vu une vraie victime s’opposer à des actes aussi élémentaires. On ne vous croit pas » ou à : « Je ne vous crois pas du tout. Pour moi, vous êtes bel et bien quelqu’un qui ment ». » Le tribunal considère que les parties civiles « ont été exposées à une dureté excessive des débats à leur encontre, allant au-delà des contraintes et des désagréments strictement nécessaires à la manifestation de la vérité, au respect du principe du contradictoire et à l’exercice légitime des droits de la défense. » Il précise que « Si les droits de la défense et la liberté de parole de l’avocat à l’audience sont des principes fondamentaux du procès pénal, il n’en demeure pas moins qu’ils ne sauraient légitimer des propos outranciers ou humiliants portant atteinte à la dignité des personnes ou visant à les intimider. En l’espèce, il résulte des débats que les parties civiles ont été confrontées à une défense des plus offensive fondée sur l’utilisation répétée de propos visant à les heurter et qui n’était manifestement pas nécessaire à l’exercice des droits de la défense. »
Ajoutons que non seulement G. Depardieu ne s’est pas désolidarisé de ce comportement d’agression. Il a au contraire, à la fin de l’audience, exprimé ses remerciements à son avocat pour sa défense, qu’il a donc explicitement entérinée.
Si l’on peut saluer la reconnaissance de cette maltraitance, il demeure regrettable que le président, responsable de la tenue de l’audience et garant de la sérénité des débats, ne soit, à aucun moment, intervenu lors du procès pour recadrer Jérémie Assous et lui rappeler ses obligations en tant qu’auxiliaire de justice.
De même que l’on ne peut que s’étonner de l’inaction des représentant·es du bâtonnier présent·es certains jours, face à la violation des obligations déontologiques de l’avocat (manquements aux obligations de confraternité, de délicatesse et de courtoisie).
Une condamnation légère
L’on peut également regretter la nature de la peine prononcée. Le tribunal n’a pas suivi les réquisitions du procureur de la République : aucune peine d’amende, la peine de 18 mois est assortie d’un sursis simple (sans obligations particulières) et l’exécution provisoire, qui contraint au versement immédiat des dommages et intérêts, n’a pas été prononcée.
Ces dommages et intérêts sont par ailleurs faibles au regard du patrimoine de G. Depardieu qui est millionnaire et aux demandes des parties civiles. Ils ne couvrent en outre pas la totalité des frais engagés par les victimes dans cette procédure, en violation du principe de la réparation intégrale du préjudice causé.
Il n’en demeure pas moins que cette condamnation est une victoire pour toutes celles qui ont été victimes de Gérard Depardieu.
Catherine Le Magueresse, pour l’AVFT Libres et Egales
* Sarah est un prénom d’emprunt.
https://www.avft.org/2025/05/15/gerard-depardieu-condamne-pour-agressions-sexuelles/
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