Édition du 3 juin 2025

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Économie

Quelle riposte à la guerre commerciale de Trump ?

Pour faire face à la guerre commerciale de Trump, qui vise à imposer la domination américaine et affaiblir les régulations environnementales, sociales et numériques, l’UE doit refuser aussi bien l’escalade tarifaire que la logique de soumission, et apporter une réponse stratégique basée sur la coopération, la durabilité et la solidarité internationale.

Carta Academica est un collectif d’universitaires belges qui a décidé d’intervenir dans le débat public

L’Administration Trump a déclaré une guerre commerciale au reste du monde. En particulier, elle a annoncé lors du « Liberation Day » du 2 avril 2025 l’imposition de « droits réciproques » sur toutes les marchandises importées et s’est lancée dans une escalade tarifaire d’une ampleur inédite avec la Chine (145%). Certes, ces annonces ont été revues à la baisse à de multiples reprises en fonction des réactions des partenaires commerciaux et des marchés financiers. Il n’en reste pas moins que les droits de douane en vigueur représentent, même après les suspensions et exemptions annoncées, un puissant choc protectionniste qui ébranle les chaînes de production mondiales.

Il s’agit moins d’une rupture qu’un durcissement de la politique commerciale appliquée lors du premier mandat de l’Administration Trump. La même rhétorique présentant les États-Unis comme les victimes d’accords commerciaux inéquitables est mobilisée. Les droits de douane permettent selon cette rhétorique de faire d’une pierre trois coups : réduire le déficit commercial, relocaliser les industries et enregistrer d’importantes recettes fiscales.

Bien que s’inscrivant dans la continuité de son premier mandat, l’ampleur et la radicalité de ce durcissement, s’il était confirmé, provoquerait une rupture radicale avec l’ordre économique mondial post-1945 dirigé par les États-Unis. Il est crucial pour le reste du monde, à commencer par l’Union européenne et les pays en développement, de prendre la mesure de cette rupture radicale et de s’y adapter.

L’impact économique aux États-Unis

Les droits de douane peuvent s’avérer utiles pour protéger des industries naissantes et des secteurs stratégiques, garantir la souveraineté alimentaire ou se prémunir contre la concurrence déloyale et le dumping social ou environnemental. Mais la stratégie de l’Administration Trump, qui consiste à imposer des droits de douane sur quasi toutes les marchandises de presque tous les pays, a toutes les chances de manquer sa cible et de provoquer plusieurs effets contre-productifs.

D’ailleurs, la stratégie des droits de douane appliqués lors du premier mandat de l’Administration Trump a été un échec : le déficit commercial des États-Unis a augmenté de 870 à 1 173 milliards de dollars entre 2018 et 2022, l’impact sur la réindustrialisation et les emplois a été nul, les recettes douanières n’ont représenté que 2% des recettes publiques et le coût des droits de douane a été quasi intégralement payé par les ménages américains[1].

La Chine a en outre rendu coup pour coup et n’a pas hésité à suspendre les exportations de terres rares dont les secteurs stratégiques américains ont besoin. La faiblesse des États-Unis est que leurs exportations vers la Chine sont très centrées sur les produits agricoles, que la Chine peut facilement trouver auprès d’autres fournisseurs comme le Brésil, alors que de nombreux biens importés de Chine concernent des équipements électroniques et des composants industriels essentiels pour les entreprises américaines[2].

L’impact économique dans le reste du monde

La guerre commerciale ayant des effets sur les chaînes de valeur mondiales, personne n’est épargné par ses conséquences économiques et sociales. Les entreprises et les consommateurs doivent faire face à la hausse des prix et les pays dont l’économie repose sur les exportations vers les États-Unis sont directement pénalisés.

Le choc est brutal pour les pays en développement, qui se voient privés des préférences commerciales en plus des programmes de l’USAID dont ils bénéficiaient. Quant à l’Union européenne, outre le coût des droits de douane, elle risque de voir affluer sur son territoire les produits bon marché que la Chine ne peut plus exporter aux États-Unis. Déjà, les droits de douane imposés le 12 mars par les États-Unis sur l’acier et l’aluminium se sont directement traduits par des exportations croissantes d’acier chinois en Europe, incitant la Commission européenne à appliquer des mesures de sauvegarde pour protéger la sidérurgie européenne.

La stratégie politique de Trump

La stratégie commerciale de l’Administration Trump, qui traite ses alliés sur le même pied que ses rivaux stratégiques, s’inscrit dans une stratégie politique plus large. Les droits de douane sont ainsi utilisés comme levier de négociation pour refonder l’ordre international selon les intérêts économiques et idéologiques de l’Administration Trump, qui défend une conception « néo-impériale » des relations internationales et un ordre mondial fondé sur la domination plutôt que sur la coopération[3].

C’est dans cette optique que l’Administration Trump revendique le contrôle des minerais stratégiques (au Groenland, au Canada, en Ukraine), des routes maritimes (le canal de Panama), des données personnelles (en contestant les réglementations de l’UE sur les services numériques). L’objectif de puissance est également monétaire, selon la stratégie du conseiller économique en chef de l’Administration Trump, Stephen Miran[4], qui vise à utiliser la menace des droits de douane et de la fin du parapluie militaire américain pour forcer les autres puissances à accepter de collaborer pour opérer une dévaluation du dollar et financer la dette américaine à long terme à des taux d’intérêt faibles.

C’est aussi dans cette optique qu’elle cherche à imposer son idéologie conservatrice de la société en exigeant la fin des politiques de diversité, des réglementations environnementales, du droit à l’avortement ou du cordon sanitaire contre les partis d’extrême droite dans les pays européens.

Comment répondre à la stratégie de Trump ?

Etant donné que le coût des droits de douane de l’Administration Trump est essentiellement payé par les ménages américains, il n’est pas indiqué d’y répondre en faisant la même chose ; mieux vaut laisser le gouvernement des États-Unis se tirer une balle dans le pied, et chercher d’autres partenaires commerciaux plus fiables[5].

Il est néanmoins crucial de riposter, car il s’agit d’un rapport de force et d’un moyen de coercition utilisé par l’Administration Trump pour imposer ses vues économiques et idéologiques. Le défi consiste à frapper fort en ciblant les talons d’Achille des États-Unis tout en restant inflexible dans la défense des valeurs de démocratie, de coopération et de solidarité et d’un modèle de société juste et durable.

L’Administration Trump veut éviter aux géants du numérique d’être soumis aux législations européennes qui protègent les données personnelles ou qui empêchent la désinformation et les propos haineux sur les réseaux sociaux ? Il faut non seulement appliquer ces législations, mais aussi cibler les profits enregistrés par les filiales de ces géants dans l’UE et les milliardaires qui les possèdent et qui soutiennent la politique du président Trump[6].

Trump veut empêcher les politiques de lutte contre le dérèglement climatique et démanteler le Green Deal ? L’UE pourrait cibler les produits qui ne respectent pas les normes environnementales et sanitaires, en imposant des mesures miroirs ou en renforçant le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE ou la directive sur le devoir de vigilance des multinationales en matière de droits humains[7].

Les États-Unis veulent tuer la concurrence et libérer les entreprises américaines des objectifs de durabilité ? L’UE pourrait adopter un « Buy European and Sustainable Act » en vue de favoriser le développement des entreprises européennes durables via la commande publique[8].

L’Administration Trump souhaite utiliser les droits de douane comme moyen de coercition ? L’UE peut activer l’Instrument anti-coercition, adopté en 2023 dans le but de pouvoir imposer des mesures anti-dumping aux pays qui restreignent le commerce pour tenter d’imposer un changement dans la politique de l’UE.

Les États-Unis veulent mettre fin aux tarifs préférentiels dont bénéficient les pays en développement et mettre fin aux programmes de coopération au développement de l’USAID ? L’UE devrait négocier des accords commerciaux garantissant à la fois un traitement spécial et différencié aux pays en développement et des normes sociales et environnementales contraignantes, tout en augmentant son budget d’aide au développement.

Malheureusement, les réponses apportées à ce jour par la Commission européenne ne sont guère encourageantes et l’Administration Trump dispose de puissants relais parmi les États membres (à commencer par l’Italie de Georgia Meloni qui milite pour mettre fin au Green Deal) et au sein du Parlement européen (où le PPE et les partis nationalistes et d’extrême droite considèrent que la Commission européenne ne va pas assez loin dans la déréglementation environnementale et sanitaire).

Il est donc à craindre que l’offensive de l’Administration Trump débouche sur une vague de déréglementation alimentant une course au moins-disant fiscal, social, environnemental et sanitaire en Europe et dans le monde, mais il est encore temps de prendre la mesure de la rupture en cours et de se donner les moyens de disposer d’une autonomie stratégique durable soutenue par une politique commerciale ouverte, mais encadrée par des règles contraignantes d’intérêt général au service de la santé, du travail décent, du climat et du développement durable.

Arnaud Zacharie, Maitre de conférences à l’ULB et à l’ULiège et Secrétaire général du Centre national de coopération au développement (CNCD-11.11.11), pour Carta Academica (https://www.cartaacademica.org/).

Les points de vue exprimés dans les chroniques de Carta Academica sont ceux de leur(s) auteur(s) et/ou autrice(s) ; ils n’engagent en rien les membres de Carta Academica, qui, entre eux d’ailleurs, ne pensent pas forcément la même chose. En parrainant la publication de ces chroniques, Carta Academica considère qu’elles contribuent à des débats sociétaux utiles. Des chroniques pourraient dès lors être publiées en réponse à d’autres. Carta Academica veille essentiellement à ce que les chroniques éditées reposent sur une démarche scientifique.

Notes

[1] Bouët A., « Après l’échec des droits de douane de Trump 1, pourquoi cela serait-il un succès sous Trump 2 ? », The Conversation, 3 avril 2025.

[2] Krugman P., « Why Trump will lose his trade war », Substack, 16 avril 2025.

[3] Viala-Gaudefroy J., « Droits de douane et nostalgie impériale : la vision économique très politique de Donald Trump », The Conversation, 8 avril 2025.

[4] La doctrine Miran : le plan de Trump pour disrupter la mondialisation | Le Grand Continent

[5] Rodrik D., « How not to respond to Trump’s tariffs », Project Syndicate, 6 février 2025.

[6] Zucman G., « Avec le retour de Donald Trump, l’Europe doit s’engager dans un protectionnisme d’interposition », Le Monde, 20 janvier 2025.

[7] Dupré M., Colli M, Garnier J.F., « L’UE doit rapidement inventer un néoprotectionnisme vertueux », Le Monde, 28 Février 2025.

[8] Note politique - Les marchés publics au service de l’emploi et du climat

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