Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Pour vaincre l’austérité

Politique de la rue ou politique des urnes ?

Voilà une question sur laquelle le congrès de Québec solidaire cette fin de semaine-ci ne se penchera pas sauf peut-être par des discours d’ouverture et de fermeture mais sans débat ni prise de décision. Pourtant l’échec du Printemps 2015, qui s’est répercuté, faute de mobilisation d’appui syndicale, étudiante et même populaire, par l’échec du Camp pour le droit au logement du FRAPRU malgré une persévérance exemplaire marquée par trois tentatives d’installation (photos de la manifestation et de la première tentative d’installation du 21 mai), commande un bilan en profondeur de l’orientation, des revendications et de la stratégie à adopter... et du rôle de Québec solidaire.

Le même jour que le FRAPRU initiait son camp, au sujet de ce rapport entre la rue et les urnes tel qu’il se manifeste en France et en Europe, Gabriel Lafleur, un militant syndical de la Société nationale des chemins de fer (SNCF) de France, du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et de la Quatrième Internationale, s’adressait à Montréal à une modeste assemblée publique où brillaient par leur absence les anticapitalistes organisés de Montréal y compris ceux et celles membres de la Quatrième Internationale. Peut-être aurait-il fallu que le conférencier soit un distingué écrivain ou professeur et non pas un jeune syndicaliste et ex militant étudiant ? Ou est-ce par boycott sectaire de la mauvaise organisation ou de la mauvaise tendance ?

La crise du NPA entre baisse des luttes sociales et tentation électoraliste

Gabriel se réclame de la tendance du NPA qui donne la priorité au développement de la lutte sociale, ce qui la rapproche de Lutte ouvrière (LO), l’autre groupe important de l’extrême-gauche aussi présent dans le mouvement syndical. Selon lui, la trop grande attention portée à la lutte électorale, en combinaison avec le facteur objectif du recul du mouvement de riposte en France depuis la fondation du NPA en 2009 particulièrement l’échec du mouvement contre la réforme des retraites en 2010, expliquent la crise qu’a connu le parti après sa fondation, ce qui a provoqué une baisse des membres de 10 000 à 2 500. Entre autre, la popularité d’Olivier Besancenot, qui demeure et reste sans eau électoraliste mise dans le vin anticapitaliste, divorcée de la force réelle du parti, a créé maintes illusions. En a résulté une saignée des nouveaux membres, non aguerris et peu formés, au fur et à mesure du reflux de la lutte sociale après 2010 y compris l’absence d’un mouvement de type Indigné.

A suivi une autre sortie d’une grande partie de la direction, ce qui a désorganisé le NPA, attirée par le succès électoral du nouveau Front de gauche (FG), une alliance entre des dissidents du Parti socialiste (PS) complètement néolibéralisé, face publique du FG, et une base communiste néo-stalinienne, les anticapitalistes regroupés dans Ensemble y étant marginaux. Le FG, combinant discours radical et pratique électoraliste, avait profité du recul des luttes pour tirer le tapis sous les succès électoraux de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), section française de la trotskyste Quatrième Internationale, à l’origine du NPA et qui s’était dissoute au moment de sa fondation. Aujourd’hui, la contradiction entre le discours de la direction du FG, de plus en plus nationaliste et même militariste au nom d’une « révolution des urnes » pour fonder une sixième république (impérialiste), et le pragmatisme électoraliste du Parti communiste (PC), lié au PS au pouvoir, a précipité une crise du FG lequel stagne électoralement sans toutefois s’effondrer.

Les conséquences droitistes d’une série de défaites

Il faut réaliser les conséquences politiques d’une série de défaites noyant les victoires de 1995 (plan Juppé), de 2005 (le non référendaire à la constitution néolibérale européenne) et de 2006 (contrats de première embauche) déjà lointaines. Le PS a complètement basculé dans le néolibéralisme qui emprisonne la société dans le cercle vicieux de sabrer dans les salaires et les droits sociaux pour rembourser la dette au capital financier, cette dette provenant de son propre sauvetage et de ses conséquences lors de la crise de 2008, tout en diminuant l’imposition du capital pour des raisons de compétitivité fiscale imposée par le libre-échange tant européen que mondial. Le PS se sert de ce qui lui reste de crédibilité auprès des mouvements sociaux pour imposer des politiques que n’aurait pas osées la droite classique : une contre-réforme du code du travail (loi Macron), un nouveau sommet de répression résultant en la mort d’un militant écologiste, l’emprisonnement d’un militant du NPA, la mise en accusation d’un autre pour avoir oser signer une demande pour une manifestation pro-Palestine, le congédiement d’un militant postier, une première depuis 1953.

Profitant des meurtres terroristes de Charlie-Hebdo et de l’épicerie kascher, en janvier 2015, suivi d’une grande manifestation d’unité nationale soi-disant pour la liberté d’expression en réalité islamophobe malgré la confusion politique de maints participants, le PS vient de faire voter une loi particulièrement liberticide sur fond de multiplication par six des agressions islamophobes. À force d’emprunter à l’extrême-droite (Le Pen) et à la droite dure (Sarkozy) ses politiques xénophobes et racistes, de même que leurs politiques néolibérales, le PS fait leur lit tel que l’ont manifesté les résultats électoraux départementaux de mars 2015. La même logique s’applique à l’UMP de Sarkozy vis-à-vis l’extrême-droite de Le Pen quoiqu’il ne faille pas faire du Front national (FN) un parti fasciste faute de bandes armées par ailleurs existantes et en relations ambiguës avec lui sans toutefois se faire leurrer par son contradictoire discours à allure de gauche mais de « préférence nationale ». Reste que ce discours le fait apparaître à gauche du PS ! À noter aussi la tension entre lutte contre l’islamophobie et celle contre l’antisémitisme dont il faut tenir compte des spécificités de chacune et qui sont à mener conjointement sans jouer l’une contre l’autre comme le font le FN, islamophobe d’abord malgré le désaccord de la vieille garde, et les Dieudonné-Sorel, antisémites, ce qui séduit certains jeunes d’origine arabo-musulmane des banlieues.

Reprise de la lutte sociale depuis 2013

La lutte sociale en France reprend sotto-voce du poil de la bête depuis 2013 même si pour l’instant elle ne débouche généralement pas sur des victoires. Il y a eu le mouvement des « bonnets rouges » en Bretagne qui mêlait lutte anti-patronale pour l’emploi et lutte nationaliste pro-patronale contre une taxe écologique d’où une perte de repères. Le NPA n’a pas fait l’erreur sectaire du FG qui a tenté sans succès une mobilisation purement ouvrière alors que la masse populaire optait pour l’unité nationale. Le NPA s’est joint à cette masse pour être le fer de lance, malgré son petit nombre, d’un pôle prolétaire de milliers de personnes. Lors de la guerre-massacre contre Gaza, contrairement au FG qui s’est plié à l’interdiction des manifestations pro-Palestine, le NPA a été de ceux qui l’ont défiée au prix de l’arrestation d’un de ses membres.

Depuis mars 2015 se développent, modestement et sans convergence pour l’instant, des grèves locales pour les salaires, signe d’une nouvelle confiance ouvrière après les luttes défensives contre les licenciements. Signalons la grève de l’éducation nationale, pourtant un bastion du PS, et celle l’année dernière de la SNCF contre la segmentation entre secteurs rentable et non-rentable en préparation d’une privatisation. À la gare St-Lazare de Paris, où milite Gabriel, l’assemblée générale a pris le contrôle de la direction locale des actions au détriment des bureaucrates... à 200 votes contre 5. A presque abouti une coordination parisienne sur la base de délégués d’assemblées générales locales mais ce fut à la fois trop tôt — plusieurs délégués n’étaient pas dûment élus — et trop tard — le mouvement national avait commencé à refluer. Lors de ces grèves, et aussi lors des celles des postes et des intermittents du spectacle, s’est révélée une nouvelle génération de militants entre autre issue de la lutte victorieuse des contrats de première embauche.

Syriza et Podemos entre luttes électorales et luttes sociales

Commentant les succès électoraux des Syriza et Podemos, Gabriel signale qu’il n’y a pas de raccourcis électoraux par rapport à la nécessité de luttes sociales gagnantes que ce soient de grandes luttes nationales ou de petites luttes locales. Les succès de ces partis reposent sur une très forte mobilisation sociale : le mouvement des Indignés et les mareas en Espagne, une cinquantaine de grèves générales d’une ou deux journées en Grèce. Ces quasi soulèvements découlaient de réactions à de drastiques politiques d’austérité qui sont la conséquence des contre-réformes néolibérales Thatcher en Grande-Bretagne puis Hartz en Allemagne fixant une nouvelle norme compétitive pour l’Union européenne dont la structure néolibérale, anti-démocratique et anti-immigrante est à rejeter de a à z. En France, l’austérité n’est pas encore arrivée au niveau sans précédent atteint en Europe du Sud. (Son statut de puissance économique, impérialiste et nucléaire qui lui vaut d’être le co-dirigeant informel de l’UE avec l’Allemagne y est sans doute pour quelque chose. Qu’en sera-t-il si l’offensive anti-austérité triomphe en Europe du Sud ?, )

Il faut cependant constater que l’intensité des luttes sociales a beaucoup ralenti en Grèce et en Espagne. La conséquence en a été que ces deux partis ont évolué vers la droite au diapason de leurs gains électoraux tant au niveau de leurs programmes qu’à celui de leur fonctionnement devenu plus hiérarchique. On peut les caractériser comme des partis anti-libéraux misant sur des changements institutionnels plus que sur une dynamique de mobilisation sociale qu’il ne suscite pas en dehors des périodes électorales. (Peut-on aller jusqu’à faire l’hypothèse que les urnes se sont substituées à la rue ? Une reprise du soulèvement social se fera-t-il en symbiose avec ces deux partis ou contre eux ?) Chose certaine, il n’y a que la pression populaire, pas seulement grecque, qui puisse sortir Syriza du cul-de-sac capitulard dans lequel il s’est piégé en misant sur une inexistante volonté de compromis des états-majors du néolibéralisme européen et mondial. (Il en sera de même pour que la mairesse de Barcelone, et peut-être celle de Madrid, puissent appliquer leur programme.)

Annexe : Rapports soulèvement social versus gouvernement démocratique radical

L’analyse et les conséquences politiques de ces rapports ont été posées au sein de la Troisième Internationale pré-stalinienne dès qu’on eut conscience de l’échec de la vague révolutionnaire en Europe occidentale et centrale après la Première guerre mondiale et de son corollaire, l’isolement tragique de la naissante URSS. Ce débat posait la question à savoir si l’élection institutionnelle d’un gouvernement pluri-partis de gauche peut mener à un renversement du capital ou bien contribue à le sauver. De multiples expériences d’alliance de la part de partis sociaux-démocrates et de maintes expériences de parti staliniens et néo-staliniens ont plus que démontré leur utilité pour sauver le capitalisme de la révolution à commencer par l’assassinat de Rosa Luxembourg par le gouvernement social-démocrate. Ce sont les communistes allemands qui ont pactisé avec les nazis contre les « sociaux-fascistes » (1931-32), les communistes français qui ont désarmé le gros de la résistance au bénéfice de De Gaulle (1944-45), les communistes indonésiens qui ont fait une alliance avec les nationalistes lesquels les ont ensuite massacrés (1965-66), idem pour les communistes iraniens vis-à-vis les fondamentalistes (1979-80).

À l’envers de la médaille, des partis révolutionnaires soit en demi-rupture avec le stalinisme soit très influencés par le modèle soviétique ont su dirigé des révolutions victorieuses de la Yougoslavie à Cuba en passant par la Corée du Nord, la Chine et le Vietnam. Ces révolutions, contrairement à celle russe, si on ignore la périphérie de l’empire tsariste, se combinaient à une lutte de libération nationale vis-à-vis l’impérialisme (semi-)colonial ou occupant. Cette double source d’énergie révolutionnaire, si l’on peut dire, explique peut-être leur issue victorieuse malgré une direction bureaucratisée, bureaucratisation favorisée à la fois par la militarisation obligée de la lutte et par l’influence idéologique et politique stalinienne. Les conséquences fâcheuses sont apparues par la suite sous forme de ratatinement démocratique jusqu’à la dictature du parti, soft ou hard niant l’essentiel démocratie socialiste. Une fois épuisée leur stratégie de développement par industrialisation et urbanisation parfois à marches forcées avec emprunt technologique capitaliste, et faute de stratégie de développement suis generis impossible dans ce système bâtard sans base économique propre, ne restait plus aux directions bureaucratiques que le retour au capitalisme pour s’éviter une seconde révolution démocratique. Mieux valait pour eux la superficielle démocratie bourgeoise, devenue fort dégradée, que la démocratie révolutionnaire.

La globalisation rend impuissant le prolétariat organisé imbu de nationalisme

C’est sur ce fond de commerce qu’ont surgi les soulèvements andins du nouveau millénaire. On pourrait les qualifier d’ersatz de révolution sociale, limitée à un changement institutionnel, se combinant avec un ersatz de libération nationale, une « seconde indépendance », le tout enrobé d’une nouvelle constitution. Une meilleure distribution de la richesse permise par un lucratif extractivisme, combinée à une nouvelle forme démocratique masquant un caudillismo de gauche, leur ont valu un réel succès populaire qui s’effrite au fur et à mesure du dégonflement de la bulle du pétrole et autres matières premières, leur mode d’insertion dans le capitalisme global. À y regarder de plus près, on constate dans ces pays, aussi en Argentine et au Brésil, qu’il y eut de formidables mobilisations populaires non abouties faute de participation sérieuse du noyau dur organisé du prolétariat, source habituelle d’une direction politique révolutionnaire crédible et expérimentée laquelle fut aussi manquante. S’il y a une tare originelle à cette « révolution du XXIiè siècle », c’est bien ce prolétariat directement créateur de plus-value aux abonnés absents laissant place à des « multitudes » sans fer de lance.

Il ne faut pas en chercher la cause de midi à quatorze heure. L’internationalisme prolétarien, étouffé par le nationalisme si ce n’est par le racisme et la xénophobie, s’est décroché du char du globalitaire cosmopolitisme capitaliste. À quoi sert de faire une grève même nationale contre une multinationale ou un de ses sous-traitants si, en plus d’avoir des poches profondes leur permettant de soutenir longtemps un arrêt de travail, elles sont en mesure de déplacer la production d’un pays à l’autre ? À moins d’être déjà au fond du baril, ce qui explique partiellement, en combinaison avec la force politico-économique de la Chine, la combativité montante et gagnante, au niveau économique, du prolétariat chinois. Qu’en est-il des luttes syndicales du secteur public ? Bien qu’elles aient plus de marge de manœuvre, la compétitivité économique de l’économie étatique le soutenant combinée à celle fiscale, sans compter la menace de privatisation directe et indirecte, réduit leur autonomie nationale. L’actuelle lutte québécoise contre l’austérité, encore plus celle grecque incapable de d’empêcher des reculs profonds, le démontre. Cette impuissance sur le terrain proprement économique invite à envahir le terrain politique.

L’urgence du retour d’une politique de la rue

D’où la percée électorale des Syriza et Podemos au prorata de la profondeur de l’austérité sans fond grecque et espagnole depuis la crise de 2008 laquelle n’en finit pas dans la zone euro, la moins compétitive des grandes zones économiques mondiales. La tension entre mobilisation sociale et mobilisation électorale y bascule du côté électorale. Cette tension pose la dialectique de la rue et des urnes. Elles se nourrissent l’une l’autre afin de faire monter les enchères pour maximiser la probabilité d’une rupture révolutionnaire. Trop d’emphase sur le moment électoral alimente l’électoralisme menant au réformisme sans réformes. Trop sur la rue engendre une stratégie basiste de lente accumulation nourrissant à la longue l’affairisme syndical. La conjoncture peut être plus favorable à des percées électorales créant des situations nouvelles... plus casse-gueule parce que plus fragiles. À la fin, seule la rupture venant de la rue crée du solide. Il faut toujours se rappeler que le rapport des urnes à la rue est un rapport subordonné. Le moment électoral, surtout s’il dure, stimule la tentation de l’alliance dite progressiste de type « front populaire » avec la bourgeoisie dite progressiste ou même l’alliance nationale des temps de crise aiguë.

Déjà les programmes de Syriza et de Podemos s’y ajustent. La pratique de Syriza y a ouvert la porte à la marge. L’obtention de la majorité à Barcelone et à Madrid, si on ne revient pas à donner la priorité à la rue, obligera à l’ouvrir toute grande. Côté Syriza, le coup de barre devient pressant, peut-être même une question de vie ou de mort pour ne pas sombrer. Côté Podemos, les résultats électoraux municipaux pose aussi la question immédiatement avant même les élections fédérales de l’automne. Côté Québec solidaire, la conjoncture, avec un début de mobilisation contre l’austérité et contre les hydrocarbures, est plutôt à un retour à la rue sans attendre aucune échéance électorale. Ce retour ne signifie en rien donner la priorité à la lutte économique mais à une politique non-électoraliste. Cette politique de la rue est nécessitée par l’ampleur de l’austérité et davantage par sa centralité politique pour la bourgeoisie des pays du « vieil impérialisme » surtout ceux « en retard » dans la course vers le fond du baril dans leurs zones économiques respectives tels l’Europe du Sud, la France et la Canada, particulièrement le Québec. Sans une grève sociale vers l’indépendance pour exproprier les banques on verra un profond recul pour le prolétariat, surtout pour les femmes et pour les jeunes.

Marc Bonhomme, 29 mai 2015

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...