Le problème avec l’actuel chef du PQ ce n’est pas avec ce qu’il dit ou ce qu’il fait, mais avec ce qu’il ne dit pas et ce qu’il ne fait pas !
Le malaise qu’ont suscité certaines prises de position du chef du Parti québécois, notamment sur l’immigration, ne tient pas tant à leur contenu qu’à l’absence d’une certaine autorité et une certaine crédibilité qui auraient pu leur donner un autre sens. Les mêmes mots sur l’immigration et les immigrants, prononcés par d’autres, à une autre époque, n’auraient peut-être pas soulevé autant de remous. Ce qui fait défaut à l’actuel chef, ce sont les gestes. Les gestes symboliques. Ceux qui installent une confiance durable. L’ouverture n’est pas un slogan mais une pratique.
Gérald Godin incarnait cela avec une évidence désarmante. Je l’ai côtoyé quand il était ministre de l’immigration et député de Mercier. Je l’ai vu de mes yeux faire. Il ne théorisait pas l’accueil, il le vivait et l’écrivait. Son rapport aux communautés immigrantes, notamment grecque, était d’une chaleur simple. Il ne cherchait pas à convaincre par des formules bien tournées. Il attirait naturellement les gens vers le français en allant à leur rencontre, dans leur réalité, dans leurs lieux, dans leurs codes.
Godin a fait l’effort de parler un peu grec, un peu portugais et un peu créole. Mal, approximativement, mais joyeusement. Il s’installait à la Skala sur l’avenue du Parc, prenait une bière, racontait son rêve de voyage en Grèce, bricolait quelques phrases. Les habitués riaient, le patron venait le saluer et corrigeaient son grecque, en français. Ce dernier en profitait pour dire l’extrait d’un poème de Miron « Montréal est grand comme un désordre universel ». Le patron faisait semblant de ne pas connaître Miron et Godin faisait semblant de ne pas être ministre de l’immigration. Mine de rien, le français circulait, sans injonction, sans crispation. Il devenait un espace commun, un terrain de jeu, un lieu de rencontre.
Godin considérait que les nouveaux arrivants sont des poèmes, une richesse et une vitalité au Québec, enrichissant le tissu social et linguistique. Il aurait pu tenir les mêmes propos que le chef actuel du PQ sur la nécessité de gérer avec rigueur les seuils d’immigration. Personne ne lui en aurait tenu rigueur. Parce qu’il avait bâti, au fil du temps, un lien de confiance profond avec ces gens qu’il qualifiait affectueusement de poèmes. Parce que son ouverture aux autres cultures, aux autres langues, aux autres cuisines, aux autres musiques ne faisait aucun doute. On la lisait d’abord dans son regard.
Ce lien de confiance disait quelque chose de plus large que lui. Il disait l’esprit d’un parti. D’un mouvement politique capable de conjuguer affirmation nationale et hospitalité sincère. Aujourd’hui, ce qui trouble, ce n’est pas tant ce qui est dit que ce qui n’est pas incarné. Et en politique, l’incarnation reste souvent la forme la plus convaincante du discours.
Comment oublier ce moment d’une intensité rare. Deux semaines après le décès de Godin en octobre 1994, un jeune Québécois issu de l’immigration a tenu à lui rendre hommage en mettant en rap l’un de ses poèmes. Louise Harel était présente. Elle est restée marquée à jamais par ce chant, cette voix, cet hommage. https://www.souverains.qc.ca/louise-harel
Pour un ami, pour un pays
Tout ce que t’as, c’est ton cœur
Aller au bout des vies, aller au bout de l’histoire
Tout ce que t’as, c’est ton cœur
Comprendre un peu mieux ce qui se passe
Tout ce que t’as, c’est ton cœur
S’acharner, te battre encore
Tout ce que t’as, c’est ton cœur
Ramer, ramer, ne pas céder
Tout ce que t’as c’est ton cœur
Pour un ami, pour un amour
Tout ce que t’as, c’est ton cœur
Dans son poème Tango de Montréal, tiré de son recueil Sarzène, dont un extrait est gravé sur le mur du métro Mont Royal, Godin évoque les travailleurs issus de l’immigration, de retour à la maison après une journée de labeur.
et dans leurs cœurs une musique différente
une musique qui est la leur
une musique qui est la nôtre
la musique de Montréal…
Si j’étais PSPP, je glisserais un extrait d’un poème de Godin. Je le répéterais dans un discours, dans une conversation, dans un café, un bar, mine de rien, comme Godin, comme Miron, comme Lévesque, comme tant d’autres savaient le faire.
Mine de rien, ils étaient beaux.
Mohamed Lotfi
14 Décembre 2025
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