Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Europe

Pour une égalité réelle entre les femmes et les hommes, la mobilisation des femmes est indispensable

Le 8 mars nous avions comme mot d’ordre « licencions Sarkozy et restons vigilantes » [1]. Nous avons réussi ensemble à « dégager Sarkozy » mais le plus difficile est devant nous : faire prévaloir les besoins sociaux sur les intérêts des financiers et ceux des classes dirigeantes européennes.

Cahiers du féminisme
19 juin 2012

F. Hollande et J. M. Ayrault ont nommé un premier gouvernement paritaire [2] avec, en prime, quelques personnalités censées représenter la « diversité ». Tant mieux mais comme l’a montré Libération [3], les cabinets ministériels restent majoritairement masculinisés et surtout, le personnel gouvernemental est très largement recruté dans une même caste sociale : celle des privilégié.es issu.es des grandes écoles et en particulier de l’ÉNA.

L’annonce d’une hausse immédiate de la prime de rentrée scolaire, d’un « coup de pouce » [4] pour le SMIC et le blocage limité des loyers vont sans doute aider les familles et les femmes les plus en difficultés ; le projet de loi contre le harcèlement sexuel, même s’il suscite un certain nombre de réserves [5], vient heureusement combler un vide juridique préjudiciable aux victimes ; les intentions affichées de Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, de donner des moyens financiers pour faire appliquer la loi contre les violences conjugales ou de lutter contre les inégalités de salaire entre femmes et hommes, peuvent laisser espérer quelques améliorations dans la vie des femmes. Mais soyons lucides, tout ceci ne représente qu’une goutte d’eau dans la misère qui touche les classes populaires et les femmes en particulier.

Contre les plans d’austérité en Europe

De nombreuses associations féministes ont adressé une lettre au gouvernement le 5 juin 2012 pour réclamer à juste titre que l’emploi des femmes soit une question à part entière dans la Conférence sociale prévue prochainement, rappelant que les femmes constituent plus de la moitié des chômeurs, qu’elles forment le gros du bataillon des travailleurs pauvres et précaires, qu’elles représentent 82 % des salariés à temps partiel, qu’elles sont deux fois plus souvent au SMIC que les hommes et que leur salaire moyen est inférieur de 27% à celui des hommes et de 19% si on ne considère que les emplois à temps complet. Depuis, une commission sur l’égalité professionnelle hommes-femmes a été ajoutée, dans l’ordre du jour : c’est déjà cela mais les revendications des associations féministes seront-elles prises en compte ?

La timidité des propositions gouvernementales, jusqu’à maintenant, nous laissent dubitatives : extension immédiate du droit à la retraite à 60 ans, uniquement pour les personnes ayant commencé à travailler à 18 ans et prise en compte pour le calcul des annuités de deux trimestres supplémentaires pour les chômeurs et mères de famille … de plus de trois enfants seulement. Or tout le monde sait que les femmes sont encore particulièrement pénalisées, pour leur retraite, par leurs responsabilités familiales et domestiques : elles ont en moyenne un niveau de retraite d’environ 38% inférieur à celui des hommes ; ce ne sont pas non plus les 1000 postes créés à la rentrée dans l’Éducation nationale (et qui devront être compensés par la suppression d’autant de postes ailleurs dans la Fonction publique) qui vont permettre d’assurer la rentrée scolaire dans de bonnes conditions, notamment en banlieue. Toutes ces demi-mesures étaient destinées à donner à la fois un signe positif à l’électorat populaire et à rassurer les marchés financiers. C’est pourquoi une question de fonds doit être débattue par toutes les féministes : le nouveau gouvernement et sa majorité absolue pourront-ils faire reculer le chômage et lutter efficacement contre la précarité de l’emploi qui concerne particulièrement les femmes, créer les 500 000 places de crèches indispensables exigées par les associations féministes [6], développer les services publics de la santé ou de l’école, etc., et s’attaquer aux racines de la pauvreté, sans remettre en cause la « rigueur budgétaire » exigée par la commission européenne et plus largement le Mécanisme européen de stabilité (MES) ratifié par le Parlement français le 21 février 2012 [7] ? Même si F. Hollande et ses ministres prétendent introduire une certaine « relance » au niveau européen, il est impossible de se satisfaire d’une négociation à la marge des traités européens qui maintienne comme objectif la réduction du déficit budgétaire à 3% en 2013 et les contraintes qui l’accompagnent.

Car aujourd’hui, c’est une véritable guerre contre les peuples qu’ont engagée les dirigeants européens et les gouvernements libéraux de droite ou de gauche comme nous le prouvent les attaques subies par les peuples de l’Europe du Sud et en premier lieu celui de Grèce : réduction brutale des salaires et des pensions de retraite, accroissement massif du chômage qui atteint 21,2% de la population active (près de 30% des femmes et 50% des jeunes), destruction du système public de santé, développement de la pauvreté et de la malnutrition, etc. et alourdissement des tâches quotidiennes des femmes grecques censées compenser par leur énergie et leurs soins les effets catastrophiques de l’austérité. Pendant ce temps, les
armateurs, l’Église orthodoxe et les monastères ne paient pas d’impôts, les banquiers et les plus riches continuent de spéculer sur la « dette grecque » [8]. Après les résultats des élections du 17 juin et la courte victoire de la droite, le peuple grec peut encore craindre le pire d’un nouveau gouvernement de droite et/ou d’alliance avec les socialistes ; en effet l’Union européenne semble prête à une seule concession : donner un délai de deux ans à l’État grec pour régler ses dettes. En Espagne, le code du travail a subi une attaque sans précédent sous le gouvernement de droite pour permettre aux entreprises de licencier plus facilement, aux employeurs de baisser unilatéralement le salaire des travailleurs tandis que les banques espagnoles, elles, viennent de bénéficier d’un plan de sauvetage européen sans contrepartie significative, alors que ce sont elles qui sont responsables de la crise financière en cours ! Les politiques menées actuellement au plan européen ne feront pas cesser la spéculation internationale. Au contraire, elles l’entretiennent et ce faisant alimentent la pression sur les peuples d’Europe ainsi que la montée du nationalisme et du racisme cultivés par l’extrême
droite.

Imposons des réformes radicales

Même si pour l’instant, la situation n’est pas aussi grave en France, ne nous y trompons pas. C’est à la même pression des marchés financiers, de la Banque centrale européenne (BCE), et du fonds monétaire international (FMI) que nous allons être confronté.es ; dans ces conditions, il faut le dire clairement : aucune amélioration de la vie quotidienne des salariés et des chômeurs, des retraités, et notamment des femmes, ne sera possible sans un changement profond des politiques publiques : Il faut une réforme fiscale radicale, la remise en cause du pacte de stabilité européen et de la « règle d’or » de l’équilibre budgétaire, une loi qui interdise les licenciements boursiers ; il faut développer les services publics indispensables pour assurer l’égalité entre tous les citoyen.nes ; pour s’attaquer au chômage et permettre à tous et toutes de retrouver le temps de vivre, une baisse conséquente du temps de travail est indispensable et ceci, sans perte de salaire, sans annualisation ni intensification du travail, avec embauches correspondantes et interdiction du temps partiel imposé ; il faut un SMIC à 1700 euros nets. Par ailleurs nous demandons, avec l’ensemble des associations féministes, le remboursement à 100% des IVG et de la contraception, la remise en cause de la loi Bachelot qui a permis notamment la fermeture de centres d’IVG et de maternités de proximité ; nous soutenons, cela va de soi, toutes les revendications qui portent sur l’égalité entre les couples homos et hétéros (mariage, adoption) et cherchent à développer une éducation non sexiste et fondée sur l’égalité. Nous nous prononçons également pour la régularisation des sans papiers et en particulier des femmes qui travaillent ou résident en France et sont obligées de rester dans la clandestinité pour survivre. Il faut enfin remettre en cause la répression des personnes prostituées (et en particulier le délit de racolage passif) et développer une politique qui crée les conditions de la disparition de la prostitution.

Mais pour réaliser ce programme, il faut à la fois une volonté politique et des moyens financiers. Cela implique une réforme fiscale au profit des plus pauvres et une large mobilisation pour changer le statut de la Banque de France et de la Banque centrale européenne qui doivent prêter aux États à un taux minime, au lieu de prêter aux banques qui spéculent sur les dettes des États. Il faut en même temps taxer et contrôler les mouvements de capitaux pour éviter leur fuite. Il faut nationaliser les banques, sous le contrôle des salarié.es et des usagers pour impulser une politique économique qui réponde aux besoins sociaux fondamentaux. Cette lutte est de dimension européenne. En France, nous les féministes devons entrer dans la danse et dire ensemble qu’il faut une toute autre politique à l’échelle de l’Europe, une politique qui s’attaque aux privilèges des plus riches, pour la satisfaction des besoins sociaux. Depuis 2009, les luttes n’ont pas cessé contre les licenciements, pour défendre les retraites, contre la fermeture de services publics de proximité, etc. Les femmes y ont pris toute leur place : lutte pour la réouverture du centre d’IVG à l’hôpital Tenon à Paris, par exemple ou tout récemment chez Lejaby ou aux Trois Suisses [9] ou bien dans la grande distribution. Depuis plusieurs années également, les féministes ont revendiqué une « loi intégrale » contre les violences faites aux femmes, sous l’impulsion du Collectif national pour les droits des femmes, ou « l’égalité des salaires maintenant » [10]. Il existe déjà, sur le plan européen, un réseau de solidarité à l’initiative de la Marche Mondiale des femmes (MMF), de la commission genre d’Attac, du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM), etc. [11]. A Francfort des dizaines de milliers de jeunes européen.nes étaient présent.es, les 17 et 18 mai, pour dénoncer le rôle de la BCE.

Nous avons franchi une étape. Mais nous devons élargir encore notre mobilisation sur le plan européen [12], tout en étant partie prenante des mouvements de solidarité avec les femmes du monde entier qui luttent pour la survie quotidienne de leur famille et pour leur propre autonomie.

Paris, le 19 juin 2012.


Cahiers du féminisme
Notes

[1] 4 pages disponibles sur Europe solidaire sans frontières (ESSF), Site : http://www.europe-solidaire.org ; pour
nous contacter : cahiersdufeminisme@hotmail.com
Voir sur ESSF (article 24491) : Un 8 mars de lutte et de solidarité.

[2] Nous ne connaissons pas encore la composition d’un éventuel nouveau gouvernement après le résultat du deuxième tour des législatives qui a fourni au PS et ses alliés, une majorité absolue.

[3] Liberation.fr du 30 mai 2012 : http://www.liberation.fr/politiques...
Disponible sur ESSF (article 25684). Alice Géraud « Gouvernement : parité, diversité... les cabinets verrouillés ».

[4] Actuellement le SMIC net pour 35 heures est à 1096,94 euros. Le gouvernement prévoit une hausse inférieure à 5%, soit une hausse inférieure à 54,34 euros par mois !

[5] L’AVFT craint notamment que certaines formulations ne rendent difficile de prouver le fait de harcèlement et conteste la hiérarchie introduite entre le harcèlement sexuel le plus simple et une forme de « chantage sexuel ». cf. Le Monde.fr, « Le harcèlement sexuel plus sévèrement puni » mis à jour le 13/6/12.

[6] Notamment par le collectif Pas de bébé à la consigne. http://www.pasdebebesalaconsigne.com/

[7] Voté avec « la complicité bienveillante de l’immense majorité des élus socialistes et écologistes » comme le rappelle Raoul Marc Jennar dans Le Monde diplomatique de juin 2012. http://www.mondediplomatique.
fr/2012/06/JENNAR/47850

[8] Cf. « En Grèce, les armateurs ne veulent pas entendre parler d’impôts » par Amélie Poinssot, le 13 juin 2012. http://www.mediapart.fr/print214594

[9] Les 247 salariées des 3 Suisses licenciées début 2012 ont réussi à mobiliser autour d’elles des salarié.es d’autres entreprises en lutte contre les licenciements le 7 juin à l’occasion de la deuxième audience de conciliation au Conseil de prud’hommes de Roubaix.

[10] Contact : egalitedessalaires.maintenant@gmail.com. Cette campagne a été lancée à l’initiative du Collectif national pour les droits des femmes/Femmes Egalité/ Maison des femmes de Montreuil/Attac et est soutenue par plusieurs syndicats, associations et partis de gauche.

[11] Ce réseau a tenu un premier meeting à Paris le 13 avril dernier pour coordonner la solidarité avec les femmes en lutte contre les plans d’austérité en Europe. Contact : genre@attac.genre

[12] Comme nous y invite la MMF des femmes qui lance, à partir du 17 octobre 2012, une campagne européenne contre l’austérité qui pénalise les femmes sur le thème « Les gouvernements ont une dette envers les femmes, pas envers les banques », http.www.mmf-France.

Sur le même thème : Europe

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...