Une consultation qui n’est pas à la hauteur
La Commission souligne que l’adoption d’une constitution devrait suivre un processus rassembleur, à la hauteur des changements en jeu et de l’importance du geste. Une Constitution, comme la Charte, ne sont pas des lois ordinaires. C’est pourquoi la Commission appelle à un processus qui fasse l’objet de consultations exemplaires, favorisant la participation du public, la transparence, l’inclusion et le respect des droits et libertés.
« Le déficit de concertation et de consultation entourant le projet de loi n° 1 vient remettre en cause sa légitimité et risque d’affaiblir l’adhésion à une éventuelle Constitution du Québec. Le Québec possède une longue tradition de consultations publiques préalables et élargies qui peuvent servir de modèle », a déclaré Myrlande Pierre, vice‑présidente responsable du mandat Charte.
Affaiblissement de la Charte et des contre-pouvoirs
La Commission souhaite soulever un autre risque majeur du projet de loi : celui-ci menace de reléguer la Charte au rang d’une loi ordinaire, affaiblissant ainsi son rôle de pierre angulaire dans l’ordre juridique québécois, ce qui fragiliserait la protection des droits et libertés garantis à chacune et chacun. « Pourtant, la Charte est le socle de notre démocratie, sa colonne vertébrale, notre boussole collective. Adoptée à l’unanimité en 1975 et interprétée par les Tribunaux comme une loi quasi-constitutionnelle, elle incarne les valeurs fondamentales de la société québécoise. Si cette primauté est compromise, c’est l’édifice même de notre démocratie qui se fragilise », a renchérit Mme Pierre.
« Toute réforme constitutionnelle doit renforcer le régime des droits et libertés, et non l’éroder. Alors que les crises se multiplient dans le monde et que l’autoritarisme gagne du terrain un peu partout, les outils de protection des droits de la personne constituent un rempart essentiel de l’État de droit. Le Québec devrait ainsi traiter avec le plus grand soin sa Charte qui l’outille pour affronter les défis du 21e siècle. À force de modifier la Charte comme une loi ordinaire, on pourrait finir par la considérer comme telle. Ce serait alors le Québec, sa population et sa démocratie qui y perdraient » a affirmé Stéphanie Gareau, présidente par intérim et vice-présidente responsable du mandat jeunesse.
La Commission met également en garde contre les conséquences des dispositions du projet de loi qui limiteraient les recours judiciaires d’organismes publics financés par l’État, réduiraient le rôle des tribunaux comme gardiens des droits et libertés et banaliseraient le recours à la clause de dérogation. Ces dispositions fragilisent les contre‑pouvoirs, restreignent les voies de contestation et menacent l’équilibre démocratique.
Des droits et libertés menacés
Au‑delà des impacts sur le statut de la Charte, le projet de loi propose plusieurs modifications à la Charte elle-même, qui affaibliraient les droits et libertés garantis à chacun et chacune. Il introduit d’abord une hiérarchisation des droits sans précédent. Or, hiérarchiser les droits, c’est contraire au principe fondamental voulant que ceux-ci sont universels, indivisibles, interdépendants et intimement liés ; en plus d’ouvrir la porte à une dignité humaine à deux vitesses.
Ajoutons que la Charte prévoit déjà les mécanismes nécessaires pour résoudre les conflits de droits lorsqu’ils se posent. Plusieurs exemples montrent qu’il est possible d’encadrer ou de limiter l’exercice d’un droit lorsqu’il porte atteinte à un autre, notamment au droit à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Par ailleurs, l’introduction de la notion de "droits collectifs" dans la Charte laisse croire qu’ils s’opposent aux droits et libertés de la personne ou qu’ils les restreignent. Or, en droit international, cette notion renvoie au droit à l’autodétermination des peuples. Les droits collectifs ne doivent pas être confondus avec les intérêts de la majorité. Employer l’expression "droits collectifs" de cette façon, et l’opposer artificiellement aux droits individuels, pourrait avoir pour conséquence de restreindre la protection des droits et libertés de la Charte.
« Lors de la consultation, la Commission voudra rappeler que les droits et libertés énoncés par la Charte sont aussi garantis aux enfants. Affaiblir la Charte, c’est aussi compromettre les droits des enfants, qui devraient aussi être consultés pour ce projet qui pourrait grandement affecter leur avenir », a ajouté Stéphanie Gareau.
La Commission a déposé son mémoire à l’Assemblée nationale ce lundi 24 novembre. Elle a demandé à participer aux consultations publiques qui commencent le 4 décembre prochain.
Le mémoire de la Commission peut être consulté en ligne : https://www.cdpdj.qc.ca/fr/publications/memoire-pl1-constitution
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse assure le respect et la promotion des principes énoncés dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Elle assure aussi la protection de l’intérêt de l’enfant, ainsi que le respect et la promotion des droits qui lui sont reconnus par la Loi sur la protection de la jeunesse. Elle veille également à l’application de la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics.


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