Édition du 23 avril 2024

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Asie/Proche-Orient

Que retenir du soulèvement en Iran ? Hamid Enayat nous fait un résumé des huit mois de la révolution en cours

Après plus de sept mois de manifestations et de soulèvements contre le régime, il est clair que la volonté du peuple est d’en finir avec la dictature, qu’elle soit laïque ou religieuse. Après tout, le peuple d’Iran est l’un des rares sur terre qui n’ait jamais connu ne serait-ce qu’une once de démocratie durant les 200 dernières années…

Tiré de regards.fr

Ces manifestations ont été l’occasion d’une explosion de colère, jusque-là rentrée et enfouie sous les frustrations et les humiliations quotidiennes. À cette colère, le régime a répondu par la violence, le seul vocable que connaisse véritablement une tyrannie. Les choix politiques et économiques des dirigeants n’ont eu de cesse d’essayer de briser l’élan des revendications, en augmentant et en organisant sciemment la paupérisation de la population. Malgré cela, le peuple poursuit son combat et demande à connaître enfin la république libre et démocratique en Iran.

De leur côté, les gouvernements occidentaux, aveuglés par leur logique néolibérale, ont laissé primer leurs intérêts économiques court-termistes sur les intérêts humains. Des années durant, ils ont joué de la politique de l’apaisement avec les mollahs, leur permettant de gagner le temps nécessaire à l’enrichissement de l’uranium et les protégeant de fait de la colère populaire. Ils sont désormais forcés de reconnaître qu’aujourd’hui, les perspectives de changement sont incontestables.

Depuis septembre 2022, les revendications sont claires et se rejoignent toutes en un point central : le peuple est décidé à renverser le régime théocratique et est prêt pour cela à affronter les forces de répression du régime.

Les certitudes

Le régime s’enfonce dans les crises, pensant que la prochaine permettra de remédier à la précédente, ou, au pire, de la faire oublier. La réalité, c’est qu’il ne dispose d’aucun moyen qui lui permettrait de se sortir du bourbier actuel. Le rapport de force entre les autorités et le peuple ne retrouvera jamais son état d’avant septembre 2022.

Après chaque vague de protestation depuis 2017, le régime s’est affaibli, sa base de soutien s’est rétrécie et les crises économiques et sociales se sont aggravées.

Les conditions objectives exigeant un changement sont incontestables. Elles sont d’ailleurs reconnues par les divers responsables du système.

Chaque nouvelle vague de protestation et de soulèvement depuis 2017 a pris une plus grande ampleur que la précédente. À chaque fois, la détermination et la radicalisation se sont faites plus présentes et se sont exprimées plus clairement. Depuis septembre 2022, les revendications sont claires et se rejoignent toutes en un point central : le peuple est décidé à renverser le régime théocratique et est prêt pour cela à affronter les forces de répression du régime.

Le régime persistera jusqu’au bout dans sa politique de répression, refusant de modifier son comportement car nuisible au dogme qui, seul, le maintient en vie. Par conséquent, anticiper son effondrement pour des raisons internes est une idée fantaisiste d’experts de salon. Le seul moyen d’action viable pour précipiter sa chute est de le renverser.

La propagande du régime

Alors que le peuple manifestait, les fameux experts occidentaux ont échangés leurs points de vue sur l’Iran autour de sujets initiés ou alimentés par le régime. En voici une sélection :

Le changement de régime conduira obligatoirement à la désintégration de l’Iran. Ce récit est à la fois trompeur et source de division – et il émane du régime iranien lui-même. Il sert de stratégie pour contrer les demandes croissantes de changement complet de régime de la part de la population. Les soi-disant « réformistes » promeuvent activement ce discours, insistant sur le fait que l’objectif premier doit être de maintenir le régime actuel au pouvoir. Par conséquent, la notion d’effondrement du pays est utilisée comme une tactique de peur pour dissuader les gens de chercher à changer de régime.

Il est intéressant de noter qu’en accusant de séparatisme les diverses ethnies d’Iran, telles que les Kurdes, les Baloutches, les Arabes ou d’autres, les vestiges de la dictature du chah rendent en fait, volontairement ou non, service au régime.

En effet, il n’existe aucun mouvement séparatiste parmi les minorités ethniques iraniennes. Néanmoins, le régime iranien utilise des agents pour lancer de telles allégations infondées afin d’obscurcir la situation et d’atteindre ses objectifs.

En revanche, le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) soutient que la préservation de l’intégrité territoriale de l’Iran passe par la reconnaissance des pleins droits de toutes les minorités ethniques iraniennes et encourage leur participation à la résistance nationale en faveur d’une république laïque et démocratique.

Les pasdarans sont la force du changement. L’idée de s’appuyer sur le Corps des pasdarans pour « changer » le régime est étrange, mais certains la défendent. Un tweet d’un associé de Reza Pahlavi résume parfaitement ce point de vue : « Très intéressant. La princesse Yasmin affirme qu’un journaliste italien qui s’est rendu en Iran récemment lui a dit que de nombreux membres des gardiens de la révolution souhaitent que son mari, le prince héritier Reza Pahlavi, revienne en Iran pour aider à sauver le pays ».

Reza Pahlavi avait déjà reconnu des contacts avec les pasdarans et la milice du Bassidj, se disant convaincu que les pasdarans avaient un rôle à jouer dans le changement et le maintien de l’ordre dans l’Iran post-clérical.

La création d’un nouveau groupe d’opposition appelé Congrès des démocrates verts iraniens (IRGDC) en 2010 est l’un des stratagèmes les plus élaborés mis au point par le ministère du Renseignement et de la Sécurité (VEVAK) ces dernières années. Dans une série d’interviews accordées à des médias douteux, un certain Reza Madhi s’est présenté comme un ancien général dissident du Corps des pasdarans. Il a incité des exilés iraniens peu méfiants à le rejoindre pour former une coalition d’opposition.

En 2011, le quotidien français Le Figaro a publié un article dans lequel il citait un commerçant en exil qui déclarait que le général Mohammad Reza Madhi, ancien officier des pasdarans, qui a été chargé de la sécurité du régime pendant douze ans, jusqu’en 2008, a récemment rejoint Amir Jahanshahi, un responsable lié au Mouvement vert. Le Figaro ajoutait que cet ancien général dit avoir quitté l’Iran en février 2008 et être resté en contact avec le guide suprême Ali Khamenei jusqu’au coup d’État perpétré lors du simulacre d’élections en Iran en juin 2009.

Deux mois plus tard, le 6 avril 2011, l’AFP a publié un article intitulé « Iran : La formation d’un nouveau mouvement rassemble les dissidents », où l’on peut lire que « le Congrès des démocrates verts iraniens (IRGDC) regroupe la plupart des groupes d’opposition iraniens, à l’exception de l’OMPI/MEK, la principale organisation d’opposition en exil dont le siège est situé au nord de Paris ».

Alors que le nouveau « mouvement » était composé d’individus de diverses tendances, principalement des constitutionnalistes et des soi-disant verts, sa figure majeure était le général Mohammad Reza Madhi du Corps des pasdarans. Son association a été présentée comme une indication de sa base de soutien supposée au sein des pasdarans.

Finalement, Madhi, Jahanshahi et Mehrdad Khansari (un ancien responsable du régime du chah) ont formé ce qu’ils ont appelé la « Vague verte », qui était censée agir comme un « gouvernement en exil ». Quarante personnes ont assisté à la première réunion de cette coalition nouvellement formée le 26 mars 2011, au cours de laquelle un conseil de direction composé de neuf membres a été élu.

Cependant, le 9 juin 2011, Madhi est soudain apparu à la télévision publique iranienne, se vantant d’avoir trompé les « contre-révolutionnaires ». La télévision d’État et l’agence officielle IRNA ont annoncé en grande pompe que Madhi avait toujours été un agent du ministère du Renseignement et de la Sécurité du régime (VEVAK) et qu’il avait réussi à infiltrer et à fourvoyer ceux qui prétendaient être de l’opposition.

L’OMPI, après avoir mené une enquête par l’intermédiaire de son réseau en Iran, a refusé de coopérer avec eux, ce qui a donné lieu à des critiques et même à des attaques sévères accusant l’OMPI de ne pas vouloir coopérer avec d’autres groupes d’opposition.

Le régime propage cette fausse idée pour tenter de faire dérailler le cours du soulèvement. Naïf et cupide, Reza Pahlavi semble servir involontairement les intérêts du régime.

L’illusion Reza Pahlavi

En janvier 2023, Reza Pahlavi et cinq autres célébrités – dont une journaliste, une actrice et un ancien footballeur – ont partagé un message de bonne année identique sur Twitter. Le 10 février 2023, lors d’une conférence à l’université de Georgetown, ce groupe a été rejoint par deux autres pour déclarer la création d’une alliance, s’engageant à publier rapidement leur charte de solidarité visant à unir toute l’opposition.

Le 10 mars 2023, le groupe a dévoilé sa charte et a invité d’autres personnes à former une alliance. En outre, il a participé à plusieurs forums politiques, affirmant une exigence unique : que les gouvernements et les institutions politiques le reconnaissent comme un interlocuteur légitime plutôt que le CNRI.

Malgré ses efforts, le groupe s’est heurté à l’indifférence écrasante du peuple iranien. Même une vaste campagne publicitaire, soutenue par une chaîne de télévision en farsi financée par l’Arabie saoudite, n’a pas réussi à renforcer le soutien au groupe.

La principale préoccupation des Iraniens concernant cette alliance était la présence de Reza Pahlavi, car elle évoquait les jours sombres de la dictature de son père, non seulement parce qu’il a toujours refusé de prendre ses distances avec le système de parti unique de son père, mais aussi parce qu’il l’a activement approuvé et glorifié. Il a même qualifié la révolution de 1979 qui l’a renversé de sédition, ce que le peuple iranien considère comme une insulte.

Leur charte a également été fortement critiquée de toutes parts. L’une des critiques les plus courantes concernait le fait qu’elle ne rejetait pas la dictature du système monarchique en Iran, sous prétexte qu’une telle décision, si elle devait être prise, pourrait également l’être à l’avenir. Cette position était particulièrement inquiétante pour de nombreux Iraniens qui, lors des manifestations nationales, scandaient « À bas le tyran, qu’il soit chah ou mollah ». Cette omission délibérée a été perçue comme laissant la porte ouverte à une autre dictature.

Le 10 avril 2023, Reza Pahlavi a annoncé dans un tweet que ses idées pour élargir l’alliance avaient été rejetées par d’autres. En conséquence, il a déclaré qu’il travaillerait également avec d’autres groupes. Cette déclaration a été largement considérée comme le coup de grâce donné à la « coalition » naissante tant annoncée.

Par la suite, un autre membre de l’« alliance », Nazanin Boniadi, une actrice devenue activiste politique après le début des manifestations en Iran et sans aucun passé politique, a supprimé son compte Twitter.

Outre Boniadi, deux autres célébrités qui faisaient partie de l’alliance – l’actrice et le footballeur – ont été notablement absentes depuis le début du mois de mars, ne montrant aucune activité sur la scène politique.

Finalement, le 21 avril 2023, après le voyage de Reza Pahlavi en Israël, Hamed Esmaeilion, un autre membre de l’« alliance », a annoncé son départ du groupe. Interrogé sur sa décision, Esmaeilion a révélé que Reza Pahlavi avait tenté d’imposer au groupe ses propres opinions et celles de ses associés, ce à quoi les autres membres s’étaient opposés. Il a ajouté qu’il n’y avait pas eu d’effort véritable pour établir une structure organisationnelle avec une déclaration de mission et des règlements auxquels tous les membres devaient adhérer. Hamed Esmailion a déclaré que les monarchistes rejetaient les autres Iraniens comme n’étant pas patriotes, affirmant que seuls les monarchistes étaient de vrais patriotes. Il s’est également inquiété des cyber-attaques systématiques et nuisibles menées par les associés de Reza Pahlavi contre d’autres personnes afin de faire avancer leur propre agenda.

Cette attitude autocratique a encore été soulignée lors du voyage de Reza Pahlavi en Israël, où un petit groupe de ses partisans iraniens lui a offert une couronne et l’a accueilli aux chants de « Javid Shah », ce qui signifie « Éternel soit le roi ».

Reza Pahlavi s’est lancé dans une tournée de présentation en Israël dans une tentative désespérée d’obtenir un certain degré de reconnaissance, ce que sa tournée européenne n’avait pas réussi à faire. Cependant, la tournée en Israël ne l’a pas aidé ; au contraire, elle s’est retournée contre lui en renforçant l’idée que son objectif principal et son ambition sont de devenir le « roi des rois », titre que son père utilisait avant d’être renversé par le peuple iranien.

Le 29 avril, un rassemblement a été organisé à Londres pour demander la désignation des pasdarans sur la liste des entités terroriste. Le rassemblement a dégénéré en chaos lorsque quelques associés de Reza Pahlavi ont tenté de coopter l’événement pour lui apporter leur soutien, ce qui a été repoussé par les participants. Par la suite, les associés de Pahlavi se sont mis à agresser verbalement leur ancien allié, Esmaeilion, qui était l’un des orateurs du rassemblement, l’accusant d’être un agent des pasdarans.

Conclusion

La formation d’une coalition entre les groupes politiques d’un pays, en particulier entre les groupes d’opposition à une dictature, requiert certaines caractéristiques sans lesquelles ces efforts seraient source de division et contre-productifs. Tout d’abord, une telle coalition doit avoir un poids politique, militaire ou organisationnel, sans quoi elle n’existera que sur le papier. En outre, elle doit :

 être fondée sur des principes communs ;

 être enraciné dans la société et refléter le désir des citoyens ;

 inclure des groupes politiques et des individus dont l’engagement en faveur des valeurs démocratiques est clairement établi ;

 inclure des personnes prêtes à faire les sacrifices nécessaires ;

 et avant tout être constituée de groupes et d’organisations engagés dans la résistance contre la dictature. En effet, en l’absence de possibilités d’élections libres, la légitimité découle de la résistance, qui implique un engagement en faveur de la liberté et de la démocratie.

Hamid Enayat

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