Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Au-delà de la panique et des manœuvres

Refonder le mouvement indépendantiste sur de nouvelles bases !

Pauline Marois est rendue responsable de tous les maux et soubresauts qui traversent le Parti québécois ces temps-ci. On n’aurait affaire qu’à une simple crise de direction. Pour régler les problèmes, il suffirait de trouver un nouveau chef. On avait même trouvé un sauveur qui attendait encore une fois son heure : ses aspirations à la chefferie viennent de s’effondrer sur une question d’utilisation de fonds publics à des fins partisanes. Pauline Marois s’accroche. Elle se permet même de faire une concession toute formelle aux indépendantistes en acceptant de mettre sur pied un comité de préparation de la souveraineté dont le coprésident serait le nouveau chef du Bloc québécois, Daniel Paillé.

Pour dépasser la dispersion du mouvement souverainiste, des députés péquistes comme Bernard Drainville ou Stéphane Bergeron proposent la mise sur pied d’une coalition du PQ avec Québec solidaire. Pierre Curzi dit, lui aussi, explorer cette perspective. Il ne s’agit pas ici de considérer la question des ententes tactiques (voir l’éditorial de notre présente édition à ce propos), mais bien plutôt celle des fondements d’une refondation véritable du mouvement indépendantiste.

Conception de l’unité du Parti québécois : ratisser large et clarifier minimalement

Pourquoi le Parti québécois a-t-il structurellement tendance à rouler et à tanguer jusqu’à chavirer, précipitant ses capitaines à l’eau et une partie de ses passagers sur la rive ? Il faut expliquer cette situation de fait. Et pour cela, il est nécessaire de jeter un regard rétrospectif sur l’histoire de ce parti. Les explications journalistiques sur les habitudes chicanières des péquistes relèvent d’une incompréhension des dynamiques qui sont en jeu.

a) un projet impossible : unir la gauche et la droite

Dès l’origine, le PQ est une large coalition d’éléments progressistes et d’une droite gestionnaire d’une part, et d’indépendantistes et de partisans de la souveraineté-association (avec ou sans trait d’union) d’autre part.

D’emblée le PQ a aimé se définir comme un parti proche des travailleurs, mais sachant garder ses distances face au mouvement ouvrier organisé. Très rapidement, ce fut là un axe de tension au sein du parti. Et cette tension s’est rapidement exprimée sous forme de divergences et de conflits. Avec la prise du pouvoir en 1976, cette tension recouvrait les rapports entre une partie des membres recrutés dans les mouvements sociaux et les élites qui allaient former la majorité au sein du conseil des ministres... Les négociations du secteur public en 1982 allaient être un moment d’expression de ces tensions. Le gouvernement Lévesque va alors imposer une réduction de 20% des salaires aux travailleuses et travailleurs du secteur public avec des lois antisyndicales répressives en prime.

Mais ce ne fut qu’un épisode. Le bloc social formé par des éléments gestionnaires de l’appareil d’État québécois, des grandes entreprises nationalisées, des couches moyennes et des classes ouvrières et populaires allaient être plus durablement remis en question par le virage à droite des élites québécoises.

Accompagnant le passage de la bourgeoisie aux politiques néolibérales au niveau international, les dirigeants nationalistes regroupés dans le PQ se sont faits les hérauts du libre-échange, puis des politiques néolibérales. Les prétentions à se définir comme un parti proche des travailleurs ont été complètement oubliées. Les gouvernements péquistes ont été amenés à s’attaquer à la majorité laborieuse et aux classes populaires. Les sommets économiques de 1996 ont été un moment fort de l’offensive contre les acquis sociaux en santé, en éducation et contre les couches les plus démunies de la société. Les directions syndicales se sont faites instrumenter comme relais des intentions du gouvernement Bouchard.

Cette offensive a amené nombre de militant-e-s dans les mouvements sociaux à se détacher du PQ. Un processus de regroupement et de recomposition de ces éléments s’est amorcé, et peu à peu, des militantes et militants se sont agglutinés autour d’une politique alternative pour finalement fonder un véritable parti de gauche visant la transformation sociale, féministe et écologique du Québec. Ils ont même combiné le projet social à la perspective d’une indépendance marquée par l’articulation de ces différentes dimensions d’un nécessaire changement social.

b) Une orientation douteuse : confondre l’indépendance avec la souveraineté-association

Le PQ s’est construit d’emblée sur le terrain national comme le parti de la souveraineté-association. C’était une rupture avec le mouvement et les partis indépendantistes des années 60. Les rapports de force entre les indépendantistes et les défenseurs de la souveraineté-association ont évolué tout au cours de l’histoire du PQ au gré des batailles et des défaites.

C’est ainsi que la défaite référendaire de 80 devait déboucher sur la remise en question de la souveraineté elle-même. La souveraineté fut mise sur la glace. La nuit des longs couteaux et l’imposition de la constitution de 82 devaient radicaliser le discours péquiste pour un court moment. En fait, la direction Lévesque n’a pas accepté ce moment de radicalisation et a appelé à un référendum interne (le rénérendum) pour renverser les positions adoptées par le congrès. Après la victoire de Mulroney, le PQ s’est même permis de donner une nouvelle chance à la réforme du fédéralisme canadien. L’indépendantisme était loin. Cette orientation de René Lévesque devait conduire à la crise majeure du PQ en 1985 où un secteur important du conseil des ministres (Parizeau et al) devait quitter le gouvernement.

Sous la conduite de Pierre-Marc Johnson, l’autonomisme devenait la position officielle du parti sous le nom d’affirmationnisme. L’effondrement des effectifs du parti devait s’en suivre. Le putsch de Parizeau, et la marche vers un nouveau référendum devait permettre de reconstruire le PQ comme lieu de ralliement, mais sur un programme social libre-échangiste et néolibéral sur le terrain social et confédérationniste sur le terrain national, dès que Lucien Bouchard eut réussi à mettre la main sur la direction du processus référendaire.

Après l’échec référendaire de 95, la perspective de référendum fut reportée à un avenir indéfini... Le caractère confédérationniste du PQ fut consolidé par la direction Bouchard qui fit intégrer au programme du parti l’entente du 12 mai 1995 signée avec l’ADQ, qui proposait une série d’institutions économiques et politiques communes entre le Canada et le Québec.

La direction péquiste refuse d’inscrire son action dans une perspective d’expression de la souveraineté populaire

Dans le PQ, la tension s’est faite structurelle entre les candidat-e-s à la gestion de l’État provincial, comme objectif essentiel du parti, et les indépendantistes qui cherchaient à placer un éventuel gouvernement péquiste devant l’obligation de tenir un référendum dans le premier mandat. Dans les différentes élections jusqu’à la défaite de 2003, la tenue d’un référendum sur la souveraineté ne fut pas l’enjeu des élections auxquelles a participé le PQ.

Le processus de réflexion, la Saison des idées, devant déboucher sur le congrès de 2005 est apparu à plusieurs comme une victoire des souverainistes du Parti, car le programme stipulait qu’un gouvernement péquiste devait dans son premier mandat tenir un référendum sur la souveraineté. La démission de Landry à cause d’un manque d’appui devait conduire les directions Boisclair et Marois à ignorer le processus et les décisions du congrès de 2005 qui furent bel et bien enterrés.

Avec la fin du compromis keynésien, l’érosion du bloc social soutenant le PQ

La bloc souverainiste sous hégémonie de gestionnaires nationalistes du palier provincial de l’appareil d’État québécois avait commencé à se fissurer dès le début des années 80. Le passage de ces élites aux pratiques néolibérales lorsqu’ils ont repris le pouvoir a continué de nourrir les contradictions dans le bloc social péquiste.

Sur l’axe social, le PQ a rompu durablement avec le bloc social formé des classes ouvrières et populaires et des couches moyennes qui l’avaient d’abord porté au pouvoir. La fin du compromis keynésien a signifié la fin de l’alliance entre le secteur gestionnaire (cadriste) des classes dominantes et les secteurs organisés des classes dominées. Avec la montée du néolibéralisme, il n’était plus question de poursuivre cette alliance, mais de s’allier aux affairistes en tous genres et de défendre leurs intérêts. La recherche d’alliance du PQ avec l’ADQ (ou du moins de cibler ses bases ) durant toute une période a été un symptôme de cette orientation.

Sur l’axe national, les dirigeants ministrables étaient de moins en moins convaincus de la nécessité de la souveraineté-association. Les Claude Charron, Pierre-Marc Johnson, Lucien Bouchard, Joseph Facal... prenaient leur distance face à la souveraineté. Souverainisme mou, perte de convictions, arrivisme et carriérisme... fondaient leur recul sur l’importance de la souveraineté comme leur hargne envers ceux et celles qu’ils avaient baptisés les purs et durs. Le vrai visage de la droite gestionnaire au sein du PQ se révélait toujours davantage. Le manifeste des Lucides fut une claire affirmation de cette volonté de mettre de côté la souveraineté pour s’attaquer aux problèmes plus urgents (!). C’est le même cheminement que devait prendre François Legault en fondant la CAQ. maintenant suivi par son lieutenant d’alors, François Rebello.

Voilà les bases sociales et les fondements de la dispersion du bloc péquiste. Des indépendantistes ont commencé à vouloir reconstruire un parti où ils auraient droit de cité. Mais nombre de ces indépendantistes veulent rejouer le même scénario de coalition de la gauche et la droite unissant tous les indépendantistes. De telles tentatives sont un refus de comprendre les bases matérielles des abandons et des tournants. Il faut éviter de répéter la même impasse stratégique.

Pauline Marois, défenderesse d’un parti perclus dans une crise stratégique

La crise du PQ n’est pas d’abord une crise de direction comme veulent bien le prétendre les analyses superficielles. C’est une crise stratégique. Ce parti n’a plus de plan de bataille pour la souveraineté. Pauline Marois a lié son retour à la tête du PQ au rejet de l’obligation de la tenue d’un référendum dans un premier mandat. Elle a remplacé la perspective référendaire par une stratégie reprenant dans une phraséologie nouvelle à ce qui ressemble comme deux gouttes d’eau à l’affirmationnisme de Pierre-Marc Johnson. Les candidat-e-s à la gestion provincialiste du Québec dominent au PQ. Ils se sont même permis de ne faire aucune concession significative même formelle aux souverainistes. La crise stratégique du mouvement indépendantiste fut donc vécue par de nombreux indépendantistes comme une véritable expropriation de leur propre parti par les ministrables en puissance.

L’expérience de la CAQ n’est le fait que des éléments gestionnaires et capitalistes au sein du PQ qui ont porté jusqu’à leurs ultimes conséquences les déplacements qui s’étaient produits au sein des secteurs nationalistes des classes dominantes vers un abandon complet de la volonté de s’appuyer sur une redistribution des pouvoirs dans l’espace canadien pour favoriser les possibilités de se donner de nouvelles bases d’accumulation.

L’apparition des bases d’une nouvelle alliance sociale indépendantiste en dehors de l’hégémonie péquiste

La gauche sociale et indépendantiste qui a rompu avec le bloc péquiste durant les années 90, a compris que l’indépendance du Québec est une rupture radicale avec la domination canadienne et qu’elle nécessite pour sa réalisation, de s’articuler à un projet de transformation économique sociale d’ampleur pour mobiliser la majorité populaire dans un rejet de notre statut de minorité politique. La lutte indépendantiste est à la fois une lutte contre le pouvoir d’une oligarchie économique défendant l’État fédéral canadien et une lutte pour la souveraineté populaire de la nation québécoise pour un autre projet de société.

Québec solidaire a fédéré les secteurs de la gauche qui voulaient lier le projet d’une société égalitaire, écologiste et féministe au projet national. Québec solidaire a fédéré les courants qui ont refusé la logique selon laquelle il fallait unifier la gauche et la droite au nom de la défense de la souveraineté.

Pour gagner une majorité au soutien à l’indépendance, il ne s’agit pas d’unir la gauche et la droite, mais de gagner une majorité sociale à une stratégie alternative de lutte pour l ’indépendance. L’indépendance ne sera pas le fruit d’un parti ou même d’une coalition de partis. Elle sera le résultat de la volonté pratique et active d’en finir avec la sujétion nationale et la soumission sociale.

Il faut savoir opposer maintenant à un bloc social en décomposition dominé par les gestionnaires nationalistes, une alliance de classe des travailleurs, des travailleuses, des couches populaires et des couches moyennes qui constituent la vaste majorité de la nation et qui cherchent à lier leurs aspirations à l’égalité sociale à une volonté d’indépendance politique.

Québec solidaire porte le message d’un rassemblement sur de nouvelles bases

Québec solidaire porte un autre projet historique. Il porte le projet d’un pays qui lie l’accession à l’indépendance à un projet de pays marqué par l’égalité économique, la défense de l’environnement, l’égalité de genre et l’extension de la démocratie citoyenne.

Il ne porte pas un projet commun avec le PQ qui prétend porter un projet d’une souveraineté-association avec l’État canadien dans une société qui reprend la doxa néolibérale. Même cette prétention rhétorique ne décrit pas sa pratique réelle qui est celle d’un autonomisme sans moyen et impuissant.

Le PQ appartient à sa direction. Cette direction est le produit d’années d’adaptation au néolibéralisme sur le terrain social et au refus de confrontation à l’État fédéral sur le terrain national.

La direction des gestionnaires et affairistes à la tête du PQ est incapable de porter la lutte pour l’indépendance jusqu’au bout. Toute son histoire, c’est celle du refoulement de la logique indépendantiste, c’est celle d’un accord possible avec l’État fédéral, c’est la volonté de présenter l’oppresseur fédéraliste comme un partenaire démocratique. C’est pourquoi il n’y a pas d’alliance stratégique possible.

Une alliance stratégique dans le cadre de lutte pour le pouvoir implique une convergence programmatique sur la nature de la société que nous voulons construire.

Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas faire des alliances tactiques sur des objectifs partagés et précis autour de mobilisations précises. La lutte contre l’exploitation des gaz de schiste ou contre l’exploitation de la filière nucléaire ou la lutte pour une enquête publique contre la corruption peuvent être des occasions de combats communs.

Mais les élections sont le moment de présenter des projets de société à la population et de gagner cette dernière à nos propositions. Il y va de la défense de la démocratie de présenter des projets alternatifs précis sur lesquels la population pourra faire un choix... Il en va de la défense de la démocratie citoyenne de refuser la confusion et les faux semblants auxquels les partis politiques dominants veulent réduire la politique.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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