Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

La révolution arabe

Syrie : « Nous ne nous agenouillerons pas ! »

La révolte syrienne dure depuis plus de cinq mois. Malgré une terrible répression, le mouvement de protestation continue et va en augmentant. Depuis le 15 mars, plus de 2 200 civils ont été tués, 3 000 personnes ont disparu et environ 12 000 ont été arrêtées, selon des associations syriennes des droits de l’homme.

Dans un entretien « accordé » à la télévision d’État le dimanche 21 août, le président Bachar El-Assad a mis en garde contre une intervention militaire étrangère dans « son » pays. Il a aussi parlé des réformes politiques, en disant que des élections locales devraient se tenir dans quelques mois, puis elles seraient suivies par des élections parlementaires. Une fois de plus, il fit appel à sa rhétorique de terreur en affirmant : « nous devons être durs » ; et il jura que toute personne qui serait coupable de « crime » devra être punie.

Après cet entretien télévisé, des manifestants sont descendus dans les rues de diverses villes dans toute la Syrie afin de mettre en question la légitimité de Bachar El-Assad, une légitimité qu’il n’a jamais eue et qu’il n’a jamais obtenue du peuple de Syrie, bien qu’il la proclame.

Sur le terrain, l’offensive de l’armée et la répression continuent dans plusieurs villes, malgré l’annonce de Bachar El-Assad, faite le jeudi 18 août, d’une cessation de toutes les opérations militaires et de police contre les protestataires.

Pendant ce temps, les forces de sécurité continuaient leurs assauts contre Deir ez-Zor, une ville à l’est du pays, et dans des quartiers de la ville côtière de Lattaquié, alors que les médias d’Etat parlaient du retrait de troupes. Egalement à Damas, les forces de sécurité ont lancé des raids contre différents quartiers et ont arrêté de nombreux activistes durant toute la même semaine. De plus, neuf manifestants ont été tués et des douzaines blessés le mercredi 17 août à Homs, et les forces de sécurité ont aussi ouvert le feu contre des manifestants à Alep et à Hama.

Durant près d’une semaine, la ville de Lattaquié a subi de lourdes pertes suite à l’offensive menée par l’armée contre la ville. Le samedi 14 août, toujours à Lattaquié, au moins 26 personnes, dont deux Palestiniens du camp de réfugiés d’al-Ramel, ont été tuées et beaucoup d’autres blessées après que des navires de guerre et des tanks ont ouvert le feu. Trois canonnières ont également pris part à l’offensive contre Idlib le dimanche 15 août. Une campagne massive d’arrestations a été menée contre des protestataires à Lattaquié et autour de la capitale, à Saqba et Hamriya.

L’offensive contre Lattaquié a commencé dimanche 15 août, lorsque des tanks et des transports de troupe blindés ont pénétré dans le camp d’al-Ramel en ouvrant le feu massivement. Cinq personnes ont été tuées. Le camp de réfugiés palestiniens d’al-Ramel à Lattaquié était la cible de l’armée syrienne et des services de sécurité. Des réfugiés étaient considérés comme responsables d’avoir participé à des manifestations contre le régime. Des Palestiniens de Syrie ont, en effet. peu à peu rejoint la révolution à travers tout le pays dans différents camps de réfugiés.

De fait, le groupe des Jeunes Palestiniens libres a publié une déclaration condamnant la participation d’Ahmed Jibril, le leader du Front Populaire de Libération de la Palestine-Commandement Général et ami très proche du régime syrien et de ses gangs dans l’assaut militaire mené contre les civils syriens. Quelque 400 familles palestiniennes du camp de réfugiés d’al-Ramel, sur un total de 2 000, ont dû prendre la fuite en raison du pilonnage de l’armée.

Le vendredi 12 août, au moins 17 personnes ont été tuées par les forces de sécurité au cours des manifestations organisées dans tout le pays. Elles était placées sous le slogan : « Nous ne nous agenouillerons pas, sauf devant Dieu ».

Durant la première semaine du mois sacré du Ramadan, l’armée a lancé une attaque contre la ville de Hama causant la mort de plus de 300 civils en cinq jours, rappelant ainsi à chaque Syrien le terrible massacre de 1982 lorsque, dans cette même ville, entre 20 000 et 40 000 personnes ont été écrasées par les forces du régime. Durant la même période, l’armée a également été envoyée à Deir ez-Zor, à Homs et d’autres villes encore afin d’écraser le mouvement de protestation. Parallèlement, le régime annonçait des « élections libres et honnêtes » pour la fin de l’année ; thème repris, comme indiqué, dans l’intervention de Bachar El-Assad, le 21 août.

Le fait que les manifestations soient de plus en plus nombreuses et même quotidiennes en ce mois du Ramadan a poussé le régime à envoyer l’armée dans différentes villes pour écraser le mouvement de protestation. Diverses villes telles que Homs, Hama et Deir ez-Zor ont été bombardées par les forces armées. Malgré les attaques menées contre différentes villes et quartiers et le siège imposé, les protestataires continuent à manifester en demandant le renversement du régime.

Le mois de juillet a vu une mobilisation d’ampleur sans précédent contre le régime. Les manifestations ont réuni des millions de personnes dans tout le pays. Dans les villes de Deir ez-Zor et Hama, plus d’un million de manifestants au total ont crié que le peuple voulait renverser le régime. En même temps, dans certains quartiers des deux grandes villes de Damas et d’Alep, les manifestations ont commencé à se faire plus fréquentes.

Au milieu du mois de juin, des rumeurs de conflits communautaires entre sunnites et alaouites à Homs ont été dénoncées par l’opposition et les manifestants comme étant une tentative de la part du régime de diviser le mouvement populaire de protestation et de créer le chaos dans la ville.

La révocation de certains gouverneurs et de chefs de police, remplacés très souvent par des agents des services secrets comme cela a été le cas à Deir ez-Zor, Hama et Homs n’a pas « calmé » le mouvement de protestation. Au contraire, ces mutations l’ont rendu plus déterminé tant donné le passif de violence répressive des nouveaux nommés.

De leur côté, des intellectuels syriens tels que Michel Kilo, Anouar Al Bounni et Aref Dalila, qui tous ont souffert de la répression, ainsi que des opposants indépendants ont décidé de discuter de la crise dans le pays, ce qui a été fait à la fin de mois de juin à l’Hôtel Samiramis de Damas. Les participants ont insisté sur le fait que la conférence ne constituait pas un dialogue avec le régime, mais plutôt un débat interne visant à « caractériser la crise et à explorer des chemins permettant de participer à sa résolution » sous la forme d’un « pas vers la démocratie syrienne ».

La déclaration finale de la conférence a exprimé son soutien à « l’intifada populaire non-violente… pour une transition vers un Etat laïc, démocratique et pluraliste… ». C’était la première fois en de nombreuses années qu’une telle conférence avait lieu en Syrie, à la connaissance du régime et avec l’approbation non officielle de celui-ci. De plus, elle s’est tenue au plus fort des manifestations, ce qui constituait un véritable défi lancé à la légitimité du régime dans le pays et à l’étranger.

L’avocat Anouar al Bounni, l’un des principaux acteurs de la conférence et opposant de longue date au régime, a d’ailleurs été arrêté avec son fils au début du mois d’août, de même que beaucoup d’autres activistes à travers le pays.

Le président syrien de la Ligue des droits de l’homme, Abdel-Karim Rihaoui, a également été arrêté le jeudi 11 août à Damas par les forces de sécurité. Ce militant et son organisation ont été très actifs et grâce à l’aide du réseau de militants de la Ligue ils ont été pour les médias une source essentielle d’information.

De son côté, l’opposition active à l’extérieur du pays a organisé le 17 juillet 2011 une conférence à Istanbul réunissant 450 personnalités de l’opposition. Elles ont appelé à la désobéissance civile partout dans le pays. Diverses forces d’opposition à l’extérieur du pays ont aussi envisagé le lancement d’un « conseil national ».

Les participants à une récente réunion à Istanbul – venus de l’intérieur et de l’extérieur – envisagent la mise sur pied de groupes de travail et d’élaborer des mesures visant à renverser Assad. Un « Conseil national » a été créé le 23 août. Des personnalités de ce Conseil ont affirmé : « les sacrifices ont permis d’aboutir à une unité », tout en reconnaissant que les « fondateurs de ce conseil appartiennent à des tendances politiques opposées ». Toutefois y participent un nombre important de groupes (44) et de comités qui ont impulsé le vaste mouvement de protestation en Syrie.

Malgré les accusations portées par le régime contre les protestataires qu’il qualifie de « terroristes » et de groupes « salafistes », le président Assad a tout de même appelé à différentes discussions nationales avec l’opposition et le mouvement de protestation. Les deux ont refusé d’accepter cette proposition tant que leurs revendications ne seraient pas satisfaites et tant que la répression continue.

Une série de conférences ont tout de même été organisées dans une tentative du régime syrien de créer l’impression qu’il est prêt à accepter les critiques de l’opposition. Le 3 juillet, une conférence du nom d’« Initiative nationale pour la Syrie » a été tenue. Son promoteur, le député syrien Muhammad Habbash, qui auparavant avait défendu le régime syrien, a affirmé que la raison d’une telle conférence résidait dans la volonté de trouver une « troisième voie » entre le régime et l’opposition, tout en insistant sur le fait que le processus de changement en Syrie ne pouvait se faire sans le président Assad. Habbash a ajouté que des opposants indépendants tels que Michel Kilo et Aref Dalila avaient été invités à la conférence, mais qu’ils avaient refusé d’y participer.

Le 5 juillet, une réunion consultative a été tenue sous le nom de « Parlementaires indépendants pour la Syrie », réunion à laquelle ont assisté environ 70 actuels et anciens parlementaires dans le but de « discuter les termes du dialogue national et le plan de réforme ». Muhammad Habbash a également participé à cette conférence. Aucune de ces conférences n’a produit de déclarations finales.

Les 10 et 11 juillet, le régime syrien a tenu une « Conférence de Consultation » de préparation au dialogue national, suivie par environ 200 politiciens et intellectuels choisis par le régime. Elle a été présidée par le vice-président Farouk Al-Shar.

L’opposition a boycotté toutes ces conférences, arguant du fait qu’il n’y avait rien à discuter avec un régime continuant à empêcher par la violence les manifestations. Le prétendu dialogue appelé par Bachar El-Assad ne peut être pris au sérieux tant que des manifestants continuent d’être tués, blessés, réprimés, arrêtés. C’est avec raison que le mouvement populaire a refusé de participer à un soi-disant dialogue avant que ses exigences soient satisfaites.

Au début du mois d’août, 41 anciens ministres du gouvernement et des anciens du parti Baath ont appelé le régime à cesser la violence contre les manifestants et à mettre rapidement en place des réformes politiques de grande envergure. Leur plan appelait à la formation d’un gouvernement intérimaire, incluant des représentants du régime et des protestataires. Ce gouvernement intérimaire pourrait élaborer le projet d’une nouvelle constitution démocratique, de nouvelles lois électorales et des lois sur les partis politiques. L’opposition a rejeté l’initiative de ces personnalités en raison de leurs liens existant encore actuellement avec le régime et de leur proposition selon laquelle Bachar El-Assad devrait superviser la transition vers la démocratie en étant à la tête du gouvernement intérimaire proposé.

La scène régionale et internationale

Le Canada a élargi ses sanctions contre la Syrie pour protester contre les mesures répressives brutales prises par le gouvernement. Les nouvelles sanctions incluent des interdictions de voyage pour quatre personnalités officielles et le gel des avoirs de la Banque d’État Commercial Bank of Syria ainsi que de la plus grande compagnie de téléphone mobile du pays, Syriatel, dirigée par Rami Makhlouf, un cousin de Bachar El-Assad.

Les États-Unis ont également imposé des sanctions contre deux compagnies rejoignant ainsi leurs alliés européens, en sanctionnant des personnalités officielles importantes proches du président Bachar El-Assad. L’Union européenne (UE) a adopté le 23 août une nouvelle série de sanctions. Les pays membres ont annoncé le gel des avoirs et une interdiction de visas contre 15 nouvelles personnes proches du clan El-Assad (au total 50 le 23 août) et pris des mesures à l’encontre de 9 firmes syriennes.

L’Europe achète 95% du pétrole exporté par la Syrie, ce qui représente un tiers des revenus d’exportation du pays. Pour l’heure l’UE examine la possibilité d’un embargo pétrolier, mais ne veut pas porter atteinte aux intérêts de diverses firmes. Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a voté une condamnation de la politique du régime. Une mission est envoyée pour évaluer les « abus commis contre les droits humains ».

Les sanctions du Canada sont venues après que le président des États-Unis Barack Obama a parlé avec les dirigeants de l’Arabie saoudite et de la Grande-Bretagne et que tous trois ont appelé à une fin immédiate de la répression menée par le gouvernement syrien contre les protestataires. Les États-Unis et l’UE ont demandé à Bachar El-Assad de renoncer à son poste de président.

De son côté, la Russie continue d’envoyer des armes au régime syrien. La Russie essaie de maintenir l’approvisionnement d’équipement militaire au Moyen-Orient, malgré les révolutions et les soulèvements sociaux qui ont secoué la région. Moscou a déjà perdu plusieurs milliards de dollars après avoir cessé de vendre des armes à la Libye, en accord avec la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Plusieurs pays du Golfe ont retiré leurs ambassadeurs de Syrie, et même le Koweït, Bahreïn, le Qatar et l’Arabie saoudite ont protesté contre les violentes mesures de répression visant .es manifestants. Ils ont demandé la mise en œuvre de réformes. Ils ont tous condamné l’option militaire utilisée par le régime syrien et ont déclaré que cela devait cesser. Ces régimes n’ont pas intérêt à voir un jour la démocratie en Syrie. Leur appel aux réformes ne peut pas être pris au sérieux lorsque cinq mois auparavant, ces mêmes pays, spécialement l’Arabie saoudite, sont intervenus au Bahreïn pour arrêter et briser la montée populaire contre le régime bahreïni.

Les pays du Golfe, conduits par le régime saoudien, ne veulent que fortifier la position des forces politiques islamistes en Syrie et briser la relation de la Syrie avec l’Iran. L’Arabie saoudite et d’autres se fichent des revendications des protestataires en Syrie. Les pays du Golfe ne voudraient en aucun cas voir un exemple de démocratie à leurs frontières, parce qu’ils considéreraient cela comme une réelle menace contre leurs propres régimes. Rien qu’à Riyad, il y a plus de 9 000 prisonniers politiques.

Les protestataires et certaines personnes de l’opposition, mis à part les Frères musulmans, ont de plus en plus critiqué le rôle du gouvernement turc face au soulèvement syrien, malgré les appels lancés au gouvernement syrien afin qu’il cesse la sanglante répression et qu’il entreprenne un processus de réforme. Premièrement, le gouvernement truc a été critiqué pour avoir joué un rôle de complice en confirmant le retrait des tanks et de l’armée de Hama, le 8 août. Or, ce n’était pas le cas puisque la ville était encore en état de siège et que l’armée menait des offensives contre d’autres villes.

Deuxièmement, un nombre croissant de protestataires et de personnes parmi l’opposition ont accusé le gouvernement turc de favoriser une fraction de l’opposition syrienne, à savoir les Frères musulmans, contre le reste. Dans les camps de réfugiés du sud de la Turquie par exemple, près de la frontière syrienne, des gens d’origine laïque, situés plutôt à gauche et élus par les réfugiés syriens pour les représenter, ont été arrêtés et remplacés par des islamistes. La Turquie n’est pas intéressée, elle non plus, par les revendications fortes des protestataires syriens, comme l’ont démontré les rapports très étroits entretenus avec le régime Assad avant le soulèvement. Elle ne veut que protéger ses intérêts politiques et économiques en Syrie et dans la région.

En conclusion, les tentatives de diviser le mouvement populaire ou ladite « solidarité » de régimes autoritaires et impérialistes n’aboutiront à rien. Le mouvement populaire syrien continue à lutter pour poursuivre la révolution et refuse une intervention militaire étrangère, ayant une parfaite conscience du danger qui règne sur le pays et son propre mouvement. Mais les actions violentes et la répression menée par le régime contre les protestataires rendent, de fait, une intervention étrangère plus probable.

Ce sont les protestataires syriens qui sont les vrais révolutionnaires et les vrais anti-impérialistes, malgré ce qu’en disent Chavez et Ahmadinejad quand ils prétendent que le régime syrien est en train de faire face à une attaque impérialiste menée par l’Occident. Le comité local du Golan occupé a déclaré, avec justesse, que le Golan comme la Palestine d’ailleurs ne seront pas libres tant que Lattaquié, Homs, Hama, Damas et toute la Syrie ne seront pas libérés du traître Al-Assad. Le peuple syrien veut renverser le régime et il ne s’agenouillera pas devant la volonté du régime !

(Traduction A l’Encontre)

Khalil Habash

À L’Encontre

Sur le même thème : La révolution arabe

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...