Édition du 16 avril 2024

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Tous fous ! Vraiment ?

En février dernier est paru en librairie le livre de Jean-Claude St-Onge, Tous fous ? L’influence de l’industrie pharmaceutique sur la psychiatrie. Cet ouvrage a créé un certain remous médiatique et est un ouvrage critique supplémentaire qui témoigne savamment de l’emprise des compagnies pharmaceutiques sur notre médecine psychiatrique. Avec la sortie du dernier DSM-V, cet ouvrage met en exergue les tendances lourdes de la psychiatrie.

Tiré du site du Journal mobile, média communautaire Maskoutain.

En fait, St-Onge découpe en fines lamelles, point par point, la fraude mise en œuvre et tel est son axe principal. On serait mûrs pour une commission sur le trafic d’influences entre les industries pharmaceutiques et la sphère de la santé… Ce serait, pour le moins dans l’air du temps ! Le bouquin est de lecture simple et concise et l’argumentaire est bien ficelé. Il nous offre du coup une vision d’un monde et d’une société dopés qui n’arrivent plus à se mettre en phase avec sa (ses) réalité ; la vision d’un homme qui n’arrive plus à suivre ou à s’ancrer dans le rythme de la vie occidentale moderne (ou postmoderne, c’est selon). Nous avons créé notre propre mal semble-t-il…

Le philosophe (St-Onge), nous chiffre l’état de l’ « épidémie » ; nous avons effectivement assisté à une explosion de 4 800% des diagnostics en lien avec la santé mentale depuis 1986. Parallèlement, nous avons vu l’essor d’une industrie qui « fait des petits » (des milliards et des milliards de dollars annuellement) et qui mise maintenant sur le modèle des chaines de restaurants McDonald puisque les enfants sont maintenant devenus les cibles privilégiées des pharmaceutiques, du DSM et du coup, des instances publiques.

En effet : « Cette croissance démesurée des taux de rendement a permis aux neuf compagnies pharmaceutiques recensées de dégager, en l’an 2000, un profit net de 31 milliards $ U.S., comparativement à un bénéfice net de 11 milliards $ en 1991, soit une hausse de 182 % en l’espace de dix ans. Cette surenchère de profits de l’industrie pharmaceutique constitue la principale cause de l’augmentation des coûts de l’assurance-médicaments au Québec et du coût des soins de santé publique ». Nous pouvons imaginer aujourd’hui en 2013…

À la lecture du dernier DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), l’auteur nous démontre que bien que l’on use d’un vocabulaire qui semble nous démontrer les provenances biologiques de toutes nos souffrances psychiques, rien n’est tel. En effet, depuis plusieurs années l’on tente de nous faire avaler la pilule en nous parlant de « maladie », de « troubles », de déséquilibre homéostatique… Assoir la légitimité de la biopsychiatrie sur l’ADN, le dérèglement dopaminergique et en sérotonine ne tient pas la route selon St-Onge et il apporte des preuves à l’appui. De plus, ses lectures ont permis de mettre en lumière les dérives méthodologiques employées par les grandes pharmaceutiques afin d’arriver à leur fins (dont les motivations demeurent le profit beaucoup plus que la philanthropie soit dit en passant). Trop souvent, les essais cliniques ont été biaisés en usant de filtres, en conservant seulement les individus qui présentaient la (ou les) réponses souhaités par la médication, en omettant des résultats. On n’aura jamais constaté autant de mauvaise foi malheureusement.

St-Onge nous présente comment l’on a façonné cette « épidémie ». On commence par « pathologiser » toute émotion ou tout état de dysfonction temporaire ou momentané, on dilue la frontière entre le normal et l’anormal, on isole l’individu et on lui somme de répondre convenablement à des normes sociales exigeantes et fluctuantes (comme les pathologies du DSM soit dit en passant qui changent comme le font les modes). Par exemple, l’on fera de la timidité une « maladie », du deuil un « trouble » et du médicament la solution miracle à tous les problèmes sociaux. « Au cours des dix dernières années (1991-2000), ces neuf compagnies pharmaceutiques ont dépensé 316 milliards $ U.S en frais de marketing et d’administration contre 113 milliards $ en frais de recherche et de développement, soit 2,8 fois plus. (…) La vente des médicaments constitue donc, et de loin, la priorité des pharmaceutiques plutôt que le besoin d’en créer de nouveaux à des coûts moindres ».

Jean-Claude St-Onge trace aussi un portrait négatif de l’usage des neuroleptiques et ces prescriptions tiennent plus de l’art que de la science selon lui. Effectivement, les effets secondaires surpassent souvent l’effet premier recherché, les risques pour la santé à long termes sont trop souvent négligés ou occultés (diabète, AVC et mortalité en hausse). Il nous livre aussi des chiffres inquiétants sur les effets de la prise récente d’antidépresseurs qui auront occasionné violences et suicides. (Notez que c’était la prise du médicament qui était au cœur du problème et non l’inverse comme le veut le préjugé favorable à la prise de médicaments). Qui plus est, St-Onge nous dévoile que l’effet placebo est un effet qui a plus d’importance dans bien des cas lors de la prise de médicaments contre la dépression (sauf dans le cas de dépression sévère) que le médicament lui-même.

Finalement, l’auteur nous dresse un portrait encore moins élogieux des comportements des grandes pharmaceutiques. Elles sont si puissantes et ont tellement de moyens et de privilèges qu’elles dictent leurs règles propres ; elles gagent au palmarès de la fraude et des ententes non respectées et/ou abusives. Elles mentent sur leurs produits, elles tirent d’immenses revenus de leurs brevets infinis et vont même contre les règles du marché ! Les entreprises pharmaceutiques ont tellement d’emprise sur notre système de santé, sur la recherche, sur la psychiatrie « américaine », sur le DSM pour une seule et même raison : jamais au cours de l’histoire de la médecine nous n’auront autant confondu le rapport « moyen/fin ». Puisque la médication est l’atout des pharmaceutiques, l’outil de travail du psychiatre sur lequel il assoit son autorité et sa spécificité, le moyen de contrôle socialement acceptable, la solution à tous nos problèmes, le motif de milliards de dollars en recherches et encore plus en marketing, l’épicentre des nouveaux diagnostiques ou des « soins ». Puisque la médication est aussi : au cœur des modes médicales, la réponse à « la part de terreur qui sommeillerait en nous », notre graal devant les multiples assauts que vit notre psychisme au quotidien. C’est ce qu’on attend dans bien des cas d’une rencontre avec notre spécialiste de la santé. Amen !

Je vous invite à cette lecture, à la réflexion qu’elle suscite et surtout à prendre conscience qu’il est temps de se redéfinir comme humains ! Serait-ce temps de réhabiliter la philosophie ? Merci M. St-Onge !

1. Analyse socio-économique de l’industrie pharmaceutique brevetée pour la période 1991-2000. http://www.unites.uqam.ca/cese/pdf/rec_02_analyse_socio.pdf

2. Idem

David-Alexandre Grisé

Auteur pour le Journal mobile, média communautaire Maskoutain (Québec).

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