Il y a deux mois, Kanhaiya Kumar se concentrait sur la rédaction de son mémoire, « Les transformations sociales en Afrique du Sud ». Aujourd’hui il est accusé de sédition et fait face à une possible sentence à vie pour, allègue-t-on, avoir scandé des slogans « contre l’Inde » en février dernier lors de manifestations à l’Université Jawaharlal Nehru (JNU) de Delhi.
La controverse dépasse de beaucoup celle sur la liberté de parole. M. Kumar est devenu le visage de l’opposition aux politiques du Premier ministre Modi. Elles sont perçues comme un renforcement du nationalisme indou, de l’intolérance religieuse, de l’exacerbation des divisions de classes et de castes et un affaiblissement des engagements du pays envers la démocratie.
M. Kumar est une personne au discours peu agressif, capable de discuter. Il n’a rien à voir avec l’image de révolutionnaire agité qui fomente la fin de l’Inde que lui font les médias. Lors d’une récente entrevue faite un dimanche après-midi dans une cour extérieur de l’Université, il traite de tout un éventail de sujets allant de la crise financière capitaliste, de ses espoirs pour l’égalité et la démocratie en Inde à la nécessité de la solidarité internationale.
Parlant des accusations de sédition portées contre lui, il répond : « Nous demandons la liberté en Inde, pas de nous libérer de l’Inde ».
Les accusations contre K. Kumar portent sur sa participation à une manifestation à la JNU le 9 février dernier. Elle soulignait l’anniversaire de la pendaison controversée d’un militant du Cachemire qui avait participé à une attaque contre le parlement indien en 2001. K. Kumar a été arrêté trois jours plus tard pour avoir, selon les allégations, lancé des slogans contre la nation comme ceux qui appelaient à soutenir le droit du Cachemire à l’auto détermination. Des preuves ont fortement démontré par la suite, que ces slogans avaient été scandés par des agents provocateurs et que les vidéos montrant des liens entre cela et K Kumar avaient été trafiqués.
Les manifestations à Mumbaï font le lien entre les attaques contre la JNU et le suicide d’un étudiant intouchable en janvier (2016)
Kanhaiya Kumar à grandit dans une famille de gauche pauvre au Bihar. C’est l’État le plus pauvre de l’Inde mais reconnu pour la complexité de ses positions politiques. K.Kumar est membre de l’All India Students Federation, l’aile jeunesse du Parti communiste de l’Inde. Il s’intéresse à un large éventail d’enjeux. C’est un chanteur enthousiaste et au collège, il animait un ciné club où il a diffusé « Le voleur de bicyclette » et « La liste de Schindler ».
Il est aussi président de l’association des étudiants-es de la JNU qui a été l’acteur principal dans les protestations contre la discrimination et les coupes budgétaires à l’Université qui vont affecter de manière démesurée les plus pauvres et les membres des basses castes.
Dans l’entrevue qu’il nous a donnée il s’exprime ainsi : « La révolte des étudiants-es de l’Inde rejoint celle de partout ailleurs dans le monde. Les étudiants-es son très organisés-es et le gouvernement arrive difficilement à les contrôler. Donc il tente d’en finir avec leurs organisations ».
Les accusations de sédition contre K. Kumar ont soulevé un tollé généralisé. 90 universitaires de haut niveau ont publié une déclaration décrivant son arrestation comme un exemple dérangeant de la « culture autoritaire menaçante » du gouvernement Modi. Les signataires vont de N. Chomsky, prof émérite du MIT au romancier turc, gagnant d’un prix Nobel, Orhan Pamuk.
La loi indienne sur la sédition à été adoptée par les Britanniques en 1860 ; elle a été utilisée contre les leaders de la lutte indienne pour l’indépendance dont le fameux Mahatma Gandhi. De nos jours, elle a été utilisée pour réduire au silence des dissidents, pour emprisonner des militants-es et pour faire dérailler des mouvements de protestations. L’auteure Arundhati Roy a été accusée de sédition en 2010 pour avoir soutenu le droit du Cachemire à l’auto détermination. Ces accusations ont été retirées par la suite.
Dans notre entrevue avec K. Kumar il souligne l’importance de faire des liens entre les controverses qui peuvent sembler très locales. Avec ses attaches académiques, il est entré dans de longues explications référant aux théories sur le capitalisme financier et le néo libéralisme, termes largement employés en dehors des États-Unis par les conservateurs ou les libéraux, pour parler des politiques favorables aux marchés, à l’austérité et aux traités de libre échange. Mais, il a terminé par un message particulier aux étudiants-es américains-es :
« Il faut demander 3 choses. Premièrement, la paix. Et quand nous la demandons la paix, nous devons lui opposer le concept de guerre, de n’importe quelle guerre.
Deuxièmement, le progrès. Le progrès prôné par le capitalisme financier est un progrès vide…..Les surplus économiques doivent être investit dans la production de biens et services pas dans un système de jeux à risque comme le capitalisme financier.
Troisièmement : je ne parle pas d’un État communiste. Mais nous devrions avoir une société juste, égalitaire…le droit égalitaire à l’éducation. Il doit y avoir un accès aux soins de santé pour tous et toutes. Il devrait y a voir un accès égalitaire à tous les services de base.
C’est donc mon message aux étudiants-es des États-Unis : s’il vous plait, luttez pour la paix, le progrès et l’égalité ».
Les protestations à la JNU font parti de celles d’un mouvement étudiant en croissance en Inde. Elles se passent dans un contexte d’intolérance entretenu par le gouvernement Modi. Il est proche du mouvement indou de droite, le Rashtriya Swayamsevak Sang, qui prône la suprématie indoue en matière religieuses et culturelle pour toutes les nations composant la fédération indienne. C’est une situation préoccupante parmi d’autres.
Les interdictions de vente et de consommation de bœuf (les bovins sont sacrés dans l’indouisme), ont augmenté depuis l’arrivée au pouvoir de M. Modi en 2014, avec seulement 31% du vote populaire. Un des incidents les plus dérangeants s’est produit l’automne dernier quand un musulman du nord du pays a été lynché parce que la rumeur populaire voulait qu’il ait, avec sa famille, entreposé et mangé du bœuf.
En octobre, un nombre important d’auteurs-es distingués de l’Inde on publié une déclaration qui « déplore l’intolérance », ont remis leurs décorations et se sont retirés-es de l’Académie nationale indienne des lettres. Leur déclaration souligne que : « Tout espace pour les valeurs et les idées libérales, toutes les possibilités de dissidence de dialogue, toutes les tentatives de bon sens et de confiance mutuelle sont attaquées quotidiennement ».
En novembre, les étudiants-es ont amorcé un mouvement appelé « Occupy UGCi ». Il visait la Commission universitaire des bourses qui tentait de manipuler l’aide et possiblement empêcher les étudiants-es à faible revenu de poursuivre leurs études particulièrement au troisième cycle. Par exemple, la famille de K.Kumar a un revenu de 3,000 roupies par mois soit l’équivalent de 50$.
En janvier dernier, des protestations ont émergé dans tout le pays après que Rohith Vemula, un étudiant-chercheur Dalit, (intouchable) se soit suicidé. Il avait été expulsé de l’Université Hyderabad suite à un incident impliquant des étudiants-es de droite réputés-es liés-es au Parti du Premier ministre Modi.
M. Kumar s’est aussi exprimé sur le contexte de la montée de la droite en Inde alors qu’un mouvement similaire se passe en Occident. Il a insisté sur l’importance d’un mouvement unitaire : « Nous devons nous défaire des catégories ; nous sommes des étudiants-es donc nous ne soutiendrions pas les syndiqués-es, le mouvement écologique, ou la classe moyenne et nous ne lutterions pas contre la pauvreté » ?
Nous devons nous défaire des catégories. Je suis un communiste je dois parler aux socio démocrates, aux forces libérales. Je veux construire un mouvement puissant d’abord et avant tout, je veux faire l’unité de l’opposition ».
Il parle clairement et solidement de sa vision pour l’Inde : « en premier lieu, je me réfère à la constitution indienne et à son préambule exemplaire qui dit que l’Inde doit être un pays socialiste, séculier et une république démocratique. Ensuite, il y a ce grand fossé entre les riches et les pauvres. Ça devrait être la première préoccupation du gouvernement ; il devrait voir à le combler. Nous le pouvons. Nous pouvons faire cela ».